Le Tchad en haut de l’affiche

Mahamat-Saleh Haroun a reçu le prix du jury du Festival de Cannes. Cela faisait vingt ans qu’un réalisateur africain ne s’était pas distingué en sélection officielle.

Scène extraite de « Un homme qui crie », de Mahamat-Saleh-Haroun. © TCD

Scène extraite de « Un homme qui crie », de Mahamat-Saleh-Haroun. © TCD

Renaud de Rochebrune

Publié le 2 juin 2010 Lecture : 4 minutes.

Comment mieux couronner cette 63e édition du Festival de Cannes, qui, pour la première fois depuis treize ans, a fait la part belle au cinéma africain, autrement que par un prix attribué au continent ? Deux films présents dans la compétition officielle pouvaient y prétendre. Pour le Maghreb, Hors-la-Loi, de Rachid Bouchareb, après avoir fait injustement polémique, a déçu d’un point de vue cinématographique. C’est donc tout naturellement Un homme qui crie, du Tchadien Mahamat-Saleh Haroun, qui, après avoir été unanimement salué par la critique internationale, a reçu le prix du jury. Celui-ci est considéré comme le coup de cœur dudit jury, qui récompense en général l’œuvre considérée comme la plus forte ou la plus singulière.

Le réalisateur, manifestement fort ému, revenu sur la Croisette quelques heures auparavant après un appel des organisateurs, a reçu son trophée des mains de l’actrice Asia Argento, avant de dire quelques mots sur la scène du Palais des festivals devant le gotha du cinéma : « Je viens d’un pays où il n’existe pas grand-chose. Dans ce contexte désertique, j’ai appris ceci : il faut faire les films comme les petits plats mijotés qu’on propose aux gens qu’on aime. » Les membres du jury, présidé par l’atypique Américain Tim Burton ont manifestement trouvé à leur goût le plat Un homme qui crie. Le public pourra le déguster à partir de septembre prochain quand il sera projeté sur les écrans de nombreux pays, dont peut-être celui du Normandy, la salle de N’Djamena, actuellement en cours de rénovation, et qui devrait bientôt rouvrir ses portes.

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Sobriété impressionnante

Pour prendre la mesure de l’événement, il faut savoir que seuls trois films africains ont réussi à ce jour à figurer au palmarès de la compétition la plus prestigieuse au monde, et un quatrième dans celui de la sélection Un certain regard (voir ci-dessous). Même si les autorités tchadiennes n’avaient pas manifesté un enthousiasme excessif lors de l’annonce de la sélection du film de Haroun, originaire d’une grande famille d’Abéché – juste un coup de fil de l’ambassadeur à Paris –, son prix a évidemment été salué comme il se doit chez lui et au-delà sur tout le continent par des déclarations enthousiastes. Le retour au pays de Haroun, qui vit essentiellement en France­, mais qui tourne tous ses films au Tchad, s’annonce glorieux : « Notre compatriote vient de lever haut le drapeau du Tchad, il méritera tous les honneurs de la République », a déclaré le Premier ministre, Emmanuel Nadingar, alors qu’il participait à un meeting dans une région touchée par la sécheresse à 500 km au nord-ouest de N’Djamena.

African fiasco

En distinguant Un homme qui crie, le jury cannois a salué un film qui tranchait dans le cru 2010 par la qualité et la sobriété impressionnantes des images et du scénario, et par un humanisme distancié. Mais il s’agit aussi d’une œuvre à portée universelle malgré son ancrage dans un pays petit à l’échelle de la planète. Les thèmes principaux du long-métrage de Haroun résonnaient avec ceux de la plupart des films phares de cette édition à la tonalité générale très sombre – une atmosphère de crise. Son personnage central est un père, ancien champion de natation et maître-nageur dans un grand hôtel de N’Djamena, qui aurait voulu transmettre à son fils tout ce qui lui est le plus cher, à commencer par son métier. Mais il est conduit par les circonstances à le trahir, avant de tenter de se racheter.

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Cette thématique du père défaillant, absent, si peu exemplaire, cherchant – en général vainement – une rédemption par des actes courageux mais tardifs, était celle qu’on retrouvait – de façon réaliste ou métaphorique – dans une bonne moitié des films présentés cette année : de Chongqing Blues, du Chinois Wang Xiaoshuai (évoquant un père parti depuis longtemps sans laisser d’adresse qui revient enquêter sur la mort violente de son fils devenu preneur d’otages), à Biutiful, d’Alejandro González Iñárritu (un père célibataire dévoué mais englué dans des trafics de main-d’œuvre immigrée, interprété par un excellent Javier Bardem, prix d’interprétation masculine), et Nostra Vita, de Daniele Luchetti (un père opérant dans le milieu mafieux du bâtiment dans l’Italie de Berlusconi).

Mais, comme de nombreux autres films, Un homme qui crie parle aussi de la guerre, de la mondialisation (le rachat de l’hôtel du maître-nageur par des Chinois provoque des effets désastreux dans la vie des personnages), de la religion (comme dans Des hommes et des dieux, grand prix du festival, que Xavier Beauvois a consacré aux moines de Tibéhirine, ou sur un mode « animiste » dans Oncle Boonme, celui qui se souvient de ses vies antérieures, du Thaïlandais Apichatpong Weerasethakul, Palme d’or). Un seul des thèmes favoris des cinéastes en 2010 était absent du film de Haroun, assez logiquement pour un film entièrement tourné au Tchad : les travailleurs immigrés clandestins en Occident et leur sort si souvent tragique. On ne sait s’il fera partie des sujets abordés dans son prochain long-métrage, dont le titre ne laisse pas augurer une histoire réjouissante : il s’intitulera African Fiasco !

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