Pékin toujours gagnant

En une décennie, l’empire du Milieu a multiplié par dix ses échanges avec le continent, pour atteindre 129 milliards de dollars l’année dernière. Un business systématiquement à l’avantage du géant asiatique.

ProfilAuteur_MichaelPauron

Publié le 17 mai 2011 Lecture : 4 minutes.

Guinée équatoriale, le 30 août 2010. Debout, droits comme des piquets et alignés en rang d’oignons au fond de l’amphithéâtre, ils sont discrets, mais bien là : une équipe de techniciens chinois gère la sonorisation du centre de conférence de Malabo – construit par la Chine – lors de la 60e session du comité régional de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour l’Afrique.

La scène n’est pas si anecdotique qu’elle y paraît. Elle est, parmi tant d’autres, l’illustration d’une présence chinoise qui, du Caire à Durban, va bien au-delà de la construction de bâtiments et de l’extraction de matières premières. Services, biens manufacturés, nourriture, transports (routes et moyens), télécoms, agriculture… L’empire du Milieu a pénétré tous les secteurs d’activité africains en dix ans. Les échanges Chine-Afrique (importations et exportations) ont atteint quelque 129 milliards de dollars (89 milliards d’euros) en 2010, soit dix fois plus qu’en 2000, et pourraient s’approcher des 400 milliards en 2015, selon le rapport de la banque d’investissement Renaissance Capital, « La Chine en Afrique », publié le 21 avril. Plus de la moitié de cette somme (220 milliards) résultera des importations en provenance du continent, dont la Chine est depuis 2010 le premier partenaire commercial.

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Taxé de néocolonialisme, accusé de piller les ressources du continent à l’aide de contrats léonins, Pékin donne le change : « Les échanges entre l’Afrique et la Chine ne sont pas idéals, mais ils ne le sont pas non plus avec les autres partenaires, comme l’Union européenne ou les États-Unis. Nos échanges contribuent quand même à hauteur de 20 % à la croissance africaine », a répondu Liu Guijin, représentant spécial du ministre des Affaires étrangères, lors du 21e Forum économique mondial sur l’Afrique, le 4 mai au Cap.

Sentiment d’être envahi

Le pétrole et les mines monopolisent 65 % des importations chinoises (Angola, Soudan et Libye principalement), contre 12 % pour les biens manufacturés. A contrario, ces derniers représentent près de la moitié des exportations chinoises vers l’Afrique : pour l’heure, le continent se sent envahi par les produits chinois, au détriment de sa propre industrie. Emblématique, l’hémorragie du secteur textile, au Nigeria ou en Afrique du Sud, qui annonçait encore début mai la fermeture de six à huit usines. Une activité décimée par l’arrivée de vêtements meilleur marché. Petit à petit, comme à Dakar, boulevard du Général-de-Gaulle, les boutiques chinoises se sont durablement installées, avec une diaspora grandissante (lire encadré).

Le deuxième poste des investissements directs étrangers (IDE) de la Chine en Afrique (9,33 milliards de dollars en 2009) concerne l’industrie manufacturière (22 %, après 30 % dans les mines), et le rapport de Renaissance Capital met en exergue une stratégie bien huilée. En créant des usines en Égypte, à Maurice ou au Nigeria, les entrepreneurs chinois, qui importent leurs matières premières depuis la Chine, profitent notamment des accords d’échanges des États-Unis avec l’Afrique, comme l’African Growth and Opportunity Act (Agoa), pour écouler ces marchandises sans acquitter de droits de douane américains.

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Idem avec l’Afrique du Nord, perçue comme une base pour le marché européen, à l’aide de produits « made in Tunisia » ou « made in Algeria ». Ce tissu industriel profite donc en premier lieu à la Chine, avant le continent. Et même lorsque Pékin impose un quota maximal de ses exportations dans le cadre d’accords, comme avec l’Afrique du Sud (un quart des IDE de la Chine en Afrique) pour le textile, le terrain est vite occupé par d’autres produits asiatiques, vietnamiens ou malaisiens.

« Il faut que l’Afrique bénéficie davantage des échanges avec la Chine, qui représentent un marché gigantesque pour nos produits », a déclaré Jacob Zuma, le président sud-africain, lors du Forum économique mondial. Car même si les importations chinoises augmentent et semblent se diversifier, « le pays s’assure que les revenus tirés par les Africains soient dépensés dans des biens chinois », relève Charles Robertson, économiste en chef chez Renaissance Capital.

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Une zone compétitive

Pékin tente de rassurer et se positionne déjà sur une nouvelle ligne. « Nous allons investir dans des zones industrielles et contribuer au développement de l’industrie manufacturière », a ainsi indiqué Liu Guijin. Une ambition surtout portée par une réalité chinoise : le coût de la main-d’œuvre progresse et le pays commence déjà à rechercher des zones plus compétitives. Le continent est dans son viseur. La Chine entend ainsi d’abord approvisionner son marché, puis profiter du milliard de consommateurs africains.

Même s’il commence à apparaître dans les discours, le transfert de technologies n’est pas encore d’actualité. « Les concertations entre l’Afrique et la Chine manquent de transparence, estime le Britannique Richard Dowden, de la Royal African Society. J’attends le jour où des ouvriers chinois seront dirigés par des Africains ! Il est de toute manière difficile de contrôler les exportations chinoises et de leur faire concurrence. » Pour Liu Guijin, « les matières premières africaines sont une chance pour le continent, qui lui permettent d’engranger des revenus et de diversifier son économie. Et quand l’Afrique se développe, c’est la Chine qui se développe. » Et d’énumérer les trois priorités des investissements chinois : les infrastructures et l’agriculture, le partage de compétences et la promotion de l’industrialisation. Pour Rob Davies, ministre sud-africain du Commerce et de l’Industrie, « c’est à l’Afrique de poser les conditions de ses échanges ». « Où sont les institutions africaines dans les négociations ? », questionne-t-il.

La présence chinoise va donc s’amplifier et se diversifier, notamment dans l’agriculture. Le changement des modes d’alimentation (plus de viande notamment) pousse Pékin à trouver de nouvelles terres et de nouveaux lieux d’élevage. Ce secteur ne représente aujourd’hui que 3 % des importations chinoises, mais il a crû de 25 % rien que sur l’année 2008, relève Renaissance Capital, et « des milliards de dollars doivent être investis dans ce secteur », conclut le cabinet.

Le potentiel commercial des deux partenaires est estimé à quelque 2 400 milliards de dollars, dont la moitié pour les matières premières… La question est désormais de savoir à qui profitera réellement cette manne.

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