Kabila à la reconquête de l’Est

Pour espérer gagner la présidentielle de 2011, le chef de l’État doit s’assurer que son fief est toujours derrière lui. Mais après des années de guerre et de promesses non tenues, la région est loin de lui être acquise.

Lors d’une précédente tournée dans le Nord-Kivu, en 2007. © Joe Bavier/Reuters

Lors d’une précédente tournée dans le Nord-Kivu, en 2007. © Joe Bavier/Reuters

Publié le 27 septembre 2010 Lecture : 7 minutes.

Surtout ne pas parler de précampagne. À un an de la présidentielle, la visite du chef de l’État dans l’est du Congo n’est en aucun cas une tournée électorale. C’est en tout cas ce que le Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD), son parti, s’évertue à expliquer. « Ce voyage est une exigence républicaine. Le président ne peut rester dans une tour d’ivoire, il doit aller à la rencontre du peuple », martèle Koya Gialo, membre du PPRD et secrétaire exécutif de l’Alliance pour la majorité présidentielle (AMP). En revanche, pour l’opposition, et même pour certains de ses alliés au sein de l’AMP, cela ne fait aucun doute : Joseph Kabila est à la reconquête de l’Est.

Il y a quatre ans, c’est là-bas qu’il a été élu. Sur les 58 % des voix obtenues lors de la présidentielle, plus de 90 % venaient des provinces de l’Est : du Katanga, bien sûr, la région d’origine de son père, des deux Kivus et de la Province orientale. Pour espérer obtenir un nouveau mandat en 2011, il doit s’assurer que la région est toujours derrière lui.

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Beaucoup d’erreurs

Dans le Katanga, province la plus riche du pays, où il avait fait le plein des voix en 2006, il peut s’appuyer sur le puissant gouverneur Moïse Katumbi. Les Kivus, meurtris par une guerre intermittente depuis 1996, et la Province orientale sont en revanche des bastions plus fragiles. Élu sur la promesse de ramener la paix, le président doit aujourd’hui admettre que le contrat n’est pas rempli. Avec son million et demi de déplacés, ses viols en série et son insécurité chronique, la région est loin d’être pacifiée.

« Là-bas, la page Kabila est tournée. Il a montré qu’il n’était pas l’homme de la situation. Il a commis beaucoup d’erreurs et il aura du mal à refaire les scores de 2006 », affirme un élu de la région, qui fut son allié. « Dans cette tournée, il a fait finalement ce qu’il sait faire de mieux : conduire un véhicule », ajoute-t-il, un peu perfide, faisant allusion au fait que le chef de l’État a effectué une grande partie de ses déplacements à l’Est au volant de sa jeep.

Originaire de Beni (Nord-Kivu), le ministre de la Décentralisation et ex-chef de groupe armé, Mbusa Nyamwisi, estime que Joseph Kabila a eu tort « d’évacuer tous les relais qu’il avait à l’Est, à commencer par Vital Kamerhe ». L’ancien président de l’Assemblée nationale, également ex-secrétaire général du PPRD et député de Bukavu, ne fait plus mystère de ses ambitions et se lance pour son compte dans la campagne présidentielle. Début septembre, il a d’ailleurs renoncé à un déplacement dans son fief pour que sa venue ne soit pas interprétée comme un signe de soutien à Joseph Kabila. Le parti de Mbusa Nyamwisi, toujours membre de l’AMP mais de plus en plus frondeur, conserve une certaine influence dans le Nord-Kivu, notamment par le biais du gouverneur de la province, Julien Paluku. Quant au Sud-Kivu, il est dirigé depuis juillet par un proche de Kabila, Marcellin Chisambo, anciennement conseiller à la présidence.

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« La popularité du chef de l’État ici était en chute libre. Mais il a délivré un message encourageant, et nous attendons maintenant sa concrétisation », commente Jason Luneno, président de la société civile du Nord-Kivu. Bien que très critique sur le bilan des quatre premières années, il a apprécié la méthode Kabila. « Il a rencontré et écouté tout le monde. Il a passé quatre heures avec les représentants locaux, officiels, société civile, religieux, chef coutumier, toutes les forces vives. Moi-même, j’ai pu lui parler pendant vingt minutes. Il écoute, prend des notes et répond. Ça, c’est une gouvernance moderne ! »

Lors de cette tournée, qui l’a amené dans tous les chefs-lieux de province mais aussi dans la région tourmentée de Walikale et au fin fond du Masisi, le chef de l’État ne s’est jamais adressé à la foule. Pas de harangue, pas de discours, pas de grand meeting. D’abord parce que c’est un exercice où il n’excelle pas, ensuite parce qu’il n’est pas question de se donner des airs de candidat en campagne.

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Outre les multiples réunions à huis clos, Joseph Kabila s’est appliqué à relancer quelques chantiers attendus depuis longtemps, comme le bitumage de l’avenue principale de Butembo. « C’est bien, mais on attend plus. C’est épuisant de vivre ici. On n’a pas d’eau, l’électricité est rare. Les Cinq Chantiers ici n’ont toujours pas démarré. Nous sommes dans une situation désespérée », commente Jason Luneno. Les Cinq Chantiers regroupent les priorités du gouvernement, de l’emploi à l’éducation, en passant par les infrastructures, l’eau ou la santé. « Depuis quatre ans, il n’y a que des poses de première pierre. Beaucoup de chantiers lancés et rien ou presque de concret. À Kinshasa ou dans d’autres provinces, on commence à voir quelques réalisations. Mais à l’Est, rien », estime pour sa part Vital Kamerhe. Quant à Mbusa Nyamwisi, il regrette que « Kinshasa continue d’asphyxier les provinces, en particulier celles de l’Est. Globalement, les gens ne sont pas contents. Le président monte sur des tracteurs mais ne parle pas aux populations ».

« Batailles rangées »

« Reprenez vos cinq chantiers, apportez-nous la sécurité », pouvait-on lire sur une des banderoles déroulées à Butembo par une organisation de la société civile. Car la préoccupation principale des populations de l’Est reste l’insécurité chronique. Koya Gialo a beau assurer que « l’orage est terminé » et qu’il n’y a plus de « batailles rangées », la situation demeure extrêmement tendue.

Le discours officiel agace, et, il y a quelques mois, un groupe de députés du Sud-Kivu avaient adressé une lettre au Premier ministre, Adolphe Muzito, lui demandant « s’il habitait dans le même pays » qu’eux. Dire que la paix est rétablie, estimaient les édiles, est « sadique et irresponsable ».

De larges parties du territoire, dans les deux Kivus, sont toujours livrées aux bandes armées. L’opération de pacification lancée en janvier 2010, appelée « Amani Leo » (« la paix aujourd’hui »), troisième du genre dans la région, n’a pas donné de grand résultat. Selon un rapport publié le 14 septembre par Human Right Watch, la situation sécuritaire dans l’Est ne s’est pas améliorée. Les Nations unies estiment que, parallèlement, la situation humanitaire s’est dégradée.

Les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), majoritairement formées de Hutus et cible principale de cette opération, ont été accusées d’avoir commis des viols systématiques au début du mois d’août dans la région de Walikale. Anciennes alliées des forces régulières congolaises, les FDLR sont, depuis le rapprochement de Kinshasa et Kigali fin 2008, retranchées dans les forêts denses de l’Est, où, comme d’autres bandes armées, telles que les groupes Maï-Maï, elles exploitent les ressources minières.

Groupes mafieux

La réponse de Joseph Kabila aux attentes des populations en matière de sécurité a donc été, outre la permutation de quelques commandants et officiers, d’interdire toute exploitation minière dans la région, une mesure qui touche le Nord-Kivu, le Sud-Kivu ainsi que le Maniema. Le communiqué officiel, publié à la mi-septembre, dénonce « les activités de groupes mafieux » dans l’exploitation minière, montre du doigt les rebelles et condamne « l’implication manifeste d’autorités locales, provinciales et nationales ».

Beaucoup de mines artisanales sont aux mains des FDLR, mais aussi des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC), dont plusieurs unités sur place sont composées d’anciens rebelles du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), intégrées depuis 2009 à l’armée régulière. « Ces unités obéissent toujours à leurs anciennes hiérarchies et exploitent des mines pour leur compte », analyse, sur les ondes de Radio Okapi, Daniel Balint-Kurti, chargé de campagne pour l’ONG Global Witness.

FDLR, FARDC, anciens CNDP, Maï-Maï… Les alliances changent, mais le pillage continue. Et si l’interdiction d’exploitation minière a été plutôt bien accueillie par les populations et les responsables locaux du secteur, elle suscite aussi quelques inquiétudes. D’abord pour les milliers de civils qui travaillent dans ces mines et qui n’ont pas d’autres sources de revenus. Ensuite pour les habitants des zones enclavées, qui dépendent souvent des hélicoptères et des avions des compagnies minières pour leur ravitaillement en produits de première nécessité.

« Il y aura un fort impact économique et social. Notre secteur représente 40 % des recettes de la province. Nous boostons toutes les activités : celles de la distribution des denrées alimentaires, du carburant, etc. À nous seuls, nous injectons 10 millions de dollars [7,7 millions d’euros] par mois dans les banques commerciales de la région », explique John Kanyoni, président de la Corporation des comptoirs miniers du Nord-Kivu et membre de la Fédération des entreprises du Congo (FEC). John Kanyoni, s’il dit soutenir l’initiative gouvernementale, espère que des mesures d’accompagnement seront prises rapidement.

Plusieurs analystes estiment cependant la mesure inapplicable, en raison de l’implication – directe ou indirecte – de plusieurs responsables militaires, voire de politiques, et parce que, comme le souligne Daniel Balint-Kurti, « la région échappe largement au contrôle du gouvernement ». « Je ne vois pas très bien comment on peut arrêter un trafic que l’on ne contrôle pas. Les minerais sortaient de façon illégale, ils continueront à sortir. Direction le Rwanda », renchérit Vital Kamerhe. Lui estime que les pays acheteurs de minerais devraient, à l’instar des États-Unis, légiférer pour interdire la commercialisation des « minerais du sang ».

Malgré les attentes encore énormes de la part des populations locales, Kabila reste le favori. En tout cas pour l’instant. Kamerhe pourrait jouer le trublion, même si, plus encore que le chef de l’État, il aura besoin d’alliances pour sortir de sa base orientale.

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