Conjoncture : avis de beau temps

L’Afrique retrouve un taux de croissance de 5 % par an. Si les pays ne progressent pas tous au même rythme, les perspectives sont très favorables. Le continent aurait-il enfin rendez-vous avec le développement ?

Donald Kaberuka, président de la Banque africaine de développement, à Tunis, le 27 octobre. © Hichem

Donald Kaberuka, président de la Banque africaine de développement, à Tunis, le 27 octobre. © Hichem

Publié le 19 novembre 2010 Lecture : 5 minutes.

Tout est bien qui finit bien. L’économie fonctionne-t-elle sur les mêmes ressorts que le cinéma ? Inquiet pour l’Afrique au début de 2010, le Fonds monétaire international (FMI) retrouve le sourire en cette fin d’année. L’institution a confirmé le 2 novembre les bonnes perspectives économiques du continent entrevues en octobre, avec une prévision de croissance de 5 % pour l’Afrique subsaharienne en 2010 et de 5,5 % en 2011. « L’Afrique est le continent qui connaît la plus forte croissance au monde après l’Asie », assure Abebe Selassie, économiste au FMI.

Même si cela ne suffira pas pour sortir le continent de la pauvreté, l’économie renoue avec le rythme de croissance moyen du PIB qu’elle connaît depuis le début des années 2000, faisant (presque) oublier le faux pas de 2009 (2,9 %). « Tous les pays africains ont bien résisté à la crise, y compris les plus pauvres, grâce aux politiques macroéconomiques des États et aux nombreuses annulations de dettes », explique Roger Nord, économiste au département Afrique du FMI.

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« Ce n’est pas encore la flamboyance, mais nous ne sommes plus dans l’afro-pessimisme des années 1980 et 1990. J’appellerais ça de l’afro-réalisme », s’est félicité, le 27 octobre, Donald Kaberuka, le président de la Banque africaine de développement (BAD), lors de la conférence économique annuelle organisée par l’institution régionale à Tunis. La prudence reste de mise. La reprise africaine dépendra fortement de la santé de l’économie mondiale. Et tous les dangers ne sont pas écartés. Les difficultés qui menacent le continent par un effet de contagion n’ont pas encore été éliminées, loin s’en faut (anémie des économies européennes et impact sur les exportations africaines, guerre des monnaies, spéculations sur les matières premières, etc.).

Renforcer les liens avec l’Asie et l’Amérique latine

Pour que les perspectives de croissance se concrétisent sur le continent, il faudra que l’économie mondiale progresse de 4 % à 4,5 % par an. Ce qui est loin d’être acquis. « L’assainissement des finances publiques et l’austérité budgétaire dans les principales économies développées présagent une réduction de la demande mondiale qui aura des incidences directes sur les exportations de l’Afrique et sur l’aide publique au développement, dont le besoin se fait cruellement sentir », redoute Abdoulie Janneh, le secrétaire général adjoint de l’ONU et secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Afrique.

C’est pour cette raison que tous les observateurs insistent pour que le continent renforce ses liens avec les pays émergents d’Amérique latine et d’Asie, qui connaîtront, comme la Chine, des taux de croissance de plus de 7 %. La tendance est en marche et explique en partie la résistance de l’Afrique à la crise. L’Asie absorbe désormais jusqu’à 27 % des exportations africaines, contre 14 % en 2000. Un chiffre qui se rapproche de celui des exportations du continent vers ses partenaires traditionnels d’Europe et des États-Unis.

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Toutefois, l’ensemble des économies africaines ne progresseront pas au même rythme. « La reprise sera très différente selon les pays. Si elle sera lente en Afrique du Sud, la plupart des pays retrouveront très vite leur niveau de croissance d’avant la crise », nuance Roger Nord. Le FMI distingue huit pays (Bostwana, Cap-Vert, Éthiopie, Maurice, Mozambique, Ouganda, Rwanda et Tanzanie). Entre 1995 et 2009, leur PIB par habitant a plus que doublé, soulignant le dynamisme de ces économies, presque toutes à l’est du continent et anglophones… Contre une progression de « seulement » 60 % pour le Burkina Faso, premier pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) classé dans ce domaine.

Autre différence : les huit pays encensés par le FMI ont connu une croissance moyenne de 6,8 % par an depuis 1995, contre 3,6 % pour les pays de l’UEMOA. L’institution de Washington a voulu comprendre les raisons de cet écart, même si « le Sénégal, le Mali, le Burkina Faso et le Bénin font presque aussi bien », tempère Roger Nord. Selon lui, un niveau d’investissement moindre du public et du privé, des économies moins compétitives, avec un environnement des affaires plus difficile et des infrastructures (routes, production d’électricité…) moins performantes, ainsi qu’un accès plus restreint aux sources de financements, expliquent ces différentiels de croissance.

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Le club des «Bric » bientôt talonné ?

Il n’empêche. Dans un contexte mondial troublé, et malgré des performances très disparates, les économies africaines préserveront leur dynamisme en misant d’abord sur leurs propres forces. « La demande intérieure devrait rester vigoureuse en s’appuyant sur la hausse des revenus réels et le rythme soutenu de l’investissement », note le FMI. « À partir de 2011, la croissance devrait légèrement ralentir dans les pays en développement d’Asie tandis qu’elle devrait s’accélérer modérément en Afrique subsaharienne », avance même l’institution. L’Afrique championne du monde de la croissance ? Un scénario prématuré. Mais qui sait ? « Les études le prouvent : l’Afrique ne souffre pas de l’absence d’entreprises compétitives mais de celle d’un système compétitif », insiste Pascal Lamy, le président de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

Les économistes qui observent le continent ont d’ailleurs identifié les clés pour inscrire son développement dans le temps. « Quatre éléments sont cruciaux à mon avis pour mettre les pays africains sur une voie de croissance durable à long terme : accélérer l’intégration régionale, établir une meilleure planification faisant pleinement intervenir le secteur privé, diversifier les économies en termes de secteurs et de géographie, et mobiliser des ressources pour financer le développement », dresse, comme feuille de route pour les années à venir, Abdoulie Janneh.

L’Afrique va décoller. Même les observateurs les plus récalcitrants ou les plus difficiles à convaincre en sont persuadés. Après les cabinets de conseil américains Boston Consulting Group et McKinsey, c’est au tour de leur compatriote Goldman Sachs de faire l’éloge du continent dans une étude datée du 14 octobre. « De plus en plus de groupes étrangers regardent les opportunités en Afrique, et la question qu’ils nous posent le plus souvent est de savoir quand les Africains connaîtront un futur aussi éclatant que les Brésiliens, les Russes, les Indiens ou les Chinois [les Bric, NDLR] », relèvent les économistes de Goldman Sachs Asset Management. Selon eux, l’Égypte et le Nigeria talonneront les Bric d’ici à 2050. Ils formeront le groupe des « onze pays africains » les plus développés avec la RD Congo, l’Éthiopie, le Kenya, le Maroc, l’Afrique du Sud, le Soudan, la Tanzanie, l’Ouganda et le Zimbabwe. « Pour que ce scénario se matérialise, il faudra que ces pays soient transparents et disposent d’un environnement des affaires attrayant, conclut Goldman Sachs. Sinon, le rêve du continent africain rejoignant les Bric n’aura été qu’un rêve. »

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