L’orpheline de la République

Pauvre, sans véritable leader, la province de l’Équateur se sent abandonnée par Kinshasa. La rébellion, qui a contraint à l’exil des dizaines de milliers de personnes, n’arrange rien.

Une femme attend avec son enfant à l’hôpital de Dongo (RD Congo), le 20 février 2009. © AFP

Une femme attend avec son enfant à l’hôpital de Dongo (RD Congo), le 20 février 2009. © AFP

Publié le 19 mai 2010 Lecture : 4 minutes.

Entre fleuve et forêt, Mbandaka, 600 000 âmes, n’est pas exactement la ville rêvée des Congolais. Ici, internet est encore une nouveauté, le carburant vient souvent à manquer et les coupures de courant peuvent durer quinze jours. Les bâtiments sont décrépis. « Rien n’a été construit depuis les Belges ! » peste Henri, un habitant.

Hier chef-lieu d’une grande province, port fluvial idéalement situé pour le commerce – entre deux carrefours, Kinshasa et Kisangani –, Mbandaka est aujourd’hui le phare éteint d’une région qui remporte la sordide bataille des indicateurs de la misère : l’Équateur, dans l’Ouest du pays, 43 km de routes asphaltées pour 400 000 km² et 5,8 millions d’habitants, un taux de pauvreté de 94 %, des pénuries régulières de sucre et de farine.

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Province la plus démunie de la RD Congo à tous points de vue, l’Équateur reçoit pourtant deux fois moins d’aide extérieure que le Nord-Kivu, dans l’Est (respectivement 23 millions et 58 millions de dollars entre 2000 et 2005). « Loin des projecteurs de l’Est, fief des combats et des déplacements de population, l’Équateur a été délaissé par la plupart des acteurs présents dans le pays », dit Norik Soubrier, directeur RD Congo de l’ONG Acted.

Entre les grandes villes locales, les seuls liens sont les rivières – quand elles ne sont pas à sec. Des hauts responsables ont déjà réclamé l’ouverture de lignes aériennes. En vain. « En tant qu’“originaire”, je le sais, la population se sent abandonnée », dit Henri.

Fief mobutiste

Depuis le 4 avril, pourtant, les épaisses forêts de la province (75 % du territoire) ne peuvent plus cacher les plaies. Ce jour-là, des rebelles armés (voir encadré) se sont emparés de l’aéroport de Mbandaka. Grosse frayeur à Kinshasa.­ Au final, les autorités ont repris le contrôle de la ville. Mais cet épisode a imposé avec fracas l’Équateur et son lot de frustrations sur la scène nationale. En s’attaquant à des symboles du pouvoir central – résidence du gouverneur, bâtiment administratif, aéroport –, les assaillants ont rappelé à Kinshasa que la province lui était encore hostile.

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Le second tour de la présidentielle, en 2006, avait déjà donné un indice de l’impopularité du chef de l’État, Joseph Kabila, en Équateur : on y avait voté à 97 % pour l’opposant Jean-Pierre Bemba. Bien sûr, face à un natif de l’Est (Joseph Kabila est originaire du Katanga), le patron du Mouvement de libération du Congo (MLC) bénéficiait à plein de ses racines locales (district du Nord-Ubangui). La rancœur a aussi joué en sa faveur. À son arrivée au pouvoir, en 1997, le tombeur de Mobutu Sese Seko, Laurent-Désiré Kabila, a écarté les dignitaires du régime notamment les militaires – originaires de la province du maréchal… l’Équateur. Ses ressortissants ont été montrés du doigt, les trente-deux années au pouvoir de leur compatriote à la toque de léopard leur valant notamment l’aimable surnom de Code 32. Aujourd’hui, « l’Équateur se sent toujours martyr », explique un parlementaire qui connaît bien la province.

L’arrestation de Jean-Pierre Bemba par la Cour pénale internationale (CPI), le 23 mai 2008, n’a rien arrangé. Dans la foulée, des manifestations de solidarité se sont tenues à Mbandaka. Écoles, boutiques et magasins sont restés fermés. La ville a oscillé entre révolte et deuil. « Bemba, c’était l’espoir de la province », regrette Henri.

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Au final, l’Équateur est orphelin. Aucune figure n’a pris le relais des deux enfants du pays, Mobutu et Bemba. Des « natifs » ont bien une envergure nationale : José Endundo, ministre de l’Environnement, ou Nzanga Mobutu, fils du maréchal, vice-Premier ministre, et ministre de l’Agriculture. « Ils sont là pour donner une apparence d’équilibre, mais n’ont pas de pouvoir réel », tranche Jean Lucien Busa, député national MLC, originaire de la province.

De fait, les ressortissants de l’Équateur nommés à des postes clés – dans l’armée et l’entourage du chef de l’État notamment – sont des exceptions. Kengo wa Dondo (natif du Nord-Ubangui) préside bien le Sénat, mais c’est un élu. Pour un cadre de la Chambre haute qui connaît bien la région, l’explication est simple : « Tout ce qui vient de l’Équateur est perçu comme une menace. Kinshasa craint son retour au pouvoir. »

Esprit frondeur

La province vient d’échapper à l’opposition. José Makila, le gouverneur MLC, ayant été destitué, une élection a eu lieu en novembre 2009. Elle a été remportée par Jean-Claude Baende, son numéro deux. Mais ce dernier a « traversé la rue », dit un ex-camarade. En clair, il ne s’est pas présenté sous la bannière du MLC et a rejoint le camp Kabila. Dans une assemblée provinciale théoriquement dominée par l’opposition, il a recueilli une majorité absolue de 63 voix (sur 108 fauteuils). « La population a un double sentiment, dit Jean Lucien Busa, candidat du MLC au poste de gouverneur. Que Kinshasa lui a imposé un pouvoir et que les députés provinciaux l’ont trahie. »

Si la manœuvre avait pour but d’étouffer l’esprit frondeur de l’Équateur, elle a échoué. Une enquête est en cours pour éclaircir les mobiles des insurgés du 4 avril. Pour le ministre de la Communication, Lambert Mende, « il ressort de plus en plus du travail de la justice que c’était une tentative d’assassinat du gouverneur ». 

Retrouver notre dossier "RD Congo : les 50 personnalités qui comptent".

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