Le Katanga attend son heure

Un sous-sol regorgeant de richesses, une métropole au développement maîtrisé, un particularisme entretenu par les élites politiques et l’héritage sécessionniste… La province la plus opulente du pays cultive sa différence sans complexe.

Lumumbashi : un développement rationnel, des rues calmes et propres… On est loin de Kinshasa. © Baudouin Mouanda

Lumumbashi : un développement rationnel, des rues calmes et propres… On est loin de Kinshasa. © Baudouin Mouanda

Publié le 22 juin 2010 Lecture : 8 minutes.

Le Katanga attend son heure
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Le Katanga attend son heure

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Bienvenue à Kamalondo, quartier populaire de Lubumbashi, le chef-lieu de la province du Katanga. Ici, la vie s’écoule sans cri ni choc, paisible comme la brise qui fait remuer le maïs dans les parcelles, ordonnée comme les baraques alignées dans les rues en latérite. Assises en guirlande sur le talus, des jeunes femmes ont posé leur bric-à-brac à même le sol. « 100 francs la blouse », promet un écriteau. Il n’arrêtera pas les quelques piétons qui se baladent, sans bousculade, au milieu du goudron. Un vélo glisse à bonne allure, le porte-bagages encombré d’oignons et de tomates. Les voitures sont rares, les klaxons se taisent.

« Kamalondo, c’est le Matonge de Lubumbashi ! » proclame Alexis. Ce vieil habitant malicieux, qui déroule l’historique de sa ville depuis sa création, il y a tout juste cent ans, fait référence à un quartier de Kinshasa qui ne dort jamais, le paradis des noceurs. Mais même aux heures de pointe, la version provinciale du coin le plus tonitruant de la capitale congolaise est sage comme une image. Quand, en cette mi-avril, les foules moites de Kinshasa s’embourbent les chevilles dans des rues rincées par la saison des pluies, les Lushois respirent les premiers frémissements de l’hiver austral sur de larges voies sans ornières. « Lubumbashi est la seule ville vraiment urbanisée du pays, avec un plan, poursuit Alexis. Prenez Kinshasa, c’est un bourg qui a grossi dans l’anarchie. »

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Lubumbashi contre Kinshasa : cinquante ans après l’éphémère sécession du Katanga (1960-1963), le match n’est pas terminé entre les deux premières villes de la RD Congo (environ 1,5 million et 10 millions d’habitants respectivement), distantes de 1 500 km. Dans les rues de la première, les légendes traînent sur la seconde. Inutile de se faire prier pour les entendre. Kin­shasa est la ville « des bureaucrates, du papier et du lingala, la langue des militaires », par opposition à Lubumbashi « la bosseuse », où l’on parle une langue « pure », le swahili. Même son de cloche dans le grand bureau aux rideaux tirés de Gabriel Kyungu wa Kumwanza, le président de l’Assemblée provinciale : « Kinshasa est une ville d’intrigants et de débrouillards, les gens ne savent pas vivre de leur salaire », dit ce dinosaure de la politique congolaise, gouverneur de la province au début des années 1990. Ici, une certitude a survécu : l’avenir du Katanga serait doré si Kin­shasa arrêtait de tout « bouffer ».

Pourtant, en plein cœur de l’ancienne Élisabethville – le nom de Lubumbashi pendant la colonisation belge –, la cheminée en brique de la Générale des carrières et des mines (Gécamines) trône toujours mais ne fume plus. Au XXe siècle, cet héritage colonial a imprimé ses pulsations au Congo tout entier en exploitant les ressources minières du « coffre-fort » katangais. La province compte 10 % des réserves mondiales de cuivre, 34 % de celles de cobalt, un uranium utilisé pour le programme nucléaire américain pendant la Seconde Guerre mondiale… Les années 1980 ont été les plus fastes. Le paternalisme est alors insolent pour les familles des 32 000 salariés. Pour les nourrir, la Gécamines gère des concessions agricoles, importe de l’huile et de la farine. Entrepreneurs, centrales électriques, chemin de fer : tout converge vers la compagnie.

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Face à la crise

L’époque bénie est aujourd’hui réduite à des vestiges. Dans le centre-ville, le site de la Gécamines est un squelette. Les machines rouillées sont à l’arrêt. Des herbes ont poussé dans les hangars. Ailleurs, des constructions rappellent le confort perdu : un immeuble gris de 10 étages, pour les « hauts cadres », au cœur de Lubumbashi ; dans le « quartier Gécamines », plus excentré, des maisons d’une pièce, numérotées, pour les ouvriers, et d’autres, de deux pièces, pour les « aspirants ».

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Le fleuron industriel du Congo s’est effondré dans les années 1990. Plus récemment, en 2009, certaines compagnies minières ont été chassées par la chute brutale des cours des métaux et la renégociation a minima des contrats avec l’État. Près de 250 000 personnes ont perdu leur travail. Aujourd’hui, l’activité reprend, mais doucement. Les creuseurs artisanaux commencent tout juste à regagner les mines.

Pendant que ces heures sombres appauvrissaient le Katanga, le reste du Congo s’est enfoncé dans une misère encore plus profonde. Malgré tout, la province est restée l’une des plus riches du pays (avec celle, pétrolière, du Bas-Congo, dans le Sud-Ouest). Les politiciens de Lubumbashi n’ont donc pas désarmé. L’émancipation de la tutelle kinoise reste leur grand slogan. Chacun l’enrobe à sa façon, mais tous s’inspirent des atermoiements de la décentralisation. Inscrite dans la Constitution de 2006, elle prévoit une retenue à la source, par la province, de 40 % des recettes, le reste devant aller à Kinshasa. Quatre ans plus tard, elle n’est toujours pas appliquée. Aujourd’hui, la capitale nationale perçoit la majeure partie des recettes – notamment les impôts versés par les compagnies minières – et reverse son dû à Lubumbashi selon un rythme fantaisiste. Des fonctionnaires attendent encore d’être payés.

« La province pourvoit à plus de 70 % du budget national, mais, en retour, elle est très mal rétribuée ! peste Gabriel Kyungu. La rétrocession ne dépasse pas 10 %. Nous voulons que les fruits de notre travail nous reviennent ! » Natif du nord du Katanga, 71 ans, ce petit bonhomme rond qui fume le cigare a fait carrière en flattant la fierté des Katangais. Pour lui, la décentralisation ne serait qu’un « lot de consolation ». Ce qu’il souhaite, c’est, carrément, le fédéralisme : « C’est la clé de tout le développement d’un pays ! » Même assis derrière son bureau en « tenue de fermier » – un haut de survêtement à capuche barré de l’inscription « yankee » en lettres rouges –, Gabriel Kyungu ne perd pas son sens du spectacle. Il convoquera son service de presse pour l’entretien : une dizaine de gaillards, qui une caméra, qui un appareil photo à la main. Créé en 2001, son parti, l’Union nationale des fédéralistes du Congo (Unafec), membre de l’Alliance de la majorité présidentielle (AMP), rassemble une foule de jeunes gens gagnés à sa cause.

À l’approche du grand raout électoral – la présidentielle et les législatives sont prévues en 2011 –, il est opportun de dégainer de tels discours. Ils rapporteront des fauteuils aux Assemblées nationale et provinciale. Ils permettront aussi de peser à Kinshasa pour le choix stratégique du candidat au poste de gouverneur, aujourd’hui occupé par le très charismatique Moïse Katumbi.

Des appels au fédéralisme résonnent ailleurs sur le territoire, dans la province pétrolière du Bas-Congo, notamment. Mais au Katanga, ils sont plus menaçants. Ils rappellent de fort mauvais souvenirs : la sécession, la guerre, les mercenaires, les interventions étrangères… Ces épisodes, qui émaillent l’histoire du Katanga depuis 1960, comptent encore leurs nostalgiques. On les rencontre dans la grande salle du Cercle Makutano, un café-restaurant, occupés à descendre des Primus et à disserter sur tout et rien. Leur signe distinctif : un petit drapeau du Katanga indépendant à la boutonnière.

Sobre, « Maître Mbenga » ne se joindra pas à la bande. Il préférera un salon sur le côté, où l’on peut parler à l’abri des regards. Bien mis dans un costume sombre rehaussé d’une cravate rose, l’avocat est membre des Notables katangais, mouvement qui milite pour l’autodétermination du Katanga. Avant d’évoquer le présent, il juge nécessaire de démarrer la discussion par la conférence de Berlin (en 1895), puis de passer par la colonisation, l’indépendance du Congo et celle du Katanga. Chaque épisode est un argument : « Quand le Katanga était indépendant, il a beaucoup travaillé. Tous ces bâtiments que vous voyez ont été construits à cette époque. Même dans les campagnes, il y a eu une amorce de développement. »

En 2003, Maître Mbenga a adressé une lettre – signée par 1 000 « notables » – au secrétaire général des Nations unies demandant l’organisation d’un référendum. Depuis, il attend « de voir ce qui se passe au Sud-Soudan [où doit avoir lieu un référendum d’autodétermination, ndlr] ». C’est le conseil que lui aurait donné l’ONU. « Nous avons accompagné la lettre d’un projet de Constitution », précise-t-il. Indépendant, le Katanga serait pour lui un grand pays, qui pourrait « même aider d’autres États africains ».

Le héros local

Son héros est bien sûr celui qui a proclamé l’indépendance, le 11 juillet 1960, Moïse Tshombe. Le Katanga est la terre natale de deux chefs de l’État congolais. Laurent-Désiré Kabila, natif du nord de la province, et son fils, Joseph. Mais outre un bunker inachevé à la sortie de la ville et une statue, sur un rond-point, où il brandit des menottes déliées, le premier n’a pas laissé de traces visibles à Lubumbashi. Le second y vient souvent, dans une de ses fermes. Il n’est cependant pas célébré comme Moïse Tshombe.

Jean-Claude Wavreille préside la fondation qui porte son nom. « Je mourrai au Katanga », annonce cet homme trapu à la poignée de main aussi costaude que son allure. D’origine belge, swahiliphone et père de quinze enfants, il a été l’époux de la nièce de Moïse Tshombe dans les années 1960. Une époque dont il collectionne tous les restes avec l’avidité du fétichiste : tasses, assiettes, petites cuillères à l’effigie du « pays », fiches de renseignement, drapeaux, pièces, billets… Lucide, cependant, il n’ose pas rêver d’indépendance, et s’en tient au fédéralisme, sinon « ça ne bougera pas ».

La province n’est pourtant pas cette promesse de paradis terrestre décrit par les apôtres de « l’identité katangaise ». Ici saignent les mêmes plaies que dans le reste du pays. Les rivalités ethniques, surtout, taboues mais acérées par la richesse. Dans les années 1990, les Kasaïens ont été victimes de purges au prétexte qu’ils avaient volé les emplois des Katangais. Plus de 5 000 personnes sont mortes, 1 million d’autres ont été déplacées.

Il y a quelques mois, un mouvement de jeunes Balubakat, l’ethnie de Joseph Kabila, originaire du nord de la province, a fait circuler une lettre aux accents belliqueux : « Maintenant tout Mulubakat [le singulier de “Balubakat”, ndlr] doit se mettre en position de guerre », enjoint le document. Les signataires prétendent réagir à des propos haineux tenus à leur encontre par des intervenants dans des débats télévisés. En riposte, un courrier du mouvement Sempya-Lwanzo, dominé par les Babemba, l’ethnie du gouverneur, Moïse Katumbi, majoritaire dans le Sud, a reproché aux Balubakat de « confisquer tous les pouvoirs au Katanga », notamment « la police, l’administration publique, l’armée, les entreprises publiques, les services publics, l’université ».

Dans le projet de décentralisation, le Katanga doit être divisé en quatre provinces. Les minerais exploités se situant dans le Sud, les futures entités administratives du Nord, surtout agropastoral, craignent d’être lésées. Dans le Sud, le sentiment d’un contrôle des postes par le Nord domine. Encore une fois, l’approche des élections radicalise les clans. « Chacun cherche à se positionner par rapport au chef de l’État », explique, sous couvert d’anonymat, un homme politique.

Pour désamorcer la guerre froide, une réunion avec des représentants des Babemba et des Balubakat a été organisée pendant trois jours, en février. Signe de l’importance de l’enjeu, des « Katangais de Kinshasa » ont fait le déplacement, notamment le conseiller officieux du chef de l’État, Augustin Katumba Mwanke. « Chacun a tiré la même conclusion, témoigne la même source, qui a assisté à la rencontre. Le mauvais partage du gâteau divise les Katangais. » Et ici, les appétits inassouvis sont plus dangereux qu’ailleurs.

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