Marcel Gotène : « Je suis un drôle de type ! »

Peintre, sérigraphe, tapissier, le maître est à l’honneur à la Galerie Congo de Brazzaville jusqu’au 28 août. Petite esquisse de son univers magique et bigarré.

Marcel Gotène, à son domicile. © Baudouin Mouanda pour J.A.

Marcel Gotène, à son domicile. © Baudouin Mouanda pour J.A.

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Publié le 19 août 2010 Lecture : 4 minutes.

Congo, l’âge de raison
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Congo, l’âge de raison

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Marcel Gotène habite à Mikalou, un quartier de Talangaï, le 6e arrondissement de la capitale, dans le nord de Brazzaville. C’est un quartier populaire, populeux, pauvre, avec seulement deux petites voies d’accès. La maison est facile à trouver : tous ses voisins connaissent Gotène. Une fois le seuil franchi, surprise : l’espace est aussi vaste que dépouillé. Un vieil homme est assis sur une chaise, dans la pénombre. Sa respiration à peine perceptible.

Est-il sur le point de rendre l’âme ? Il bouge. Comment aborder cet homme au corps émacié, aux gestes lents, à la voix éteinte qui nous invite à nous asseoir. Petit à petit, il se ranime et s’anime, au milieu de tableaux aux couleurs gaies adossés aux murs. Alors, ô miracle, Gotène parle. Pour dire, de façon énigmatique : « Je suis un drôle de type ! »

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Le temps du charbon de bois

Né en 1939 à Yaba, dans la partie septentrionale du Congo, Gotène débarque à Brazzaville à l’âge de 8 ans, recueilli par un membre de sa famille. « Mal nourri, mal soutenu », il abandonne l’école. Ce qu’il aime ? Dessiner en se servant du charbon de bois comme pinceau et couleur à la fois. Une passion qui le conduit à intégrer, en 1951, année de sa création, une structure artistique dirigée par un Français, Pierre Lods, qui va devenir célèbre sous le nom d’École de Poto-Poto. Il veut apprendre à dessiner. Il explore sa personnalité. « À l’École de Poto-Poto, nous n’avons rien appris. Chacun amenait ce qu’il avait de mieux. Je voulais avant tout rester original. »

Deux ans plus tard, Gotène participe à la foire de Brazzaville avec des gouaches. Les ventes sont plutôt bonnes : il gagne 8 000 francs – ce qui n’était pas rien à l’époque –, qui lui permettent de s’équiper. Et, en 1954, il se retrouve à Paris, pour une exposition consacrée aux gouaches. L’apprentissage se poursuit.

Ses œuvres sont alors pleines de scènes de danse, de petites maisons en paille, de rivières où glissent les pirogues, de chasseurs armés de sagaies… Une Française, qui découvre son travail en 1963, trouve que ses couleurs ressemblent beaucoup à celles utilisées par le peintre français Jean Lurçat, connu pour avoir donné ses lettres de noblesse à la tapisserie. Elle en parle à Lurçat, qui invite Gotène en France.

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De Brazza à Aubusson

S’il travaille avec le maître afin de s’améliorer, le jeune Congolais se sent isolé, d’autant qu’il ne maîtrise pas encore la langue française. Il en apprend néanmoins beaucoup avant de regagner son pays. Lors d’un nouveau séjour en France, il s’inscrit à l’École nationale des arts décoratifs d’Aubusson, où il étudie de façon plus académique la tapisserie. Revenu au Congo en 1975, il repart en 1983.

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Naviguant entre le figuratif et l’abstrait, Gotène crée des personnages, des paysages, des atmosphères au surréalisme déroutant. Son univers est fait de blanc, de bleu, de rouge, de jaune, de noir, de vert et d’un peu de marron. Il n’hésite pas à créer des êtres monstrueux à deux têtes. À travers son art, « même si les gens ne voient que les couleurs », il veut dénoncer ce qu’il y a de négatif dans la vie quotidienne. Mais concède que « si les gens ne comprennent pas le message du peintre, ce n’est pas de leur faute ».

L’artiste dans son atelier.

© Baudouin Mouanda pour J.A.

L’oeuvre de Dieu…

Lorsqu’il travaille, Marcel Gotène­ peint généralement le matin ou l’après-midi et « laisse [sa] tête se reposer pendant quelques jours sans toucher aux pinceaux. Il y a des tableaux faciles au démarrage et à la finition, explique-t-il. Le plus difficile, c’est l’inspiration, à laquelle il faut ajouter la composition. Si c’est mal fait, il faut tout déchirer. Le regard de l’artiste se travaille ». Il sourit alors en racontant qu’il a toujours dans son atelier un tableau inachevé commencé en… 1981.

Au cours de sa longue carrière, Gotène a beaucoup exposé et vendu de nombreux tableaux. Pourtant, être peintre et vivre de son art n’a pas été facile. Il se souvient, avec une certaine amertume, d’une époque où il se sentait méprisé par la société : « Je ne suis pas venu au monde pour changer l’homme, mais j’aime le respect. »

Aujourd’hui, il est convaincu que les choses ont évolué et que ses compatriotes commencent à saisir l’importance de l’art et du respect dû aux artistes. Et déclare illico sans modestie : « Quand je redécouvre mes œuvres, je me dis que je suis un grand parmi les grands. » Et, parlant de grandeur, selon lui, peindre ne procède pas du hasard mais d’une volonté divine : « Une haute philosophie, qui n’appartient qu’à Dieu, guide mes pas. » Ce qui ne l’empêche pas d’avoir toujours un doute sur la sincérité du regard des autres, sur lui et sur ses œuvres, dans une société congolaise dont les codes lui échappent parfois.

« Si j’avais à recommencer ma vie, vu ce que nous vivons dans nos sociétés, je ne serais pas peintre », confie-t-il d’un air las. Exigeant avec les autres comme avec lui-même, il est toujours préoccupé par l’image : celle du pays, « qu’il ne faut pas couvrir de honte », surtout à l’occasion de toute exposition d’œuvres d’artistes congolais à l’étranger. Il exige qu’on y mette tous les moyens nécessaires, sinon, dit-il, « l’à-peu-près est une humiliation ».

Ainsi va Marcel Gotène, dont les œuvres sont exposées à la Galerie Congo jusqu’au 28 août. L’occasion, pour ceux qui ne le connaissaient pas encore, de le découvrir. En cette année du cinquantenaire, c’est le meilleur hommage à lui rendre.

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