La mort au nom d’Allah

Jugés coupables de l’assassinat de quatre touristes français, en décembre 2007, trois djihadistes ont été condamnés à la peine capitale par la cour criminelle de Nouakchott. Si les trois hommes nient être les auteurs de l’attaque, ils revendiquent haut et fort leur appartenance à Al-Qaïda. Et ont exulté à l’énoncé du verdict.

Sidi Ould Sidina (au c.), 22 ans, lors d’une rencontre avec les autorités, le 18 janvier. © STR/AFP

Sidi Ould Sidina (au c.), 22 ans, lors d’une rencontre avec les autorités, le 18 janvier. © STR/AFP

Publié le 5 juin 2010 Lecture : 5 minutes.

Soudain, Maarouf Ould Haiba se lève et déroule un tissu noir sur lequel est inscrite en lettres blanches la profession de foi musulmane : « Il n’est de Dieu qu’Allah et Mohammed est son prophète. » À sa droite, Sidi Ould Sidina prend le relais : fixant les cinq Français de l’assistance – dont deux représentants de l’ambassade –, il mime le geste de l’égorgement. À sa gauche, Mohamed Ould Chabarnou lance ensuite en arabe, sur le ton de la menace : « Entre nous et Sarkozy de France, ce sera le glaive. »

Théâtre de cette macabre mise en scène, la grande salle sombre du palais de justice de Nouakchott, pleine aux deux tiers. Nous sommes le 25 mai, il est bientôt 17 heures. Dans une cage en bois installée pour l’occasion, huit prévenus – quatre autres sont jugés par contumace – attendent le verdict du « procès d’Aleg ». Tous sont accusés d’avoir participé à l’assassinat, le 24 décembre 2007, de quatre touristes français (dont trois d’une même famille) dans cette petite ville que longe la route de l’Espoir, à 250 km au sud-est de Nouakchott. Mais ce sont les trois « acteurs » du jour – Maarouf Ould Haiba, 28 ans, Sidi Ould Sidina, 22 ans, et Mohamed Ould Chabarnou, 29 ans – qui sont considérés comme les auteurs directs du crime.

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Contrairement aux déclarations consignées dans les procès-verbaux de l’instruction, menée en 2008, le trio a nié sa participation à la fusillade. Chacun a néanmoins revendiqué haut et fort son appartenance à Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) et son engagement pour le djihad. « Je suis un soldat d’Allah », s’est glorifié Sidi Ould Sidina, accusant les trois magistrats d’« apostasie ». « Je n’ai pas tué, mais j’avoue que cela aurait été un grand honneur pour moi », a osé Maarouf Ould Haiba. Le 24 mai, Mohamed Ould Chabarnou s’est de son côté improvisé muezzin, exécutant un appel à la prière en pleine audience. Le même jour, le parquet requiert la peine de mort contre les trois hommes. Le lendemain, à quelques minutes de l’énoncé du verdict, aucune gravité ne se lit sur leurs visages juvéniles. Derrière sa barbe fournie et ses petites lunettes, Maarouf Ould Haiba paraît même jovial. Et, avec ses deux comparses, exulte quand, à 17 heures, solennel dans sa robe rouge et noire, le président de la cour prononce le verdict : peine de mort pour les trois hommes, six mois à trois ans de prison ou l’acquittement pour les autres.

Cette fois, à la différence des précédentes affaires jugées par la cour criminelle, les réquisitions du parquet ont été suivies. « C’est une décision logique si l’on considère la gravité des faits », commente Me El-Ghali Ould Moulaye, avocat de la famille de l’une des victimes. « J’ai l’impression que le procès était instruit d’avance », proteste, de son côté, Me Zaïm Ould Hemed Vall, avocat de Maarouf Ould Haiba, qui a fait appel dès le lendemain du verdict.

Il est vrai que le dossier d’accusation n’est pas exempt de lacunes. Une expertise balistique réalisée en France a permis d’établir que le kalachnikov retrouvé sur le lieu du crime est bien celui qui avait servi à tuer les victimes. Mais les magistrats mauritaniens, qui ont eu connaissance de cette précieuse information, n’ont pu s’y référer, car l’expertise n’a pas été versée au dossier, Paris refusant tout concours judiciaire lorsque des prévenus encourent la peine de mort. Autre zone d’ombre : les condamnés affirment que leurs aveux leur ont été arrachés sous la torture. Difficile, dans ces conditions, de s’appuyer dessus. Aucun témoin n’est venu à la barre. Aucune pièce à conviction n’a été apportée. Bouclé en trois jours, le procès a été expéditif. Au début de l’année, le jugement d’une affaire de trafic de drogue, qui s’est notamment soldé par la condamnation d’un Français à quinze ans d’emprisonnement, s’était étalé sur quinze jours.

Un signal fort

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Par ce procès, les autorités ont voulu envoyer un signal clair aux djihadistes en herbe : pas de pitié pour les crimes de sang au nom d’Allah. Avec ses 3 millions d’habitants répartis sur un territoire de 1 million de km2 (deux fois la France), des frontières poreuses en plein Sahara, une armée qui commence tout juste à être formée à la lutte antiterroriste, la Mauritanie est une cible idéale pour les djihadistes. La pauvreté – plus de 50 % de la population vit avec moins de 2 dollars par jour – est aussi un terreau rêvé pour les intermédiaires d’Aqmi, qui font miroiter à leurs futures recrues la gloire et le paradis.

La « tolérance zéro » est une nouveauté. La peine de mort n’a pas été appliquée depuis 1987 (trois officiers avaient été fusillés pour tentative de putsch). La population comme certains responsables politiques n’y sont pas favorables. Le chef de l’État d’avril 2007 à août 2008, Sidi Ould Cheikh Abdallahi, considérait les attentats revendiqués par Aqmi comme des actes « isolés ». Aux commandes depuis août 2008, son successeur, Mohamed Ould Abdelaziz, ancien général, « a, lui, conscience de la menace », selon un diplomate.

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La période du déni est donc révolue. Des mesures de sécurité exceptionnelles ont été prises pour le « procès d’Aleg ». Visage cagoulé, bouclier en main, des policiers antiémeutes étaient postés sur les marches du palais de justice. Le public a dû se plier à trois fouilles au corps successives avant de pouvoir pénétrer dans la salle. Téléphones portables et sacs étaient proscrits. Autres signes révélateurs dans un pays où la communication n’est pas toujours une priorité : les journalistes étrangers ont pu assister sans difficulté au procès, et l’énoncé du verdict a été lu à la télévision et à la radio.

Il n’est pas dit qu’il aura l’effet dissuasif escompté. Vingt-trois ans après les dernières exécutions capitales, beaucoup doutent que la sentence soit appliquée. Peut-être Maarouf Ould Haiba, Sidi Ould Sidina et Mohamed Ould Chabarnou mettront-ils aussi à profit leur sens de la mise en scène pour se poser en martyrs. Depuis qu’ils sont incarcérés dans leurs cellules de la prison centrale, de l’autre côté de l’avenue Nasser, qui longe le palais de justice, ils communiquent avec l’extérieur grâce à des téléphones portables, suivent attentivement les récits des médias et savourent leur triomphe. À moins que la perspective d’une pendaison finisse par refroidir « ces esprits mystérieusement sortis de la réalité », dixit un proche du pouvoir pour qui le « procès d’Aleg » est un « test ».

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Le palais de justice de Nouakchott. © Laurent Prieur pour J.A.

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