Joyandet, le retour à la terre

Alain Joyandet, le 18 mai 2008 à Matignon. © AFP

Alain Joyandet, le 18 mai 2008 à Matignon. © AFP

Christophe Boisbouvier

Publié le 14 juillet 2010 Lecture : 3 minutes.

On croyait tout savoir sur Alain Joyandet : sa bonhomie, son bon sens paysan. C’est un autre homme qui est apparu le jour de sa démission, le 4 juillet. Toujours paysan, mais plus du tout bonhomme. Têtu et tenace. Chez les Joyandet, la terre est une fierté. Le père a commencé comme employé de ferme, puis a fait son trou. Aujourd’hui, le fils possède un groupe de presse et tient la mairie de Vesoul, dans l’est de la France. La démission de Joyandet, c’est la révolte du duc de Bourgogne contre le roi de France.

En mars 2008, quand il est nommé à la Coopération et à la Francophonie, Joyandet est le premier surpris. « Je ne connais pratiquement rien de l’Afrique », dit-il. Mais le choix a un sens. Le ministre sortant, Jean-Marie Bockel, a traité (sans le nommer) Omar Bongo Ondimba de « prédateur ». Le « Vieux » est dans tous ses états. Il faut le calmer et trouver le bon messager. Nicolas Sarkozy : « À ce poste, j’ai besoin de quelqu’un que je connaisse bien et qui me comprenne bien. » Va pour Joyandet, l’ami de vingt ans.

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Évidemment, la formule de Sarkozy « J’ai besoin… » s’applique avant tout à Claude Guéant. Mais le secrétaire général de l’Élysée ne peut pas tout faire. Joyandet devient donc une sorte de Guéant bis, le clone de Guéant pour l’Afrique. En avril 2008, les deux hommes vont ensemble à Libreville pour demander pardon au « Vieux ». Puis Joyandet s’attaque aux dossiers sensibles. Pas toujours avec bonheur. À Madagascar, il soutient sans vergogne le putschiste Andry Rajoelina et se met à dos toute l’Afrique australe. Au Gabon, après la mort du patriarche, il manœuvre avec de gros sabots en faveur d’Ali Bongo Ondimba. Quelques jours avant la présidentielle d’août 2009, il se rend chez le voisin équato-guinéen, Teodoro Obiang Nguema pour lui demander de cesser de soutenir le rival André Mba Obame.

Ce rôle de fidèle exécutant des consignes de l’Élysée, Alain Joyandet aurait pu le tenir sans états d’âme jusqu’en 2012. Mais voilà, l’histoire dérape. En mars, il loue un jet privé pour se rendre en Martinique. Coût : 116 500 euros. En juin, le Canard enchaîné révèle qu’il a obtenu un permis de construire de complaisance pour agrandir sa maison de vacances dans le sud de la France. Le 30 juin, recevant des députés de son parti à l’Élysée, Nicolas Sarkozy lâche : « Avions, cigares, hôtels… Certains comportements ministériels m’ont déplu. Le moment venu, j’en tirerai les conséquences. » Le ministre comprend qu’il va sauter au prochain remaniement, en octobre. Et là, surprise. Tandis que ses deux collègues incriminés – Christian Blanc pour ses « cigares » et Rama Yade pour ses « hôtels » – font le dos rond, lui se rebiffe.

L’appel de Sarkozy

En fait, il ne supporte pas de rester la tête sur le billot pendant quatre mois. Il rédige alors une lettre de démission de quatre pages. Le 2 juillet, à l’occasion d’une réunion de travail à l’Élysée, il demande un entretien en aparté au président. Celui-ci refuse. Il donne alors sa lettre à Claude Guéant. Puis rien, ou presque. Juste un coup de fil de Guéant qui lui demande de ne rien faire tant que le président n’a pas appelé. Mais Sarkozy n’appelle pas. Le dimanche 4 juillet, à 18 heures – deux heures avant les journaux télévisés –, il se lance. Il annonce sa démission sur son blog : « L’homme d’honneur que je suis ne peut accepter d’être victime d’un amalgame » – allusion aux cigares de Blanc. « Moi, je n’ai pas mis la main dans le pot de confiture », dit-il en privé.

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Aussitôt, son téléphone sonne. C’est Nicolas Sarkozy. Il est furieux. Les mots fusent. « Tu es inconscient. Reviens sur ta décision ! » Vingt minutes de tornade. Un quasi-monologue. Mais le maire de Vesoul tient bon. Sarkozy se voit contraint de faire partir Blanc pour habiller la démission Joyandet en limogeage Blanc-Joyandet. Commentaire désabusé du partant : « C’est la première vengeance de Sarkozy. » De fait, c’est la première fois qu’un ministre se révolte. Il sait que la foudre présidentielle peut tomber à tout moment, mais il assume. La fierté d’abord. La fierté du paysan franc-comtois.

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