Agoa : chronique d’une mort annoncée
Les États-Unis souhaitent étendre les franchises de frais douaniers aux pays pauvres non africains. Une lourde menace pour l’Agoa et fatalement pour les économies du continent.
C’est un scénario catastrophe pour les économies africaines qui est à l’étude pour le dixième anniversaire de l’African Growth and Opportunity Act (loi sur la croissance et les possibilités économiques en Afrique, Agoa). En novembre 2009, l’un des pères fondateurs de l’Agoa, le représentant démocrate Jim McDermott, a présenté au Congrès américain un projet de loi proposant d’intégrer l’Agoa au système préférentiel de l’Organisation mondiale du commerce, le Generalized System of Preferences (GSP), sans restriction de quotas, et d’en étendre les bénéfices aux pays pauvres non africains.
Lancé en 2000 par le président Clinton, qui souhaitait en faire un levier de développement et de diversification économique, l’Agoa permet à une quarantaine de pays subsahariens d’exporter aux États-Unis une large gamme de produits naturels et industriels sans payer de droits de douane. Résultat : entre 2001 et 2008, le montant des importations américaines en provenance du continent a quadruplé (de 20,5 à 81,5 milliards de dollars). Reconduit à trois reprises, ce programme expirera en 2015. Cette fois, McDermott ne souhaite pas jouer les prolongations : l’Agoa ne sera reconduit jusqu’en 2019 que si, dans le cadre de l’OMC, les négociations sur la libéralisation des échanges du cycle de Doha aboutissent.
Barrer la route à l’Inde et au Brésil
L’harmonisation de la demi-douzaine de programmes de préférence tarifaire en vigueur n’est pas le premier souci des responsables américains, qui veulent avant tout barrer la route à l’Inde et au Brésil déjà très présents sur le marché américain.
Principale industrie africaine menacée par le projet : le textile. Jusqu’à présent, seuls les pays africains bénéficient d’une exemption de taxes sur leurs exportations. Exonérer aussi le Cambodge et le Bangladesh, géants du secteur et producteurs à bas coûts, serait fatal à Maurice, bien sûr, mais aussi au Kenya, au Lesotho ou au Swaziland, des pays qui ont profité de l’Agoa pour développer une industrie textile. Sans duty free, ces deux pays asiatiques produisent déjà cinq fois plus que toute l’Afrique réunie (l’équivalent de 6 milliards de dollars par an).
« McDermott est bien intentionné, explique Paul Ryberg, président de l’African Coalition for Trade. Il veut sincèrement aider tous les pays pauvres à travers le monde. Pour ne pas risquer de détruire le textile africain, le Bangladesh et le Cambodge ne peuvent pas exporter plus de 50 % du volume total des exportations de 2007, dans certaines catégories textiles. C’est un beau geste, mais nettement insuffisant. » « Des préférences commerciales devraient être mises en place dans certains secteurs en difficulté, comme l’agriculture. Il n’y a rien d’équitable à favoriser le Bangladesh et le Cambodge dans un domaine où ils sont déjà hypercompétitifs », renchérit Rosa Whitaker, qui préside un cabinet de lobbying à Washington.
Le président américain décide
Aujourd’hui, la qualification à l’Agoa se fait sur décision du président américain en fonction de critères tels que libéralisation économique et bonne gouvernance. McDermott propose, lui, de ne rendre éligibles que les pays les moins avancés (PMA).
Pour l’heure, seuls les pays au développement relativement avancé parviennent à tirer leur épingle du jeu, et les producteurs de pétrole concentrent la plus grande partie des exportations. McDermott espère-il ainsi mettre un terme aux déséquilibres actuels ? En adoptant les critères des Nations unies sur les PMA, l’éligibilité des pays africains de plus de 75 millions d’habitants ou au revenu national brut par habitant supérieur à 1 086 dollars par an pourrait être réexaminée. Le Kenya, la Namibie, le Botswana, les Seychelles, le Nigeria, l’Afrique du Sud ou le Ghana, entre autres, seraient potentiellement disqualifiés.
Pour Steven Nakash, vice-président de Jordache Jeans, un des plus gros fabricants américains de vêtements, avec 30 millions de paires de jeans par an importées des usines africaines, la réforme McDermott est une réelle menace pour les entreprises qui, comme la sienne, ont démarré grâce au coup de pouce de l’Agoa. « Les effets de ce projet de loi se font déjà sentir. Nos usines ferment à Madagascar, il n’y a plus que 1 400 employés sur 6 500. On sera bien obligés de faire pareil au Kenya ou à Maurice. »
L’initiative McDermott n’est qu’un point de départ, car le comité des finances du Sénat doit présenter sa proposition de loi en août. Il est probable que la réforme soit votée en 2011 car elle ne figure pas parmi les priorités du Congrès, qui se prépare pour les élections de novembre. Reste à savoir quels seront les éléments significatifs du projet de McDermott retenus dans la nouvelle loi.
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