Omelette norvégienne

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Publié le 11 octobre 2010 Lecture : 2 minutes.

C’est une grande première : en décernant, le 8 octobre, le prix Nobel de la paix au dissident chinois Liu Xiaobo, les jurés d’Oslo ont enfin réparé un incompréhensible déni. Souvent brocardée pour le choix de ses lauréats, mais toujours prestigieuse, la distinction créée en 1901 par le marchand de mort et inventeur de la dynamite Alfred Nobel, certainement soucieux de soulager sa conscience (bientôt un prix Viktor Bout ?), n’avait jamais échu au moindre Chinois. Des Américains à foison, des Français et des Britanniques, beaucoup. La Birmanie, le Japon, le Vietnam, le Tibet, même le Timor oriental, ont aussi eu leurs élus. Il est vrai que les militants des droits de l’homme et des libertés du monde entier, y compris en ­Afrique, trouvent assez aisément tribunes et soutiens. Leurs combats sont relayés, parfois amplifiés. Mais dès qu’il s’agit de la Chine, deuxième puissance économique mondiale fraîche émoulue, beaucoup se mettent à regarder leurs chaussures…

Malgré les pressions, les mises en garde, puis les menaces, l’Institut Nobel a donc décidé de ne pas rééditer le scénario de 2008, quand, à quelques mois des Jeux olympiques de Pékin, il avait préféré distinguer le Finlandais Martti Ahtisaari en lieu et place du dissident chinois Hu Jia, dont le nom était pourtant sur toutes les lèvres. Bien sûr, la « cuisine » norvégienne du Nobel, à l’instar de la célèbre omelette du pays des fjords, mélange tellement d’ingrédients – lobbying, influence des puissants, intérêts diplomatiques, air du temps – qu’il est difficile d’établir des critères clairs et précis. Tous les ans, donc, choix et oublis essuient le feu des critiques. À propos de lauréats « discutables » (Theodore Roosevelt, Anouar al-Sadate, Henry Kissinger, Itzhak Rabin ou Yasser Arafat, entre autres) ou jugés prématurés, comme Barack Obama, élu en 2009 sur la seule base de ses intentions. Ce dernier choix était en effet loin de couler de source, il faut bien le reconnaître, mais à Jeune Afrique, nous n’en avions pas moins estimé qu’il était « intelligent ».

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Tous les autres prix, sans exception, font aussi l’objet de critiques. Qu’il s’agisse de leurs récipiendaires, mais aussi de leurs « parrains ». Le prix international pour la recherche en sciences de la vie Teodoro Obiang Nguema, décerné par l’Unesco, dont l’attribution a été reportée après une vive controverse autour de son donateur, en est la dernière illustration.

Le Nobel 2010 de la paix, lui, ne souffre aucune contestation. Parce que Liu Xiaobo, 54 ans, condamné en décembre 2009 à onze ans de prison pour ses convictions démocratiques, a amplement mérité sa distinction. Parce qu’il est, pour la deuxième fois d’affilée, audacieux. Parce qu’il met fin à une honteuse omerta. Et, peut-être, parce qu’il permettra aux dirigeants chinois – certes contraints et forcés mais existe-t-il un autre moyen ? – d’ouvrir un peu les yeux sur l’évolution de leur pays et de leurs citoyens, en attendant d’ouvrir les vannes… 

Retrouver notre enquête « Quand "l’usine du monde" fermera ses portes », dans le numéro 2596 de Jeune Afrique, en kiosques du 10 au 16 octobre.

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