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Le général Ammar, l’homme qui a dit non

Après avoir refusé de tirer sur les civils, précipitant la chute de Ben Ali, le chef d’état-major des armées, Rachid Ammar, s’est porté publiquement garant de la révolution. Portrait d’un militaire aussi humble que déterminé, élevé par le destin au rang de « héros national ».

Le général Rachid Ammar au milieu de la foule, à Tunis. © Amine Landoulsi/www.imagesdetunisie.com

Le général Rachid Ammar au milieu de la foule, à Tunis. © Amine Landoulsi/www.imagesdetunisie.com

Publié le 7 février 2011 Lecture : 7 minutes.

Pour la première fois dans l’histoire contemporaine de la Tunisie, la foule a acclamé spontanément un général en exercice. Dix jours après avoir refusé de tirer sur les manifestants, donnant un coup de pouce décisif à la révolte populaire qui a balayé Zine el-Abidine Ben Ali, le 14 janvier, l’armée tunisienne a rompu le silence par la voix de son chef d’état-major, le général Rachid Ammar. Le 24 janvier, celui qui a dit non à Ben Ali est venu d’une manière impromptue à la rencontre de la foule, rassemblée place du Gouvernement, à Tunis, pour lancer, avec des mots simples, quatre messages.

Premier message : « Nous sommes fidèles à la Constitution et nous ne sortirons pas de ce cadre. » Deuxième message : « Nous sommes les garants de la révolution des jeunes et veillerons à ce qu’elle arrive à bon port. » Troisième message : « Nous ne réprimerons pas les manifestations pacifiques, mais celles-ci ne doivent pas aboutir à créer un vide, car le vide mènerait à un retour de la dictature. » Quatrième message : il faut laisser travailler « ce gouvernement [élargi], ou un autre ». Ces quatre messages donnent pour la première fois des indications précieuses sur la feuille de route de l’armée.

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L’intervention publique du général Ammar n’avait vraisemblablement pas été planifiée par l’intéressé. Selon nos informations, c’est Mohamed Ghannouchi, maintenu à la tête du gouvernement élargi après avoir été le Premier ministre de Ben Ali pendant dix ans, qui l’a sollicitée. Des manifestants, arrivés dans la nuit des régions déshéritées de l’intérieur, dont celle de Sidi Bouzid, berceau de la révolte populaire, campaient depuis le matin sur la place du Gouvernement, dans le quartier de la Casbah, où se trouvent la primature, le ministère des Affaires étrangères et celui des Finances. Ils réclament la démission du gouvernement élargi, dominé par d’ex-ministres du dictateur déchu, qui plus est dans les ministères de souveraineté : Défense, Intérieur, Affaires étrangères et Finances. « Nous ne bougerons pas d’ici tant que nous n’aurons pas obtenu satisfaction », martèlent à l’envi les manifestants.

Une revendication partagée par un grand nombre de citoyens, ainsi que par l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), pour laquelle on ne peut pas faire du neuf avec du vieux. La police tente de disperser les campeurs en faisant usage de gaz lacrymogènes. Sans recourir à la force, l’armée intervient et obtient des manifestants qu’ils ne bloquent plus les entrées des édifices gouvernementaux. La foule se replie dans les alentours, soutenue par la population de Tunis qui lui apporte vivres et couvertures.

En l’espace d’un mois, Ammar aura par deux fois rehaussé un peu plus le prestige de l’armée aux yeux des Tunisiens. La première fois en refusant de tirer sur des civils désarmés, précipitant le départ de Ben Ali. Selon nos informations, et au nom de l’armée, le général Ammar a indiqué à un Ben Ali isolé et désemparé qu’il ne lui restait plus qu’une seule issue pour échapper à la vindicte populaire : la fuite. La seconde fois en assurant publiquement que l’armée se portait garante de la révolution.

Si les médias locaux minimisent les propos de Rachid Ammar, le peuple, lui, ne s’y est pas trompé et se sent pousser des ailes. Il veut en finir définitivement avec les caciques de l’ancien régime. La pression est de plus en plus grande sur ces derniers, qui continuent de s’accrocher au pouvoir dans une tentative désespérée pour gagner une forme d’immunité, à l’instar d’Abdallah Kallel, un « faucon benaliste », ancien ministre de l’Intérieur, lequel a finalement été « démissionné » de la présidence de la Chambre des conseillers (Sénat). Aux yeux de la population, l’alternative est simple : soit les « héritiers » de Ben Ali sont écartés et remplacés par des personnes compétentes et indépendantes pour mener à bien la période transitoire, avec pour mission de concrétiser les objectifs de la révolution, soit elle poursuit son mouvement de protestation.

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Un bras de fer que la hiérarchie militaire suit de près, car elle n’entend pas laisser cette situation de blocage se poursuivre indéfiniment. À ses yeux, la vie doit reprendre son cours normal le plus rapidement possible afin que le pays redémarre sur des bases solides. La mission de l’armée n’est donc pas terminée. Dans tous les milieux, y compris le monde des affaires, on estime qu’elle doit montrer la voie aux civils au pouvoir ; la direction de la sortie tout court pour les uns et celle de la sortie de crise pour les autres. Quitte à maintenir le seul Ghannouchi pour la transition.

Qui est Rachid Ammar ?

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« Quand je l’ai vu à la télévision s’adressant aux manifestants, Ammar s’est montré tel que nous le connaissons : professionnel, patriote, humain et modeste. Ses concitoyens le surnomment le fils du peuple », nous confie un homme de culture originaire, comme lui, de Sayada. « Il est apparu comme un homme qui en impose, estime Tahar Belkhodja, un vétéran de la sécurité, qui fut ministre de l’Intérieur sous le règne de Bourguiba. Il a mis sa casquette et ses galons dorés de général de corps d’armée pour aller à la rencontre de la foule, au lieu de le faire assis derrière un bureau devant les caméras. Ses propos répondent parfaitement à la situation et confirment que l’armée reste proche de la population. »

« C’est un homme extrêmement intelligent et très habile. Il est jovial et ouvert », nous dit l’un des anciens officiers supérieurs auprès desquels nous avons enquêté pour reconstituer son parcours, resté jusque-là confidentiel. « C’est un homme qui ne parle pas beaucoup, nous signale un autre officier qui l’a bien connu. Il est légaliste et dépourvu de tout opportunisme. Il a été formé à l’école de ceux qui pensent que les militaires doivent rester dans leurs casernes. » « C’est un grand homme, un officier modèle et honnête. Il a toujours compté parmi les meilleurs officiers de notre armée », s’exclame, devant nous, un officier supérieur à la retraite. « Il a la rigueur des professionnels disciplinés et la modestie des grands », estime un autre.

Rachid Ammar est né il y a soixante-cinq ans à Sayada, un ancien port de pêche situé à une quinzaine de kilomètres au sud de Monastir. Avec le village mitoyen de Lamta, Sayada est l’héritier de Leptis Minor, fondé au IVe siècle avant J.-C. Marié et père de trois garçons et deux filles, Ammar est un passionné d’environnement. Autour de l’académie militaire, dont il a été le doyen à deux reprises, il a fait pousser des oliviers sur d’immenses terrains jusque-là en friche. Il a pour ancêtre Sidi Ammar, dont le centre de la médina porte le nom. Célèbre pour ses trois grottes troglodytes remontant à la civilisation libyque, Sayada deviendra par la suite le deuxième port romain au sud de la Méditerranée. « C’est cet enracinement dans l’Histoire et l’ouverture au monde extérieur qui caractérisent Ammar comme nous tous dans la région, raconte un natif de Sayada. Mais nous sommes aussi des pêcheurs, et quand tu es pêcheur et que tu es en pleine mer, tu regardes autour de toi et tu te sens petit et modeste. Ainsi en est-il d’Ammar. »

Francophile

Après une scolarité à Sayada, puis au lycée de Sousse, où il décroche son bac, Ammar entre à l’académie militaire de Fondouk Jedid, nouvellement créée, et fait partie de la première promotion, sortie en 1968-1969. Sur les trente officiers de la promotion Kheireddine, une quinzaine, dont Ammar, sont affectés au corps d’artillerie. Ils sont ensuite envoyés pour application dans une école d’artillerie en Turquie. Sous-lieutenants, ils devaient être promus lieutenants. Mais la bureaucratie traîne, et ils menacent de démissionner.

En 1970, leur hiérarchie directe, solidaire, intervient au plus haut niveau du gouvernement pour accélérer les choses. En 1974, Ammar est chargé de la direction du Centre d’instruction d’artillerie de Menzel-Bourguiba. « Il a hérité de cette responsabilité parce qu’il était parmi les meilleurs de sa promotion et qu’il était très respecté », dit l’un de ses camarades de l’époque. La même année, il entame plusieurs cycles de formation dans des écoles françaises, d’abord à l’École d’artillerie de Châlons-sur-Marne, puis à l’École d’état-major (Compiègne) et enfin à l’École de guerre (Paris).

« Ammar est un francophile, il n’a pas été formé aux États-Unis, où il ne s’est jamais rendu », nous signale un autre camarade. De retour de France, il est nommé commandant de l’académie militaire de Fondouk Jedid, avant de prendre le commandement de la brigade stationnée à Gabès. En 2002, après la disparition du général Abdelaziz Skik dans un accident d’héli­coptère, il devient chef d’état-major des armées.

En juin 2010, Rachid Ammar est promu général de corps d’armée. Aujourd’hui, il est auréolé d’un nouveau titre, encore plus prestigieux, que seul le peuple est habilité à décerner, celui de « héros de la révolution ».

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