Cameroun : Nestlé, concurrent déloyal

Après sept ans de procédure, la justice a donné raison à une entreprise locale, Codilait. Le géant de l’agroalimentaire a été condamné à lui verser 720 000 euros. Une victoire pour son patron, Pius Bissek.   Le groupe suisse a annoncé qu’il allait faire appel de la décision du tribunal du Wouri Douala. © Laurent Gillieron/AP Photo/Keystone

Publié le 3 août 2010 Lecture : 3 minutes.

Parmi eux, des sociétés locales, mais surtout Nestlé Cameroun, filiale du groupe agroalimentaire suisse, qui devra payer la plus grosse part des réparations demandées par les juges : 472 millions de F CFA (720 000 euros) sur un total de 740 millions. « C’est inédit ! Dans la sous-région, je suis presque sûr d’être le seul qui ait jamais gagné contre ce géant », s’enthousiasme Pius Bissek. Peu importe que Nestlé ait annoncé son intention de faire appel. « Ça me redonne confiance en la justice de mon pays. »

Le bras de fer entre Codilait et Nestlé Cameroun commence en 1995, un an après la dévaluation du franc CFA. Si la mesure est une aubaine pour les exportateurs, ce n’est pas le cas pour ceux qui importent des matières premières.

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Avec ses 200 employés, Codilait est la première entreprise de fabrication de lait concentré sucré du Cameroun, et elle a du mal à garder le rythme. Son produit phare, Super Milk, se vend péniblement à 1 700 F CFA, le double de ce qu’il coûtait avant la dévaluation. Les marges se réduisent. Codilait a de plus en plus de mal à honorer ses créances.

Alors que Pius Bissek cherche une solution, de nouvelles marques arrivent sur le marché. « J’ai constaté, avec stupeur, que certains laits concentrés, comme le Gloria de Nestlé, se vendaient entre 900 et 1 000 F CFA », se souvient-il. Un peu par curiosité, un peu par suspicion, le chef d’entreprise fait analyser les produits de la concurrence. En lieu et place de graisses animales – nécessaires pour avoir l’appellation de lait -, il découvre des graisses végétales : « Huiles de palme, de coco, de soja. C’est normal qu’ils vendent moins cher : le prix de ces composés est bien moins élevé ! »

Encouragé par un ami avocat, il décide de porter l’affaire devant les tribunaux, en janvier 2003. « Après tout ce temps sans être écouté, je n’y croyais pas trop. » Et pourtant. Neuf mois après son dépôt de plainte, il est rejoint dans la procédure par le ministère des Finances, qui s’estime, lui aussi, lésé. En important des « aliments lactés » sous l’appellation « lait concentré », ces entreprises se soustrairaient à une partie des frais de douane, et un rapport d’expertise a estimé le manque à gagner à 2,8 milliards de F CFA (4,2 millions d’euros).

À l’arrêt

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Malgré le désistement du gouvernement camerounais en 2009, le tribunal a finalement tranché en faveur de Codilait. Contacté par Jeune Afrique, Nestlé se défend d’« employer des moyens illégaux pour nuire à ses concurrents ». L’entrepreneur camerounais, lui, espère qu’un procès en appel lui permettra d’obtenir un dédommagement encore plus important puisque les experts désignés par le tribunal estiment à 4,5 milliards de F CFA le préjudice subi par son entreprise. Mais à l’arrêt depuis la fin de 2004, les deux unités de production – l’une d’emballages métalliques et l’autre de transformation de lait – ont besoin d’un peu plus que d’une couche de peinture. Entre les arriérés de salaire, la réhabilitation du matériel, les impôts et le renouvellement des stocks… « la compensation, en l’état, ne suffira jamais à relancer Codilait, affirme Pius Bissek. Le combat continue ».

La bataille s’annonce longue, mais, entre deux audiences, il planchera sur un nouveau projet : écrire un livre sur le bras de fer entre le Petit Poucet de l’industrie africaine et le poids lourd de l’agroalimentaire mondial.

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Précision : le groupe Nestlé tient à souligner que, en septembre 2006, l’administration des douanes camerounaises « a clairement établi que Nestlé Cameroun n’avait commis aucune infraction douanière dans le cadre de l’importation du produit contenant des ingrédients non laitiers » et que « la notification officielle du jugement n’étant pas encore intervenue, la motivation exacte du jugement du 14 juillet 2010 est pour l’heure inconnue ».

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