Pierre Ménat : »Il faut entretenir et valoriser la francophonie en Tunisie »

En poste depuis huit mois, le diplomate français s’est rapidement familiarisé avec les réalités contrastées du pays. Sa mission : donner une nouvelle visibilité à l’Hexagone dans le paysage économique et culturel tunisien.

A l’ambassade de France à Tunis, le 14 mai. © Ons Abid pour J.A.

A l’ambassade de France à Tunis, le 14 mai. © Ons Abid pour J.A.

Publié le 4 juin 2010 Lecture : 6 minutes.

Jeune Afrique : Quelle est votre perception globale de l’évolution de la Tunisie ?

Pierre Ménat : Huit mois, c’est court pour appréhender la Tunisie. Mais je constate que c’est un pays très ouvert sur le monde extérieur. Son histoire lui en a notamment conféré cette capacité. Cela se manifeste, entre autres, par le fait qu’elle réalise 80 % de ses échanges avec l’Union européenne (UE). Elle a beaucoup modernisé son économie et engagé de nombreuses réformes. Et les bailleurs de fonds la considèrent comme bien gérée.

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C’est aussi une société ouverte grâce aux efforts constants des dirigeants politiques depuis l’indépendance. Il faut souligner le rôle des femmes et les responsabilités que celles-ci exercent dans l’économie et dans la société. C’est une tendance moderniste dominante, mais la Tunisie a aussi sa propre identité et ses racines arabo-musulmanes. Cette dualité est très présente dans la vie tunisienne et peut rendre parfois le pays difficile à comprendre. Elle a conduit les Tunisiens à mettre l’accent à la fois sur leur identité propre et sur l’ouverture. La Tunisie est un équilibre et, comme tout équilibre, elle balance entre ces deux aspects. Mais le pays est assez homogène ; il n’y a pas de différences ethniques ou religieuses, et les disparités sociales ne sont pas aussi fortes qu’ailleurs. Il y a une importante classe moyenne. Cet équilibre fait que le balancier revient toujours au milieu.

Et les enjeux économiques ?

C’est l’une des économies les plus solides d’Afrique, avec le PNB par habitant le plus performant, derrière l’Afrique du Sud. La répartition des richesses est telle que la Tunisie, qui affiche pourtant un PNB moins important que la Libye, est en réalité plus prospère que celle-ci. Cette performance économique la rend très attrayante, à la fois en termes d’échanges extérieurs et d’investissements, domaines où la France arrive en tête, compte tenu des liens historiques entre les deux pays. Leurs échanges s’élèvent à 6 milliards d’euros, répartis équitablement, en 2009, entre exportations et importations. Quant aux investissements directs, ils sont de l’ordre de 1 milliard d’euros. Notons que 1 200 entreprises françaises sont installées en Tunisie, ce qui représente plusieurs milliers d’emplois. Récemment ont eu lieu la pose de la première pierre d’une unité de production d’Aerolia [filiale d’EADS, NDLR] et l’inauguration d’Orange Tunisie. Cela crée des liens très étroits, mais il ne faut pas oublier que, dans ces relations économiques, le facteur principal est la francophonie. Que la langue des affaires soit ici le français est un élément déterminant de cette évolution.

Préserver la francophonie semble vous tenir à cœur…

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La francophonie de la Tunisie ne doit pas être considérée comme un acquis définitif. La langue des Tunisiens est l’arabe ; le français est une deuxième langue, et nous devons considérer comme un honneur qu’il en soit ainsi. Nous devons aussi convaincre les Tunisiens que c’est utile de continuer dans ce sens, alors que dans plusieurs pays l’anglais a pris le pas, même en Europe. Lorsque j’étais en Roumanie, la première langue étrangère enseignée était le français. Aujourd’hui, c’est l’anglais. En Tunisie, la francophonie est une réalité profonde, mais elle n’est pas acquise. Il faut l’entretenir et la valoriser.

Quelles sont les actions à entreprendre pour promouvoir le français ?

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D’abord, avoir un centre culturel digne de ce nom, car il est regrettable que Tunis soit la seule capitale de la région sans un vrai centre culturel français. Ce projet est concret ; il a été élaboré et approuvé, reste à le mettre en œuvre. Nous ne sous-estimons pas pour autant l’intérêt d’être présents dans d’autres lieux de culture tunisiens ou même à travers internet. Le centre culturel est le grand projet à venir, mais nous agirons aussi en matière de francophonie. Il faut rendre hommage aux professeurs de français tunisiens, qui sont admirablement dévoués à la langue française. Il y a également la coopération universitaire, les codiplômes…

Que pensez-vous des ratés de l’Union pour la Méditerranée (UPM) ?

Vous appelez cela des ratés ? En fait, cette structure apporte un élément nouveau : tous les membres le sont à part entière, c’est très important pour faire la différence avec la coopération bilatérale entre l’UE et les pays tiers. Dans l’UPM, il y a quarante-trois membres, tous sur un pied d’égalité, même si le projet initial a un peu changé avec l’élargissement à des pays non méditerranéens. L’UPM intéresse aussi des États européens, et il nous est plus facile de plaider pour leur implication. Les problèmes politiques sont liés au conflit du Proche-Orient ; il est clair que l’UPM n’allait pas le résoudre par miracle, et ce n’est d’ailleurs pas là son critère de réussite.

En revanche, c’est un cadre qui sera utile, mais il y a des problèmes très lourds indépendants de l’UPM. Si le volet politique a son poids, il y a aussi le volet communautaire issu du processus de Barcelone, c’est-à-dire celui de la politique de voisinage, l’un des axes de l’UPM et qui représente pour la seule Tunisie 75 millions d’euros par an. La grande échéance à venir est la discussion sur le statut avancé, dont Paris souhaite qu’elle aboutisse le plus vite possible. Le troisième volet porte sur des projets régionaux, comme le plan solaire, la dépollution de la Méditerranée, la lutte contre la désertification, les problèmes de protection civile, l’Université méditerranéenne, la Banque méditerranéenne. Pour l’instant, tout cela est en gestation, mais la Tunisie aura son mot à dire, car elle a des projets importants, comme le plan solaire, et qu’elle est considérée par les bailleurs de fonds comme un pays sérieux.

Cela va dans le même sens que le nouvel aspect de la politique tunisienne : le développement durable…

Absolument, et c’est totalement en phase avec notre propre action, qui s’exerce en Tunisie à travers l’Agence française de développement (AFD), et avec celle de l’UPM. Nous avons les mêmes objectifs, à savoir le rapprochement économique avec l’UE, l’utilisation rationnelle de l’énergie et le développement durable. Ce sont les trois projets de l’AFD, mais aussi de la Banque européenne d’investissement (BEI). Nous sommes sur la même longueur d’onde et c’est essentiel pour la cohérence et la réussite des projets régionaux.

La France a été très active ces derniers temps dans le domaine social…

Nous avons organisé un Forum pour l’emploi, en avril, et cela a été un réel travail d’équipe avec la Chambre tuniso-française de commerce et d’industrie, le ministère tunisien de la Formation professionnelle et de l’Emploi, le patronat, les syndicats. Nous avons eu de bons résultats, puisque plusieurs centaines de personnes que nous avons reçues ont trouvé un poste. Et nous allons faire en sorte que ce Forum pour l’emploi soit permanent via un site internet dédié, en attendant une prochaine session.

Il semble que le sujet de l’audiovisuel vous soit cher…

En effet, mais c’est peut-être le plus compliqué. Il s’agit de trouver les moyens de réintroduire les médias français dans le paysage audiovisuel tunisien. Nous organisons, en octobre, en marge des Journées cinématographiques de Carthage, des Journées de l’audiovisuel. Notre but est de réunir des professionnels tunisiens et français pour examiner la faisabilité d’un certain nombre de choses : la diffusion des chaînes françaises, mais aussi les coproductions cinématographiques et télévisuelles, la TNT, la télé sur internet. La langue française, de par sa présence dans la région, contribue aussi à construire le Maghreb, et c’est à cela que nous souhaitons œuvrer. 

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