Cacao : les exportateurs pris dans le piège ivoirien

Sommés par le gouvernement Ouattara de suspendre les exportations, les négociants hésitent entre les injonctions des deux camps, qui se disputent un revenu potentiel de 100 milliards de F CFA de taxes.

Au port d’Abidjan, l’un des principaux points de sortie du cacao, le 17 janvier. © Luc Gnago/Reuters

Au port d’Abidjan, l’un des principaux points de sortie du cacao, le 17 janvier. © Luc Gnago/Reuters

Publié le 31 janvier 2011 Lecture : 3 minutes.

Que faire ? C’est la grande question que se posent les négociants en Côte d’Ivoire depuis que le gouvernement d’Alassane Ouattara a décidé de suspendre les exportations de cacao et de café pour une période allant du 24 janvier au 23 février 2011. Une mesure qui vise à asphyxier financièrement le régime de Laurent Gbagbo, soupçonné de se réarmer pour préparer une guerre civile. Il resterait environ 250 000 tonnes de fèves à évacuer d’ici mars, ce qui représente une valeur d’environ 100 milliards de F CFA (plus de 152 millions d’euros) en taxes et impôts divers.

« C’est un acte de délinquance politique », a expliqué Koné Katina Justin, ministre délégué chargé du Budget au sein du gouvernement de Laurent Gbagbo. Et d’accuser le camp adverse – qui n’interdit pas la commercialisation du produit en Côte d’Ivoire – de vouloir favoriser les exportations illégales via le nord du pays (sous contrôle des ex-rebelles) et les pays limitrophes (Ghana, Liberia). Gilbert Ano N’Guessan, président du Comité de gestion de la filière café-cacao (CGFCC), fidèle au régime de Gbagbo, a été encore plus clair. « Ces décisions sont nulles et sans effet », a-t-il expliqué en demandant à tous les exportateurs de poursuivre leurs activités.

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Sanctions occidentales

Mais ces derniers sont très hésitants. Les multinationales comme Cargill et ADM, qui réalisent plus du tiers des exportations, ont reçu des injonctions de l’administration américaine leur demandant d’arrêter leurs exportations. Difficile de les transgresser. Quant aux sociétés européennes, y compris le suisse Barry Callebaut, elles s’exposent depuis le 14 janvier aux représailles de Bruxelles, qui a placé sous sanctions le CGFCC, rendant illégal tout transfert financier vers cette institution. Or une partie des taxes doit être versée sur ses comptes.

« Nous sommes très divisés, reconnaît un membre du Groupement professionnel des exportateurs de café et de cacao [Gepex] en Côte d’Ivoire. Si on ne travaille pas, on met en péril l’avenir de nos entreprises. Et si on ne respecte pas l’embargo, on risque de se voir retirer notre agrément, car on sera obligés de coopérer avec le camp Gbagbo, qui gère les exportations, les douanes, ainsi que les ports de San Pedro et d’Abidjan, les deux portes d’évacuation des produits. »

Pris entre deux feux, les professionnels peinent à arrêter une position commune. « La division existe au sein même des entreprises cacaoyères, précise un cadre d’une multinationale. D’un côté, les traders sont avides de réaliser des bénéfices et, de l’autre, les services juridiques craignent les sanctions. »

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Pas de pénurie à court terme

Les exportations pourraient donc baisser dans les prochaines semaines, d’autant que les compagnies maritimes commencent à rechigner à envoyer des navires, les primes de risques et d’assurance ayant explosé avec la crise postélectorale.

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Heureusement, le marché ne devrait pas manquer de chocolat à court terme. Cette campagne est particulièrement bonne : les arrivées cumulées de cacao aux ports de San Pedro et d’Abidjan, au 16 janvier 2011, se montaient à 793 769 t, soit 67 000 t de plus que l’année dernière. Sur toute la saison, les producteurs ivoiriens devraient récolter 1,24 million de tonnes (+ 1,6 %), soit plus du tiers des besoins mondiaux. Le Ghana, deuxième pays producteur, fait aussi une excellente saison : 625 570 t étaient disponibles début janvier, soit presque autant que la saison dernière.

La récolte mondiale devrait connaître une légère hausse, à 3,6 millions de tonnes, mais comme la demande industrielle augmente, l’année pourrait se clore sur un déficit de 46 000 t. Cette hausse de la demande, conjuguée à l’embargo ivoirien, a fait flamber les cours, qui ont presque atteint 2 300 livres sterling la tonne sur la Place londonienne. Les œufs de Pâques risquent d’être plus chers cette année.

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