Nouvel ambassadeur ivoirien à Paris, Ally Coulibaly a pris sa Bastille

Le nouvel ambassadeur de Côte d’Ivoire à Paris a dû ruser, soutenu par l’alliance des houphouétistes, pour bouter les fidèles du camp Gbagbo hors de sa chancellerie.

Ally Coulibaly (au c.) arrivant à l’ambassade, le 25 janvier 2011. © Vincent Fournier

Ally Coulibaly (au c.) arrivant à l’ambassade, le 25 janvier 2011. © Vincent Fournier

Publié le 7 février 2011 Lecture : 4 minutes.

Il ne rêvait pas forcément de ce poste d’ambassadeur à Paris, mais plutôt d’un portefeuille ministériel. Il y voit en tout cas une reconnaissance pour sa fidélité et sa proximité avec le président élu de Côte d’Ivoire, Alassane Dramane Ouattara (ADO). « C’est un poste sensible, souligne Ally Coulibaly. Notre chef de l’État a besoin de quelqu’un de confiance… »

Il est vrai que les relations avec l’ancienne puissance coloniale sont passionnelles et tumultueuses, mais Nicolas Sarkozy est un ami de longue date du couple Ouattara. Sitôt le résultat de la présidentielle connu, l’Élysée a pesé de tout son poids pour la reconnaissance internationale de la victoire d’ADO. La France a encore aidé à l’exfiltration du nouvel ambassadeur, qui vivait reclus au sein de la « République du Golf Hôtel » d’Abidjan.

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À peine descendu du vol Air France en provenance de Ouagadougou, le 19 janvier au matin, Ally Coulibaly, 60 ans, se met au travail. Direction le Quai d’Orsay, pour rencontrer la chef de la diplomatie française, Michèle Alliot-Marie. Dans l’après-midi, rendez-vous à l’Élysée avec André Parant, conseiller Afrique de Nicolas Sarkozy. Au menu : un long point de la situation, suivi de l’évocation des différents scénarios de sortie de crise.

Kipré fait de la résistance

À partir du 20 janvier commence le marathon médiatique du nouvel ambassadeur. France 24, TV5, France 5, i>Télé… L’ancien directeur de Radio Télévision ivoirienne enchaîne les plateaux télé et les interviews.

Le reste du temps, il prépare sa « prise de la Bastille », c’est-à-dire sa prise de fonctions officielle. Son entrée dans l’ambassade. Le 102 de l’avenue Raymond-Poincaré, dans le 16e arrondissement de la capitale parisienne, est une place forte gardée par Pierre Kipré, fidèle parmi les fidèles de Laurent Gbagbo, auquel la France aurait demandé de quitter le territoire dans les délais les plus courts.

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Près de quatre-vingt-dix Ivoiriens travaillent dans les différentes représentations du pays en France. Un personnel très politisé. À tel point que le vote de la diaspora ivoirienne en France a été annulé à cause d’affrontements entre fonctionnaires des deux camps.

La résidence de l’ambassadeur, sise non loin de là, rue de Lota, étant toujours occupée par Pierre Kipré, qui fait de la résistance, Coulibaly prend ses quartiers au très sélect hôtel Saint James, non loin de l’ambassade (membre du Saint James Club, ADO y descend régulièrement). Il s’y attelle à recevoir le personnel rallié au camp Ouattara, puis cherche à s’assurer le soutien du général Lohouès, attaché de défense et gardien des temples ivoiriens à Paris. Ce dernier, qui détient les clés des bâtiments, renâcle. Qu’à cela ne tienne ! Le nouvel ambassadeur ajourne sa prise de fonctions et met le Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP) à contribution. Rendez-vous est fixé au 25 janvier.

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Première conférence de presse d’Ally Coulibaly dans son bureau.
© Vincent Fournier

Fierté

Entre-temps, le 24, il assiste aux vœux à la presse et au corps diplomatique du président français. Ce dernier l’accueille et le cite nommément dans son discours. « J’étais fier ! Pas pour moi, mais pour mon pays et tous ceux qui mènent le combat de la démocratie », confie le conseiller diplomatique d’ADO (fonction qu’il assure encore).

Le 25, en dépit du froid, une soixantaine de militants est sur le pied de guerre devant l’ambassade dès 8 heures du matin. « Aujourd’hui, c’est aujourd’hui. Nous allons nous-mêmes installer l’ambassadeur ! » martèle un jeune au physique de rugbyman, les poings serrés. Tout comme lui, nombre de mobilisés sont à cran et prêts à en découdre. Les quelques supporteurs de Laurent Gbagbo qui ont tenté une contre-manifestation en ont fait l’amère expérience. Tout comme deux badauds, partisans supposés du président autoproclamé, qui sont violemment pris à partie et pourchassés dans le quartier.

Lorsqu’un peu avant midi Ally Coulibaly arrive – ovationné tel un champion –, il trouve encore porte close. Le général Lohouès reste introuvable. Qu’importe, le RHDP a tout prévu et s’est attaché les services d’un serrurier. Quelques minutes et l’aide de deux gaillards lui suffisent pour venir à bout du portail d’entrée. Une demi-heure de plus et Ally Coulibaly apparaît au balcon du bureau de l’ambassadeur, les doigts levés en signe de victoire. « Je peux enfin m’atteler à servir les Ivoiriens. Tous les Ivoiriens », clame-t-il, sa voix couverte par les cris de joie qui montent de la rue. 

Hôtel particulier à l’abandon

Mais le combat continue. Le cortège de l’ambassadeur prend alors la direction de la mission économique ivoirienne (boulevard Suchet, 16e). L’hôtel particulier cossu, jadis propriété du duc de Windsor, a perdu son lustre d’antan. À l’extérieur du bâtiment, une canalisation cassée attend d’être réparée. La fontaine de marbre de l’entrée a été « vendue aux enchères ». Et cet hiver, point de chauffage : la facture de fuel n’a pas été réglée. « Regardez l’état dans lequel l’ambassadeur Kipré laisse ce magnifique hôtel particulier, râle Ally Coulibaly. Il me faudra remettre les bâtiments à neuf, ce sera une de mes priorités. »

Quant à occuper la résidence de l’ambassadeur, c’est une autre histoire. Pierre Kipré habite encore les lieux et les militants du camp Gbagbo sont décidés à les défendre. « Non seulement nous allons déloger ce squatteur [Coulibaly, NDLR], mais nous allons tout faire pour l’empêcher de prendre possession de ce logement », déclare Brigitte Kuyo, représentante du Front populaire ivoirien (FPI) de France.

En attendant d’investir tous les bâtiments et de faire l’inventaire, Ally Coulibaly poursuit son tour du tout-Paris diplomatique. Rendez-vous le 26 janvier avec le secrétaire général de l’Organisation internationale de la francophonie, Abdou Diouf, puis direction le ministère français de la Coopération pour les vœux du ministre Henri de Raincourt… 

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