Côte d’Ivoire : Konan Banny, le retour

Sa nomination à la tête de la Commission « Vérité et Réconciliation » replace l’ancien Premier ministre ivoirien Charles Konan Banny aux avant-postes. Dans la perspective de l’après-Bédié au sein du Parti démocratique de Côte d’Ivoire ?

L’ancien Premier ministre ivoirien Charles Konan Banny, le 22 octobre 2008 à Yamoussoukro. © AFP

L’ancien Premier ministre ivoirien Charles Konan Banny, le 22 octobre 2008 à Yamoussoukro. © AFP

Christophe Boisbouvier

Publié le 16 mai 2011 Lecture : 6 minutes.

On l’avait oublié, et on avait tort. Depuis la dernière élection présidentielle, il restait tapi dans sa belle résidence du quartier Riviera Beverly Hills. Pas de déclarations publiques, mais de nombreux coups de fil et quelques visites discrètes. En bon amateur de rugby, Charles Konan Banny (CKB) s’est glissé dans une mêlée ouverte. Il s’est fait oublier dans le pack, et hop ! au dernier moment, il a bondi et marqué l’essai.

Pourquoi Alassane Ouattara l’a-t-il désigné pour présider la « Commission pour le dialogue, la vérité et la réconciliation » ? D’abord parce que c’est un homme du centre. Dans tous les sens du terme. Charles Konan Banny est issu d’une grande famille baoulée du centre de la Côte d’Ivoire. Pour réconcilier les Dioulas du Nord et les Bétés du Sud-Ouest, Banny le Baoulé est bien placé. Pour ce poste ultrasensible, le président Ouattara a d’abord songé à un Bété de son camp, l’homme d’affaires Marcel Zadi Kessy. Mais CKB a aussi des connexions dans le Sud-Ouest. Il est né à Divo, où son père était planteur. Et son demi-frère, Alfred Banny, est de mère bétée. De surcroît, par son épouse, Massandié, originaire de Touba, dans le Nord-Ouest, Banny a des attaches avec les Dioulas. Bref, CKB est assez représentatif du melting-pot ivoirien…

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Homme du centre, CKB l’est aussi par son caractère. Est-ce dû à sa formation de banquier ? Diplômé de l’Essec, une école de commerce de Paris, le jeune Banny a très vite appris l’art du compromis à la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), dont il a été gouverneur pendant quinze ans, de 1990 à 2005. Sous la présidence Bédié, au plus fort de l’ivoirité et de la campagne anti-Ouattara, il a essayé – en vain – de réconcilier les deux hommes. Puis, sous la présidence Gbagbo, il a accepté une mission impossible : tenter de ramener la paix entre le Nord et le Sud. Premier ministre de décembre 2005 à mars 2007, il a tout de même réussi à décrisper les relations Gbagbo-Soro lors de quatre tables rondes à Yamoussoukro. « En 2007, je n’ai pas marqué l’essai, reconnaît-il aujourd’hui. Mais en rugby, tout ce qui rapproche le ballon de la ligne d’en-but, c’est bien ! »

Houphouétiste

Ses points faibles ? D’abord son étiquette politique. Banny n’est pas neutre. Houphouétiste de la première heure, CKB est l’un des ténors du bureau politique du Parti démocratique de Côte d’Ivoire, le PDCI. Avant le premier tour de la présidentielle, en octobre dernier, il a mené campagne pour le candidat Henri Konan Bédié. Il a mouillé la chemise à Man, sur les terres de Robert Gueï. Puis, entre les deux tours, il a dirigé la campagne du candidat Ouattara à Bouaké et Yamoussoukro. « Comment Banny peut-il faire une médiation entre les pro-Gbagbo et ses propres coéquipiers ? Ce n’est pas sérieux ! » lance un proche de Laurent Gbagbo.

Autre handicap, son image de serviteur de la France. En janvier 1994, c’est sous la pression des Français que le gouverneur Banny accepte – avec, c’est vrai, l’assentiment de tous les chefs d’État – de dévaluer le franc CFA. En décembre 2005, c’est au terme d’un sommet Afrique-France à Bamako que le Français Chirac, le Nigérian Obasanjo et le Sud-Africain Mbeki annoncent la nomination de Banny à la primature de Côte d’Ivoire. Sa mission – Chirac s’en cache à peine : déposséder Gbagbo de ses pouvoirs régaliens, en faire une reine d’Angleterre, et organiser des élections au plus vite. On connaît la suite. Jusqu’à la rupture de mars 2007, Banny restera, aux yeux de Gbagbo, « l’homme de Chirac ».

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Mais CKB ne se réduit pas à cette image. Loin s’en faut. Au sein du PDCI, Banny est un poids lourd. En dehors de Bédié, c’est même le seul qui ait une envergure internationale. Depuis son passage à la tête de la BCEAO, ce brillant économiste connaît toute la classe politique ouest-africaine. Y compris en zone anglophone. En janvier dernier, son vieux compère nigérian Olusegun Obasanjo l’a consulté par téléphone avant de venir à Abidjan pour tenter une médiation Gbagbo-Ouattara. Pour Banny, ce réseau est vital. Il lui donne une certaine indépendance par rapport à ses deux patrons ivoiriens, Ouattara et Bédié. Or, sans autonomie, la nouvelle commission n’est pas crédible.

Autre atout : malgré la cohabitation houleuse des années 2005-2007, CKB a toujours réussi à garder le contact avec le camp Gbagbo. En décembre dernier, quand sa femme a été bloquée à l’aéroport d’Abidjan, il lui a suffi d’un coup de fil à la présidence pour faire lever la mesure. Le lendemain, son épouse était dans l’avion pour Paris. Privilège rare, quand il a voulu rencontrer ses amis Ouattara et Bédié, reclus au Golf Hôtel, il a obtenu l’autorisation personnelle du général Mangou d’y aller par la route et de franchir tous les barrages à bord de son véhicule. Qui étaient ses contacts dans le camp Gbagbo ? Désiré Tagro, Sokouri Bohui et Alcide Djédjé…

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Rivalités

Ces derniers mois, CKB s’est forgé une réputation de médiateur de la dernière chance. Après la chute de Gbagbo, il a tenté d’apaiser la violente querelle entre les frères ennemis Guillaume Soro et IB (Ibrahim Coulibaly). À deux reprises, il a parlé avec IB au téléphone. Le 27 avril, c’est l’échec. IB est exécuté.

La nouvelle mission de CKB est-elle sa dernière ? Pas sûr. Certes, les travaux de la commission risquent de durer un an ou deux – celle d’Afrique du Sud a tenu quatre ans. Banny ne pourra donc pas se présenter aux législatives prévues à la fin de l’année. Au sein du PDCI, beaucoup s’en réjouissent. En juillet 2010, quand a couru la rumeur de sa candidature à la présidentielle, Banny a été violemment attaqué lors d’une réunion du bureau politique du parti. Il a fallu un tête-à-tête Bédié-Banny pour calmer le jeu. Et aujourd’hui, certains soupçonnent Bédié d’avoir approuvé le choix de Banny à la tête de la commission pour mieux isoler son rival. Mais d’autres rétorquent qu’Henri Konan Bédié n’est plus candidat à grand-chose. Déjà, avant le premier tour, il avait confié à Jeune Afrique : « Ce sera mon dernier combat. » Aujourd’hui, les visiteurs de Daoukro le confirment : « Le “vieux” aspire à un rôle de grand sage, de faiseur de roi. »

Surtout, CKB n’a que 68 ans, et encore de belles années devant lui. Si le PDCI ne fusionne pas avec le Rassemblement des républicains (RDR) d’Alassane Ouattara, la bataille pour la succession du « Sphinx de Daoukro » promet d’être rude. Le premier round aura lieu le jour où le président ivoirien désignera, comme promis entre les deux tours, un nouveau Premier ministre issu des rangs du parti houphouétiste. Beaucoup de noms circulent : des politiques comme Alphonse Djédjé Mady, Jeannot Ahoussou, Patrick Achi, voire Daniel Kablan Duncan ; et des économistes comme Marcel Zadi Kessy, Thierry Tanoh et Tidjane Thiam. « Attention, prévient Kouadio Konan Bertin (KKB), le patron des jeunes du parti, on ne veut pas d’un technocrate de l’extérieur qui va débarquer quand on aura fini de se faire tuer ! »

Bref, dans une bataille qui risque de tourner à la foire d’empoigne, CKB garde toutes ses chances et peut faire de la commission un tremplin. À condition de réussir la réconciliation des Ivoiriens – pas une mince affaire ! – et de revenir sur la scène politique au bon moment. « Vous savez, Banny n’est pas un conspirateur et n’est pas obsédé par le pouvoir », dit un de ses conseillers. « Les élections, il n’y pense pas tous les matins en se rasant », confie un autre de ses proches. À croire qu’ils se sont passé le mot : « Surtout, dire aux journalistes que le patron est inoffensif… » 

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