Règlement de comptes à O.K. Kora

Accusé d’amateurisme, le président exécutif des Kora Awards, Ernest Adjovi, contre-attaque. Et entend bien rétablir sa vérité.

L’artiste togolaise Renkah lors des Kora Awards, à Ouagadougou, le 4 avril. © D.R.

L’artiste togolaise Renkah lors des Kora Awards, à Ouagadougou, le 4 avril. © D.R.

ProfilAuteur_SeverineKodjo

Publié le 19 mai 2010 Lecture : 6 minutes.

C’est une attaque en règle contre les Kora Awards qu’a lancée John Dossavi le 12 avril sur RFI. Invité de l’émission Couleurs tropicales – très écoutée -, produite et animée par Claudy Siar, le président du Réseau africain des promoteurs et entrepreneurs culturels (Rapec) n’y est pas allé avec le dos de la cuiller. Une vingtaine de minutes durant, il dénonce alors un « pur amateurisme » et s’exclame : « On ne peut pas, après cinq ans d’absence, arriver à sortir autant de déchets ! » [sic].

L’auteur du délit ? Le président exécutif des Kora Awards, Ernest Coovi Adjovi. Il faut dire que le Béninois était attendu au tournant. Après cinq ans d’absence, un départ fracassant d’Afrique du Sud, une tentative avortée de délocalisation au Nigeria de l’événement musical le plus important du continent, de multiples reports… la 11e édition s’est enfin tenue le 4 avril devant plus de 3 000 personnes réunies au Palais des sports de Ouagadougou (voir J.A. no 2570). L’enjeu était de taille : renouer avec le faste des cérémonies sud-africaines qui avaient vu monter sur scène Miriam Makeba, Nelson Mandela, Michael Jackson – excusez du peu !

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Ernest Adjovi s’étonne et contre-attaque, pour l’instant, par voie de presse : « Aucun membre des Kora n’a été invité pour participer à l’émission Couleurs tropicales afin d’équilibrer les points de vue. Ce n’est un secret pour personne : Claudy Siar, en créant Africa Star, pensait concurrencer les Kora. La première saison de son émission a eu lieu au Gabon, grâce à la générosité de feu Omar Bongo Ondimba. Avec sa disparition, Claudy Siar n’a plus de sponsor. Africa Star est mourant. C’est pourquoi, au cours de l’émission du 12 avril, il a fait un appel aux sponsors. » Adjovi va plus loin et rappelle un différend financier qui l’a opposé en 2003 à Claudy Siar – qui n’a pas répondu à nos demandes d’interview – lorsqu’il a eu à organiser le Fespam à Brazzaville.

« Quant à John Dossavi, clarifie le Béninois, il m’a dans un premier temps contacté pour que l’artiste togolaise Afia Mala chante lors des Kora. J’ai accepté à condition qu’elle se produise avec le groupe légendaire Orquesta Aragon, avec qui elle a sorti un album récemment. Il a refusé. » « J’ai effectivement appelé Adjovi pour lui dire qu’Afia Mala souhaitait chanter. Mais il m’a dit non, car il espérait avoir Beyoncé ou Ashanti », précise John Dossavi à Jeune Afrique.

Querelles de personnes ?

Le président du Rapec s’est fait inviter comme journaliste (pour la radio Fréquence Paris Plurielle) aux Kora. « Mais le 2 avril, poursuit Adjovi, à l’occasion de la soirée de gala organisée en l’honneur des sponsors à la présidence de la République, il a expressément demandé au présentateur de la soirée de citer "le Rapec, représenté par son président, John Dossavi" comme sponsor ! [ce que dément l’intéressé, NDLR] Je passais alors pour un individu malhonnête auprès du président Compaoré avec qui j’avais fait un point sur les sponsors. » Querelles de personnes donc ? En tout cas, Adjovi fera retirer son accréditation à Dossavi…

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Une chose est sûre, c’est que, depuis le 4 avril, les critiques fusent : trop d’artistes ont été absents à la cérémonie ; la star sénégalo-américaine Akon tant annoncée est demeurée invisible ; aucun Ivoirien n’est monté sur scène, alors que l’édition 2010 était placée sous le signe de la réconciliation ivoiro-burkinabè ; des artistes, qui ont dû payer eux-mêmes leur billet d’avion, n’ont pas été invités à se produire sur scène ; le prix de 1 million de dollars récompensant l’artiste de l’année n’aurait toujours pas été versé aux Nigérians de P-Square…

Si Ernest Adjovi reconnaît quelques fausses notes, comme l’absence d’Akon, qui n’a pas respecté ses engagements alors qu’il lui a versé son cachet à bonne date et a engagé les frais de la location d’un avion privé, il précise que « sur 80 nominés, 61 étaient présents. Nous l’avions indiqué au préalable à tous : nous ne pouvions pas prendre en charge les billets d’avion car nous n’en avions obtenu aucun gratuitement des compagnies aériennes desservant Ouagadougou ». Quant à P-Square, les lauréats, ils n’ont pu assister à la cérémonie de remise des prix le 4 avril, puisqu’ils étaient en concert – et donc sous contrat. Mais ils sont arrivés au Burkina Faso le 5 et se sont produits lors du grand concert donné gratuitement au stade du 4-Août devant plus de 30 0000 personnes. Accusé de part et d’autre, Adjovi entend bien rétablir sa vérité : « Certains prétendent qu’aucun artiste ivoirien n’est monté sur scène. Faux ! Kandet Kanté, qui possède une pièce d’identité ivoirienne, s’est produite. DJ Arafat et DJ Debordeau ont catégoriquement refusé de se produire ensemble alors qu’ils étaient conjointement nominés. Je mets quiconque au défi de prouver le contraire. » La hache de guerre est déterrée.

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Ambitions revues à  la baisse

Mais, selon Adjovi, le problème serait tout autre. « Les artistes africains et leurs managers n’ont pas l’habitude de ce genre de cérémonie. Ils ne comprennent pas que ce n’est pas parce qu’ils se sont déplacés qu’ils vont forcément monter sur scène ou gagner un prix. Regardez ce qui se passe lors des Grammy Awards, aux Etats-Unis, tous les artistes nominés ne se déplacent pas. Et, parmi tous ceux qui sont présents, seuls les vainqueurs montent sur scène. C’est ce qui s’est passé aux Kora. » John Dossavi, lui, sous-entend qu’Ernest Adjovi « a promis un prix à ceux qui se déplaceraient »…

Mais pourquoi ne pas avoir organisé de duo ivoiro-burkinabè ?  « Ce n’est pas le rôle des Kora de faire chanter les artistes pour une réconciliation politique », réplique Adjovi, qui craint une récupération politisée de l’événement musical. Pourquoi donc avoir accepté que « les deux pays aient choisi de placer les Kora dans le cadre des accords d’amitié qui les lient » ? L’homme d’affaires qui a « engagé [sa] fortune personnelle et vendu [sa] société de production de sucre » pour que vivent les Kora avait peut-être vu là une manière d’impliquer les deux Etats et de sensibiliser les sponsors des deux pays. John Dossavi, quant à lui, affirme : « Adjovi n’est pas un militant mais un businessman qui a trouvé un créneau pour racketter les gens. » « Bien que le président Blaise Compaoré nous ait beaucoup soutenus, rectifie Adjovi, l’Etat burkinabè n’a pas déboursé le moindre centime. »

Alors que le Nigeria proposait un budget de plus de 20 millions de dollars, l’édition burkinabè a dû se monter avec moins de 3 millions. De quoi, forcément, revoir ses ambitions à la baisse… Et ne pas payer les lauréats nigérians ? Selon Fanny Marsot, journaliste de Couleurs tropicales, P-Square n’a pas encore touché un cent du million tant convoité. « A notre connaissance, nous sommes la seule cérémonie de remise de trophées au monde qui gratifie financièrement les lauréats en fonction des promesses de sponsoring et de leur paiement effectif, indique Adjovi. Les Kora ont toujours respecté leurs engagements financiers à l’endroit des artistes. En tout état de cause, l’objectif de ces récompenses étant de contribuer tout au long de l’année à promouvoir le lieu et la date de la cérémonie suivante, les fonds sont toujours payés avant la tenue de cette dernière. Que tous ceux qui pensent pouvoir faire mieux sur le plan continental se mettent à l’oeuvre. Ils auront nos encouragements, voire notre aide. »

Souhaitons donc, pour les lauréats, que la prochaine édition ait lieu en 2011 et que les sponsors tiennent leurs promesses… Et surtout que la musique reprenne le dessus !

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