L’axe Paris-Rabat

Le Maroc et sa monarchie restent une exception dans le jeu diplomatique français. La richesse de l’axe Paris-Rabat est protéiforme : économique, diplomatique, bien sûr, mais aussi humaine, culturelle et presque familiale.

Dominique Strauss-Kahn, Bruno Joubert et Dominique de Villepin sont très proches du Maroc. © Reuters/Ambassade de France au Maroc/Montage JA

Dominique Strauss-Kahn, Bruno Joubert et Dominique de Villepin sont très proches du Maroc. © Reuters/Ambassade de France au Maroc/Montage JA

Publié le 8 décembre 2010 Lecture : 5 minutes.

France – Maghreb : voyage au coeur des réseaux
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France – Maghreb : voyage au coeur des réseaux

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Quand il était le locataire de l’Élysée, Jacques Chirac, thuriféraire de l’amitié franco-marocaine, aimait souligner la « capillarité » des relations entre la République et le royaume chérifien. Son successeur, Nicolas Sarkozy, l’avait promis : sous son mandat, une « nouvelle ère » entre la France et l’Afrique allait commencer. Mais le Maroc et sa monarchie restent une exception dans le jeu diplomatique français. La richesse de l’axe Paris-Rabat est protéiforme : économique, diplomatique, bien sûr, mais aussi humaine, culturelle et presque familiale.

Au plus haut niveau de l’État, cette proximité, qui, vue d’Alger, de Madrid ou de Washington, frise la complicité, ne se dément pas. Nicolas Sarkozy et Mohammed VI entretiennent des relations privilégiées qui dépassent le cadre protocolaire. Des rendez-vous privés à Marrakech, New York où Neuilly, parfois en présence des premières dames et des enfants, jalonnent cette intimité récente, mais profonde. Loin des projecteurs de la vie parisienne, le président français a, comme son prédécesseur, succombé aux charmes du sanctuaire médiatique marocain. L’ambassade de France à Rabat (surnommée « l’agence de voyages » par un diplomate espagnol) veille aux incessants allers-retours des politiques français, qui viennent se ressourcer dans le royaume et réactiver leurs discrets mais puissants réseaux financiers et électoraux.

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Histoire intime

Dominique Strauss-Kahn (qui a grandi à Agadir et qui possède un riad à Marrakech), Dominique de Villepin (né à Rabat), Éric Besson, Élisabeth Guigou (tous deux nés à Marrakech), Rachida Dati (dont le père est marocain), Ségolène Royal (dont le compagnon est né à Casablanca), François Hollande, Jean-Louis Borloo : presque tous les grands acteurs de la vie politique française ont une histoire intime avec le royaume et franchissent régulièrement le détroit de Gibraltar.

Le parti présidentiel, l’UMP, dispose d’une demi-douzaine d’antennes régionales, placées sous la direction du délégué national, Jean-Luc Martinet, un industriel natif de Casablanca, propriétaire du fonds d’investissement Aixor et qui supervise la collecte des dons. Le Parti socialiste est également solidement implanté et a mené une campagne active en 2007 pour l’élection de Ségolène Royal auprès d’une communauté française estimée officiellement à 32 000 personnes, à plus du double officieusement. La première secrétaire du PS, Martine Aubry, effectue de fréquentes visites dans le royaume et entretient de solides relations avec les camarades de l’Union socialiste des forces populaires (USFP).

Conséquence de ces liens personnels entre décideurs français et marocains : l’actuel ambassadeur de France, Bruno Joubert, ancien Monsieur Afrique de Nicolas Sarkozy et collaborateur de Jean-David Levitte, le sherpa diplomatique du chef de l’État, doit composer, sous la tutelle théorique du Quai d’Orsay, avec un incessant ballet de rendez-vous discrets et souvent frappés du sceau de la « visite privée ». À charge pour les services de l’ambassade de réparer les couacs que ce genre de déplacements a pu susciter (comme le saccage en 2006 d’une chambre d’un palace de Marrakech par la compagne d’un ministre…).

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Pour l’expertise maghrébine, l’exécutif français peut en outre s’appuyer au Quai d’Orsay sur des diplomates fins connaisseurs des subtilités régionales, comme Bruno Aubert, un ancien conseiller de l’ambassade actuellement à la direction de la prospective, dirigée par l’universitaire Joseph Maïla, spécialiste du monde arabe. À l’Élysée, Levitte s’appuie sur le diplomate Nicolas Galey.

Grands contrats

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À Rabat, la chancellerie de la rue Sahnoun reste aussi un point de passage conseillé pour les nombreux investisseurs français qui se font escorter par le service économique, dirigé par Dominique Bocquet, et par la très active Chambre française de commerce et d’industrie du Maroc, présidée par Bernard Digoit. Les grands contrats, eux, se nouent dans la discrétion des salons de Casablanca, Marrakech ou Rabat.

L’entregent et les carnets d’adresses encyclopédiques du conseiller économique de Mohammed VI, André Azoulay, de l’homme d’affaires et communicant fassi Richard Attias (époux actuel de Cécilia ex-Sarkozy), du polytechnicien Jean-René Fourtou (président du conseil de surveillance du géant mondial Vivendi), de Jean-Paul Herteman (PDG du groupe aéronautique et spatial Safran) – tous deux président le Club d’affaires France-Maroc auquel participe aussi Christine Mulot-Sarkozy, l’ex-belle-­sœur du chef de l’État – ou encore de Marc Thépot (directeur général du groupe Accor dans le royaume) sont également décisifs pour enraciner ou développer la présence du millier de sociétés françaises installées au Maroc. Dont la quasi-totalité des entreprises du CAC 40, qui emploient près de 100 000 salariés.

De la finance (BNP-BMCI, Crédit agricole, Société générale Maroc) à l’énergie (Areva-OCP), en passant par l’eau, l’assainissement et l’électricité (Veolia-Amendis à Tanger, Tétouan et Rabat, Suez-Lydec à Casablanca, dirigé par le très actif Jean-Pierre Ermenault), les télécommunications (Vivendi, Orange), les transports publics et les infrastructures (Alstom, Bouygues) : la politique des grands contrats et la concentration capitalistique restent la colonne vertébrale de l’axe Paris-Rabat.

Le Makhzen rend d’ailleurs souvent un hommage appuyé à ces grands « amis du Maroc ». Le roi a ainsi récemment décoré du Wissam Alaouite Jean-Paul Herteman, une distinction déjà accordée à son prédécesseur Jean-Paul Béchat ou encore à l’économiste Christian de Boissieu. À cet aréopage de grands patrons, il convient d’ajouter Dov Zerah, le nouveau directeur général de l’Agence française de développement (AFD). En poste en juin, il a effectué dès septembre son premier voyage à Rabat. Avec 400 millions d’euros d’engagements en 2009, le Maroc est le premier partenaire de l’AFD.

Pour nourrir cette relation vivace, les décideurs franco-marocains s’appuient sur le très dense réseau éducatif noué entre les deux pays. Anciens de la « mission » (lycées français René-Descartes de Rabat, Hubert-Lyautey de Casablanca, Victor-Hugo de Marrakech…) ou des grandes écoles parisiennes (Polytechnique, Ponts et Chaussées, Institut d’études politiques…) : les acteurs de cette matrice privilégiée déclinent au quotidien les rendez-vous d’affaires, les colloques et les actions caritatives.

Avec, en parrains habiles, et en alibis, les universitaires, les intellectuels, les artistes et les barons médiatiques de « l’amitié franco-marocaine » : Pierre Bergé (après sa déclaration d’amour pour Marrakech, il vient de racheter la villa Léon l’Africain à Tanger), ­Bernard-Henri Lévy (philosophe dont la chemise blanche hante les vols Paris-Marrakech), Charles Saint-Prot (géopolitologue et militant de la « marocanité » du Sahara occidental), Tahar Ben Jelloun (écrivain), Mehdi Qotbi (peintre et créateur du Cercle d’amitié franco-marocain), Djamel Debbouze (humoriste et producteur qui a l’oreille de Mohammed VI et de son frère Moulay Rachid), le député marseillais UMP Jean Roatta­ (président du groupe d’amitié parlementaire France-Maroc)…

Sans prétendre à l’exhaustivité, ce tour d’horizon des réseaux franco-marocains doit enfin rappeler le rôle joué par la franc-maçonnerie – une demi-douzaine de loges et d’obédiences étant officiellement recensées au Maroc – et la réalité quotidienne des liens toujours étroits que quelque 800 000 Marocains installés en France continuent d’entretenir avec leur pays d’origine. Dès 1914, à la veille de la Grande Guerre, l’officier allemand Von Kalle, en poste à Madrid, avait conclu : « C’est au Maroc que l’on peut couper les jarrets de la France. » Cette analyse reste d’actualité.

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