Octobre 2010 : la présidentielle ou le chaos ?

Dans moins de quatre mois, le 10 octobre 2010 exactement, le chef de l’État, Laurent Gbagbo, pourra célébrer ses dix ans au pouvoir. Deux mandats, et toujours pas de légitimité issue des urnes. Le statu quo pourra-t-il perdurer au-delà de cette échéance hautement symbolique ?

Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara après leur tête-à-tête du 17 mai 2010. © Kambou Sia/AFP

Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara après leur tête-à-tête du 17 mai 2010. © Kambou Sia/AFP

Publié le 17 juin 2010 Lecture : 7 minutes.

Laurent Gbagbo est bien parti pour terminer son « mandat cadeau », comme disent ses opposants, obtenu après les cinq premières années d’un mandat issu de l’élection, très contestée, d’octobre 2000. Ce n’est plus qu’un secret de polichinelle : la présidentielle reportée depuis cinq ans aura lieu, au mieux, en octobre prochain. Cette date est symbolique. Après, si le scrutin n’a pas lieu, tout est possible…

Lors des entretiens en tête à tête entre le président et ses deux challengers, à la mi-mai, il avait été entendu qu’une date serait donnée très rapidement. Depuis, plus rien. Il semble cependant que la date d’octobre ait reçu l’aval de l’ancien Premier ministre Alassane Ouattara et même d’Henri Konan Bédié, dont le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) maintient officiellement qu’il est possible d’organiser l’élection dès le mois d’août.

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Le flou total

Préparée en détail, la réunion avec Bédié a été relativement courte (dix minutes), et a surtout tourné autour du report sine die de la grande manifestation qui était prévue le 15 mai. Le huis clos avec Ouattara, président du Rassemblement des républicains (RDR), a été plus long (une heure et vingt minutes). La question de la manifestation, réglée avec Bédié quelques jours plus tôt, a été rapidement écartée. Les deux hommes ont consacré du temps aux questions relatives à leurs relations personnelles, au contentieux sur les listes électorales et à l’après-élection. Des sources sûres indiquent que les anciens alliés, devenus frères ennemis, se sont engagés à ne pas se lancer dans des règlements de comptes postélectoraux, à offrir au vaincu un « statut » et à garantir sa sécurité.

Le mois d’octobre est une échéance symbolique. « Après, c’est le flou total. Si l’élection n’a pas lieu, il peut ne rien se passer, et Gbagbo continuera à manœuvrer pour ne pas affronter les urnes tout en restant au pouvoir, comme ça peut imploser », estime un diplomate.

Dans l’esprit de certains membres de l’opposition, l’accord de Ouagadougou, prévu pour dix mois et en place depuis presque quarante, n’aura après le mois d’octobre plus d’existence. Pourtant, ce sont ces textes, et ceux signés à Pretoria et à Marcoussis, qui permettent aux trois ténors d’espérer. « Sans ces accords, Gbagbo ne pourrait se prévaloir aujourd’hui d’une certaine légitimité, Ouattara devrait à nouveau faire la preuve de sa nationalité et Bédié aurait dépassé l’âge légal pour être candidat », rappelle la même source.

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De leurs côtés, les jeunes du RDR comme du PDCI trépignent, frustrés par le report de la manifestation du 15 mai. « Je pense que Gbagbo n’ira pas à l’élection tant que nous ne lui aurons pas fait comprendre que nous sommes capables, comme ses partisans, de tenir la rue », estime Kouadio Konan Bertin, dit KKB, le président de la Jeunesse du PDCI. Les aînés, eux, tempèrent. Personne ne veut être celui qui met de l’huile sur le feu. Quant à la communauté internationale, elle n’a pas de position commune sur l’après-octobre. Certains, comme les Américains, poussent pour un scrutin dès juillet et sont prêts à des sanctions plus dures ; d’autres, comme les Français, échaudés, se gardent pour le moment de toute ingérence et de tous commentaires.

Fraudeurs

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Il reste de toute façon, avant d’arriver à l’organisation d’un scrutin, encore beaucoup de problèmes à régler, dont l’épineuse question du recensement électoral. Le chef de l’État est convaincu que la liste est truffée de Maliens, de Guinéens, de Burkinabè… qui se seraient frauduleusement inscrits et seraient favorables au candidat Ouattara. Le 25 mai, Issa Malick Coulibaly, directeur adjoint du cabinet présidentiel, a ainsi adressé des correspondances aux ambassadeurs du Burkina Faso, du Mali et de la Guinée, pour leur communiquer des noms de ressortissants de leurs pays figurant sur la liste et leur « demander de prendre les dispositions pour le respect du code électoral ivoirien ».

Issu de l’ethnie bétée, minoritaire dans le pays, Gbagbo redoute un vote qui, de l’avis de l’ancien président Henri Konan Bédié, sera « sociologique », un élégant euphémisme pour dire qu’il sera ethnique. Dans le camp présidentiel, beaucoup pensent cependant que l’urbanisation et les mariages inter­ethniques ont réduit de façon « suffisante » ce type de vote.

Choi Young-jin, le représentant spécial du secrétaire général des Nations unies en Côte d’Ivoire, a beau déclarer que « la liste est crédible et équilibrée », Gbagbo reste sceptique.

L’examen du contentieux sur « la liste grise » – celle qui regroupe un peu plus de 1 million d’individus dont la nationalité ivoirienne est suspecte – a repris malgré tout. À la charge des « suspects » de prouver leur nationalité. Environ 400 000 pourraient, selon les estimations, être intégrés à la « liste blanche ». Les autres n’ont pas les justificatifs demandés ou n’ont pas été informés que l’examen du contentieux avait repris, et, enfin, un certain nombre a effectivement menti sur sa nationalité.

Plus polémique, le camp présidentiel remet aussi en question « la liste blanche », contenant 5,3 millions d’électeurs, liste pourtant établie selon des critères sur lesquels tous les protagonistes de la crise s’étaient entendus. Aujourd’hui, les partisans de Gbagbo estiment à deux ou trois mois le temps nécessaire pour vérifier une nouvelle fois la nationalité des inscrits.

Gbagbo l’a fait savoir à son homologue burkinabè, Blaise Compaoré, médiateur dans la crise ivoirienne, et auprès de qui il a dépêché son ministre de l’Intérieur, Désiré Tagro, le 25 mai. Mais sans réussir à le rallier à sa position. Compaoré, que l’on dit très irrité par les retards répétés, menace d’ailleurs de ne plus assurer la médiation si l’élection n’a pas lieu avant la fin de l’année. Pour lui, les tergiversations n’ont que trop duré. Le RDR, de son côté, s’oppose farouchement à un audit sur la liste blanche.

Crise de confiance

Le problème du fichier n’est pas l’unique point de blocage. Il reste aussi celui du désarmement des Forces nouvelles (FN, l’ex-rébellion qui occupe le nord du pays). Un des avenants à l’accord de Ouagadougou indique que les opérations de désarmement et de cantonnement doivent être terminées au moins deux mois avant le scrutin. Jusqu’ici, avec des raisons et arrière-pensées différentes, tous les protagonistes ont fait mine d’oublier cet engagement.

Le camp présidentiel s’inquiète aujourd’hui de la présence des comzones (commandants des zones tenues par la rébellion), qui règnent sur le nord du pays et qui, à l’entendre, pourraient, le jour du scrutin, intimider les votants ou manipuler les résultats. Pour lever cette inquiétude, Soumaïla Bakayoko, chef d’état-major des FN, a annoncé, le 27 mai, la fin du règne des comzones. Il a promis que le regroupement et la démobilisation commenceraient le 15 juin. Promesse tenue.

Le Premier ministre, Guillaume Soro, et le chef de l’État cohabitent dans la plus grande méfiance

(crédit photo : Issouf Sanogo/AFP).

Mais ces démarches n’ont pas suffi à améliorer les rapports, aujourd’hui empreints d’une grande méfiance, entre Laurent Gbagbo et son Premier ministre, Guillaume Soro, chef de l’aile politique des FN. Après avoir travaillé en bonne intelligence depuis plus de trois ans, les deux hommes vivent aujourd’hui une sorte de paix armée.

Les proches du chef de l’État croient connaître la cause de cette brouille, arguant d’une trahison de Soro, qui aurait promis de désarmer ses troupes avant l’élection et de prêter main-forte au chef de l’État à l’occasion du scrutin. Gbagbo, en échange, aurait aidé Soro dans son projet politique, qui commence par les prochaines législatives. Une allusion à un supposé « deal caché » qui aurait été conclu entre les deux hommes.

Pour ne rien arranger, les proches de Soro affirment que ce dernier est de plus en plus menacé dans son intégrité physique par les militants du RDR. Selon eux, le RDR reprocherait à Soro de vouloir marcher sur ses terres, dans le nord du pays. International Crisis Group, dans son dernier rapport, daté du 5 mai, a recommandé à la communauté internationale de renforcer sa sécurité.

Cette ambiance délétère éloigne de plus en plus une élection qui aurait pu être déjà organisée. Quand Gbagbo dissolvait, le 12 février, la CEI et le gouvernement, reportant de facto l’échéance, le pays était à deux jours de la fin de la période de contentieux et donc de l’établissement d’une liste définitive.

Contraintes techniques

« Malgré le retard accumulé depuis lors, la machine peut se remettre très vite en marche, indique une source proche de la Sagem, l’opérateur technique chargé du recensement de la population et de l’enrôlement des électeurs. Les réclamations sur la liste grise devaient se terminer le 2 juin. Si les blocages sur la liste blanche sont levés, les deux listes pourraient être fondues dans un délai de dix jours. Après trois semaines de nouveaux contentieux, la liste définitive pourrait être prête dès la deuxième semaine de juillet. Il faudrait ensuite quinze jours pour la production et la distribution des cartes d’identité et des cartes d’électeur. Si on y inclut le délai pour éditer les bulletins de vote et acheminer le matériel électoral qui est déjà disponible, l’élection peut se dérouler convenablement en septembre. »

Les contraintes techniques peuvent donc être levées. Reste la volonté politique. Si les chefs de file peuvent rêver d’en découdre rapidement, leur entourage a beaucoup à perdre. Le partage du pouvoir, et les revenus qui en découlent, fait bien des heureux au gouvernement, à l’Assemblée nationale et à la Commission électorale indépendante.

Quoi qu’il en soit, le chef de l’État aura beaucoup de mal à se maintenir au-delà de la date symbolique du 10 octobre. Il ne pourra pas indéfiniment invoquer la partition du pays et le prétendu état de guerre pour reculer l’échéance. 

La Matinale.

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