Pourquoi le tourisme ne fait plus recette

En Tunisie, pays où il fait « si doux que l’on oublie d’y mourir », le tourisme balnéaire n’attire plus autant de monde que dans les années passées. Seul remède : une plus grande diversification de l’offre.

Sur une plage tunisienne. © D.R.

Sur une plage tunisienne. © D.R.

Publié le 1 octobre 2010 Lecture : 5 minutes.

Depuis les répercussions du 11 septembre 2001 jusqu’à la récente récession mondiale, le tourisme tunisien a, bon an mal an, amorti les grandes crises de la décennie. Mais le record de 7 millions de visiteurs enregistré en 2009 ne suffit pas à masquer les difficultés d’un secteur en perte de vitesse par rapport à ses concurrents, tels que la Turquie et le Maroc. Et si les effets bénéfiques du tourisme intermaghrébin ont fait illusion pendant quelque temps – les Algériens ont largement contribué aux 3,358 milliards de dinars (1,7 milliard d’euros) de recettes en 2009 –, la 44e destination la plus compétitive au monde, selon un rapport établi par le Forum économique mondial de Davos, est à la recherche d’un second souffle.

C’est en tout cas ce qui ressort d’une étude conduite par le cabinet de conseil en stratégie et management Roland Berger, dont les résultats, annoncés par le ministère tunisien du Tourisme en juillet, ont fait l’objet d’une consultation nationale interprofessionnelle. Cette analyse confirme les atouts du tourisme national – la proximité avec l’Europe, une histoire et un patrimoine riches et diversifiés, des infrastructures modernes et un certain savoir-faire –, mais pointe aussi les nombreuses carences.

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La dépendance vis à vis des tour-opérateurs

Ce qui handicape désormais le tourisme tunisien est en partie ce qui avait fait son succès : l’accent mis sur le balnéaire. C’est en effet pendant la belle saison, entre mai et octobre, que le secteur réalise 70 % de son chiffre d’affaires. En outre, la thalassothérapie et le tourisme saharien et golfique ont été développés comme des produits dérivés, simples compléments au balnéaire. Ensuite, le parc hôtelier, parfois vieillissant, propose une offre d’hébergement trop peu diversifiée et de qualité variable, malgré les 240 000 lits dont il dispose.

Par ailleurs, la septième place mondiale de la Tunisie en matière d’offre de prix en dit long sur la politique de bradage et sur la dépendance avec les tour-opérateurs. Même quand ils ne gèrent pas eux-mêmes les unités hôtelières, ces derniers pèsent de tout leur poids, puisqu’ils drainent en moyenne 70 % des touristes du marché tunisien. Enfin, fortement endetté, le secteur hôtelier est pris dans un engrenage où, pour sauver sa peau, il doit investir tout en jonglant avec les intérêts bancaires. Ce n’est pas seulement une question de mise de fonds, mais aussi d’investissement en capital humain. Le tourisme emploie directement 400 000 personnes, mais la qualité de service souffre d’un déficit de formation et de mise à niveau, bien que celle-ci bénéficie du soutien de l’État.

L’image de la destination Tunisie, ce pays où, disait Gustave Flaubert, le climat « est si doux que l’on oublie d’y mourir », manque d’un contenu à forte valeur ajoutée. La promotion axée sur le balnéaire fait de l’ombre aux autres prestations, peu valorisées en tant que produits à part entière. La promesse d’eaux cristallines et de plages infinies ne suffit plus à attirer une clientèle en quête d’offres plus adaptées à ses désirs d’exotisme et d’animation. Qui plus est, cette image a une connotation de tourisme de masse peu séduisante pour des vacanciers dont les goûts ont radicalement évolué depuis les glorieuses années 1980-1990. L’impasse faite par les campagnes de communication sur les spécificités et les richesses régionales contribue à donner au tourisme tunisien un positionnement nivelé et peu attrayant. Comme le relève Mounir Ben Miled, président d’honneur de la Fédération tunisienne d’hôtellerie, « nous avons des pierres historiques, certes, mais si nous ne savons pas les faire parler, elles ne servent à rien ».

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À tous ces handicaps s’ajoute une approche marketing sans réelle stratégie et un peu obsolète, où les outils interactifs offerts par les nouvelles technologies ne sont pas mis à contribution. Alors que le tourisme mondial tient compte des exigences d’une clientèle qui, à 70 %, compose son voyage à la carte via internet et profite de l’ouverture du ciel, rares sont les opérateurs tunisiens, à l’instar du groupe Boussarsar, qui se sont donné les moyens d’avoir une présence dynamique sur la Toile. La défection de la demande allemande, par exemple, a été fortement ressentie. Reinhard Petry, président de l’Association européenne des spas, confirme l’importance de la communication : « Les Allemands sont prêts à se déplacer, il faut juste les informer. L’information, l’innovation et l’investissement sont primordiaux pour être présent sur le marché européen. »

Mobilisation générale

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Tout est aussi question de budget, et celui du tourisme tunisien, à hauteur de 27 millions d’euros en 2009, semble bien maigre en regard des 82 millions d’euros que la Turquie consacre à ce secteur. Ahmed Smaoui, ancien PDG de l’Office national du tourisme (ONTT), résume la situation en ces termes : « On constate, non sans amertume, un recul objectif de l’image… Il faut l’intervention de tous. Espérons que ce plan d’action aboutisse à un infléchissement qui nous permettra de nous corriger, de nous remettre en question et de remédier aux lacunes. »

Si cette analyse n’apporte rien que les professionnels tunisiens ne sachent déjà, elle a le mérite de définir clairement les faiblesses et de proposer un programme pour relancer le secteur. Slim Tlatli, ministre du Tourisme, a fait des conclusions et recommandations de cette analyse sa feuille de route, mettant l’accent sur la diversification, l’innovation et la qualité, pour atteindre les objectifs ambitieux assignés au tourisme tunisien à l’horizon 2014 : 5,365 milliards de dinars (2,8 milliards d’euros) de recettes en devises, soit une croissance annuelle de plus de 5,5 %, pour 10 millions de visiteurs. La nécessaire montée de gamme impose une refonte du secteur, mais aussi une adaptation des divers partenaires du tourisme. Il s’agit donc, à partir de synergies, de créer une autre image du pays à travers des ouvertures, dont, par exemple, l’événementiel, en dotant les villes, à commencer par Tunis, d’une vie nocturne et d’un programme de manifestations culturelles attractives.

« Pas de tourisme de capitale »

Ahmed Slouma, autre ancien patron de l’ONTT, note qu’« à force d’avoir trop misé sur l’hôtellerie balnéaire, [le pays a] créé un déséquilibre sur Tunis. Conséquence : [il n’y a] pas de tourisme de capitale ». Si les Tunisiens renouent avec leurs espaces urbains, les touristes suivront. Cela a été le cas durant le ramadan : les très nombreux promeneurs ont été enchantés de découvrir le charme de la partie rénovée de la médina de Tunis. Tous souhaitent que cette animation, qui donne vie au centre historique, soit maintenue tout au long de l’année.

Alors qu’une partie de la profession semble un peu lasse et désabusée, il n’en demeure pas moins que le secteur ressent le besoin de se fédérer, d’où le projet de création d’une Union tunisienne pour les professionnels du tourisme qui associera aussi les secteurs collatéraux. Même si beaucoup pensent que ce ne sera là qu’une instance de plus et doutent que la mobilisation puisse avoir un effet moteur sur l’ensemble des intervenants, chacun s’accorde à souligner la nécessité de relancer la filière touristique, car elle contribue au PIB à hauteur de 7 % et génère 18 % à 20 % des recettes en devises du pays chaque année, sans oublier son effet d’entraînement sur des secteurs tels que les transports, les communications, l’artisanat et le bâtiment.

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