Affaire Elf : retour à la case prison

À 66 ans, Loïk Le Floch-Prigent est contraint par la justice à un retour à la case prison pour quelques mois de plus. Malgré les plaintes de son avocat, la justice reproche à l’ancien responsable d’Elf d’avoir triché sur ses « facultés contributives ».

Loïk Le Floch-Prigent, le 8 avril 2004. © JACK GUEZ/AFP

Loïk Le Floch-Prigent, le 8 avril 2004. © JACK GUEZ/AFP

Publié le 15 septembre 2010 Lecture : 3 minutes.

Pour une fois, l’adage aura menti. Le retour en prison pour six mois de Loïk Le Floch-Prigent montre qu’on peut avoir été puissant – au sommet de la puissance – et se retrouver misérable – au fond d’un cachot de banlieue.

Accusé de « détournements gravissimes », l’ex-patron du géant pétrolier Elf (absorbé par Total) avait été trois fois condamné : à trente mois, puis cinq ans de prison ferme, et à quinze mois avec sursis. Il en avait purgé dix-neuf et demi avant de bénéficier d’une suspension de peine pour raison de santé. Me Chouraqui, son avocat, a aussitôt fait appel de sa réincarcération. Il s’indigne de cet « acharnement dévastateur » contre un homme de 66 ans atteint d’un cancer de la prostate et de psoriasis, alors qu’une transaction sur le paiement de ses dettes était intervenue avec son ancienne société.

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Cache cash

C’est ce dernier point, pourtant, qui vaut à Loïk Le Floch-Prigent ses nouveaux déboires. La cour d’appel de Versailles puis la Cour de cassation lui reprochent non seulement de ne pas avoir payé l’intégralité des réparations dues à Total, mais d’avoir triché, pour y échapper, sur ses «facultés contributives ». Elles relèvent que, après avoir refusé de toucher sa retraite de crainte qu’elle ne soit saisie, il a reçu une somme de plus de 500 000 euros en provenance d’un compte dont il a affirmé ne pas connaître l’existence.

Il a également assuré travailler bénévolement pour plusieurs chefs d’État africains (au Tchad et au Congo-Brazzaville notamment) sans que la justice en obtienne confirmation. Bref, tout se passe comme si les magistrats le soupçonnaient d’avoir mis quelque part à l’abri, tel un vulgaire braqueur de banque, un magot suffisamment important pour mériter, plutôt que de le rendre, quelques mois supplémentaires de prison.

Une autre figure de l’affaire Elf, Christine Deviers-Joncour, avait fait le calcul inverse. Elle avait intégralement restitué les sommes qu’elle avait perçues pour ses malversations d’intermédiaire. Elle n’en fut pas moins lourdement condamnée. « La justice est une longue patience », avait rappelé Eva Joly lorsqu’elle instruisait le dossier. Il lui aura fallu des années d’investigations inlassables pour débusquer, dans l’écheveau des « bonus » pour l’attribution des forages, les centaines de millions de francs de pots-de-vin et autres bien nommées « rétrocommissions », car une large part en revenait à ceux qui les prodiguaient.

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Casse du siècle

Dans ce roman incroyable mais vrai, d’une cupidité jamais égalée, les coupables ont été sévèrement punis, à une ou deux exceptions près. Ils ne devaient sortir de prison qu’après avoir remboursé les 480 millions d’euros réclamés pour leur casse du siècle. Le Floch-Prigent paye aujourd’hui le dernier prix de ce serment des juges unanimement salué à l’époque comme le premier progrès dans la lutte, toujours recommencée, contre la corruption.

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Le procès n’a pas réussi, en revanche, à faire la lumière sur les bénéficiaires politiques des caisses noires qui ont permis à Elf d’arroser pendant des années les partis de toutes tendances. Aux dernières heures des débats, en septembre 2003, une avocate camerounaise avait demandé à l’autre principal inculpé, Alfred Sirven : « Pourquoi vous abritez-vous tous derrière les chefs d’État africains ? Pourquoi refusez-vous de livrer les noms des hommes politiques français que vous avez payés ? » Après un moment d’hésitation, l’ancien directeur des affaires générales d’Elf avait fini par lâcher : « On n’oublie pas d’où l’on vient. »

Or, d’où venaient-ils, lui, Le Floch-Prigent et la plupart des autres ? De la politique, pardi ! Et plus précisément de ces officines ministérielles et autres filières paraétatiques qu’Edgar­ Faure appelait en connaisseur les « technostructures » et dont Elf, longtemps célébré comme un fleuron par les discours officiels, était aussi l’inépuisable pourvoyeur. Entre corrupteurs et corrompus, l’omerta aura tenu jusqu’au bout. Jusqu’au seuil de la prison.

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