Pourquoi tant de haine ?

D’Alger à Bouira, d’Oran à Tiaret, les grandes villes se sont embrasées ces jours-ci. Les émeutiers, très jeunes, protestaient contre la hausse brutale du prix des produits de première nécessité. Ce mouvement insurrectionnel cache-t-il autre chose ? Retour sur des événements qui ont lieu de manière chronique en Algérie.

dans le quartier Belcour à Alger, le 7 janvier. © AFP

dans le quartier Belcour à Alger, le 7 janvier. © AFP

Publié le 10 janvier 2011 Lecture : 5 minutes.

Un piéton écrasé par un chauffard, un mauvais résultat de l’équipe de football locale… Depuis quelques années, l’Algérie d’Abdelaziz Bouteflika est devenue un pays de jacqueries, où l’on se soulève à la moindre occasion. Mais jamais depuis l’opération de désobéissance civile lancée en juin 1991 par le Front islamique du salut (FIS, parti dissous) les villes algériennes n’avaient connu pareil déchaînement de violence.

L’ampleur des émeutes a elle aussi surpris. De Bab el-Oued, quartier chaud de la capitale, à Tirigou (« Victor Hugo », en version originale), cité des laissés-pour-compte d’Oran, la deuxième ville du pays, en passant par Bouira et Béjaïa, en Kabylie, Chlef et Relizane dans le Nord-Ouest, Tiaret dans les Hauts Plateaux, Djelfa et Laghouat aux portes du désert, l’Algérie s’est embrasée en quelques heures. Liaisons ferroviaires interrompues, axes routiers coupés, rideaux de magasins baissés et rues livrées à des hordes de jeunes armés de sabres et de barres de fer… Un très fort sentiment d’insécurité planait sur les grandes villes du pays.

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Motif de la révolte ? La cherté de la vie. Pourtant, le profil de l’émeutier ne correspond pas à celui, classique, du consommateur alarmé par la dégradation de son pouvoir d’achat. Ce ne sont ni des ménagères ni des pères de famille – celles et ceux qui font quotidiennement leurs courses au marché du coin – qui sont dans la rue, mais des adolescents, généralement exclus du système scolaire, qui n’ont pas la moindre idée du prix du kilogramme de sucre.

Rente pétrolière

Autre fait troublant, ces événements surviennent au moment où entre en vigueur une nouvelle grille des salaires de la fonction publique (l’État est le premier employeur du pays, avec quelque 1,6 million de fonctionnaires). Sont attendues des hausses salariales de près de 50 % – avec effet rétroactif sur plusieurs années. Jamais la redistribution de la rente pétrolière n’a autant profité à la population : le budget 2011 prévoit pas moins de 14 milliards de dollars (10,7 milliards d’euros) de transferts sociaux (soit près de 10 % du PIB), qui prendront la forme de subventions aux prix des produits de première nécessité. Une masse salariale qui est passée de 3 milliards de dollars à 8 milliards entre 2008 et 2010.

En outre, la récente flambée des prix paraît bien modeste au regard de celle qui sévit, chaque année, à l’approche du mois de ramadan sans que cela provoque des protestations d’une telle ampleur. D’où les interrogations quant à la spontanéité de ces émeutes.

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Selon les commerçants grossistes, premier maillon de la chaîne de distribution des produits de première nécessité, la hausse des prix s’explique par l’introduction de nouvelles mesures gouvernementales. Comme la facturation désormais obligatoire de toute opération commerciale. « Établir une facture signifie qu’il faut prendre en compte toutes les taxes, assure un grossiste en produits alimentaires d’El-Harrach, à Alger. Cela a forcément une incidence sur les prix au détail. » L’industriel Issad Rebrab, patron de Cevital, producteur d’huile et de sucre, assure que le prix de ses produits à la sortie d’usine n’a subi aucune augmentation, et accuse les intermédiaires d’accroître leurs marges sur le dos du consommateur.

Tétanisée, une grande partie de la classe politique est aux abonnés absents. Le Rassemblement national démocratique (RND) du Premier ministre, Ahmed Ouyahia, accuse « certains lobbies maffieux » d’être les commanditaires des émeutes. Pour Louisa Hanoune, la secrétaire générale du Parti des travailleurs (PT, trotskiste), la violence est un effet collatéral de l’accord d’association que l’Algérie a signé avec l’Union ­européenne. Lequel entraîne un démantèlement tarifaire et l’inondation du marché local par des produits d’importation sur lesquels aucune politique de contrôle de prix n’est efficace.

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Les médias publics ont passé sous silence les événements. De son côté, le gouvernement s’est contenté de médiatiser une réunion entre l’islamiste Mustapha Benbada, le ministre du Commerce, et des opérateurs de l’industrie agroalimentaire. Lors de cette réunion, le 7 janvier, Benbada a promis sans conviction que « la semaine prochaine » le gouvernement prendrait « des mesures pour que tout rentre dans l’ordre ».

Face au mutisme du gouvernement, et les émeutes ayant atteint leur paroxysme dans la nuit du jeudi 6 au vendredi 7 janvier, la mosquée a retrouvé un rôle central en termes d’influence. Jamais depuis l’épisode du FIS le sermon du vendredi n’avait été attendu avec autant d’appréhension.

« Intifada de l’inflation »

À l’heure où nous mettions sous presse, quarante-huit heures après la première étincelle, à Bab el-Oued, dans la soirée du 5 janvier, on ne déplorait aucun décès parmi les manifestants ou les forces de l’ordre. On comptait en revanche quelques centaines de blessés et autant d’interpellations. Le 7 janvier, Ahmed Ouyahia a réuni le bureau politique du RND. Il a également présidé une cellule de crise à laquelle ont participé Dahou Ould Kablia, le ministre de l’Intérieur, le général-­major Abdelghani Hamel, directeur général de la sûreté nationale (DGSN, police), et le général-major Ahmed Bousteila, le chef de la gendarmerie. Cette cellule informait en temps réel la présidence de l’évolution de la situation. Celle-ci étant très rapide, l’urgence est d’assurer l’ordre public et de protéger les biens et les personnes. Il est vrai que l’autorité de l’État a été mise à mal par les manifestants, qui, la nuit tombée, se transforment en casseurs, pillant les magasins, détruisant les équipements et le mobilier urbains, incendiant des bâtiments symboles de la puissance publique : tribunaux, commissariats de police et bureaux de poste.

Toutes proportions gardées, les émeutes de janvier 2011 rappellent étrangement celles d’octobre 1988. Ces dernières (cinq cents morts recensés lors des opérations de maintien de l’ordre confiées à l’armée) avaient provoqué un véritable séisme politique, et abouti à l’adoption d’une nouvelle Constitution, à l’introduction du multipartisme et à des bouleversements majeurs au cœur du pouvoir. Il est donc peu probable que « l’intifada de l’inflation » restera sans effet sur une vie politique lourde d’incertitudes liées à la succession d’Abdelaziz Bouteflika, qui achèvera son troisième et dernier mandat en 2014. En Algérie comme en Tunisie, 2011 commence bien mal…

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