Numérique : la solution aux problèmes pelliculaires

Face aux difficultés à acheter, à transporter et à conserver les films en 35 millimètres, le numérique peut garantir un accès instantané aux films. Une solution qui a, hélas, un coût élevé.

Le Cinéma numérique indépendant est l’une des pistes les plus prometteuses. © RAFAËL RICOY POUR J.A.

Le Cinéma numérique indépendant est l’une des pistes les plus prometteuses. © RAFAËL RICOY POUR J.A.

Publié le 4 mai 2010 Lecture : 4 minutes.

Numérique : la carte à jouer
Issu du dossier

Numérique : la carte à jouer

Sommaire

L’Afrique est-elle condamnée au régime sans salles ? Depuis les années 1990, les cinémas du continent ferment un à un pour céder la place à des immeubles de bureaux, des entrepôts ou des églises. Dakar comptait 80 salles en 1973. Aujourd’hui, elles sont au nombre de… zéro. Même Le Paris, cinéma mythique chanté par le couple malien Amadou et Mariam, a tiré le rideau. Ailleurs, quelques sites vieillots et mal entretenus – fauteuils arrachés, écrans dégradés – font de la résistance. Mais au final, Abidjan, Douala, ­Yaoundé, Nouakchott, Bamako et Ouagadougou finissent par connaître le triste sort de la capitale sénégalaise.

Tous les connaisseurs s’accordent cependant : la disparition du grand écran en Afrique n’est pas le résultat d’une désaffection du public pour l’image. Les projections informelles de DVD dans des salles improvisées font d’ailleurs un tabac. Comme souvent, la raison est économique : les salles ne sont pas rentables. Les distributeurs locaux n’ont jamais eu assez de poids face aux producteurs occidentaux pour négocier les copies à des tarifs intéressants. Le pouvoir d’achat du public est faible. La concurrence du petit écran est rude. Bref, une équation impossible.

la suite après cette publicité

Mais l’heure de la dernière séance n’a peut-être pas sonné. Depuis une ­dizaine d’années, réalisateurs, producteurs et amoureux de la toile en tout genre voient dans le numérique le sauveur potentiel du septième art en Afrique. Le recours à cette technologie permet d’éviter un problème crucial : l’achat des copies en 35 millimètres. Quand les salles africaines tournaient encore, leurs exploitants devaient payer le prix d’achat des copies à des tarifs occidentaux – plusieurs centaines d’euros –, mais aussi supporter le coût du transport. Une fois parvenues à destination, elles étaient pourtant déjà amorties : produites en nombre limité, elles devaient d’abord être rentabilisées en Europe avant d’atteindre le continent. Le public africain avait donc droit aux films les plus attendus avec plusieurs mois de retard. Un problème de qualité et de conservation – humidité, poussière – se posait également.

« Bal poussière »

À l’inverse, le numérique peut garantir un accès instantané aux films. Le problème de l’acheminement et de la conservation disparaît aussi. Seul hic : l’investissement de départ. Selon un spécialiste, l’équipement d’une salle standard avec un système de projection adapté revient à 80 000 euros. Une somme que, même en Europe, les exploitants hésitent à débourser. Les salles projetant des films en numérique y sont encore des exceptions.

En revanche, sur le continent, le modèle a déjà fait ses preuves. Au Burkina, dans les villages essaimés le long de la route Ouagadougou-Bobo-Dioulasso comme au Niger, à plusieurs centaines de kilomètres de Niamey, un public hétéroclite – enfants, jeunes, vieux, notables et moins notables – se précipite régulièrement pour voir un Buster Keaton, Bal Poussière ou Kirikou et la sorcière. Des films projetés en numérique, en plein air, après négociation des droits (pour une durée limitée), par le Cinéma numérique ambulant (CNA). L’association est née au Bénin, en 2002, sur un constat : « Il n’y avait pas de salles en Afrique, et le public ne pouvait pas profiter du cinéma », dit simplement Christian Lambert. Directeur de production, il a fondé le CNA après plusieurs tournages sur le continent. Depuis, l’expérience s’est dupliquée chez les voisins, au Burkina, au Mali et au Niger. Au final, le CNA est une fédération d’associations locales.

la suite après cette publicité

En camionnette

Partout le système est le même : deux à trois « unités de projection » sillonnent en camionnette chaque territoire et s’arrêtent dans les villages, même les plus reculés, après accord avec les autorités. Là, les équipes du CNA installent leur matériel : un écran – 4 mètres par 3 – et un projecteur. Preuve que la télévision n’a pas remplacé le cinéma : 200 à 1 000 spectateurs assistent à chaque séance. Elles ne sont pas payantes, mais le CNA s’y retrouve. Le modèle économique est fondé sur la projection, en première partie, de films pédagogiques – sur les thèmes de la lutte contre le paludisme, du vote –, en échange de financements provenant des budgets de coopération de pays membres de l’Union européenne, de la Suisse, d’organisations internationales… Ils représentent 80 % des ressources de chaque association. Signe de succès : les annonceurs – souvent des opérateurs de téléphonie mobile et des banques – sollicitent de plus en plus le CNA, qui organise en moyenne 1 500 projections par an. C’est le cas de Zain, qui, en janvier et en février, a diffusé des spots au Burkina.

la suite après cette publicité

Le budget de fonctionnement de chaque unité est raisonnable – environ 1 500 euros par mois, qui permettent de financer les salaires, les déplacements et les frais généraux –, mais le gros des frais, c’est encore une fois l’équipement initial : le système de projection. De son acquisition dépend la création d’un CNA au Sénégal, projet sur lequel planche aujourd’hui Christian Lambert.

Le CNA donne la mesure des possibilités offertes par le numérique sur le continent. Le réalisateur mauritanien Abderrahmane Sissako l’a bien compris. En créant l’association Des cinémas pour l’Afrique, il se propose de réhabiliter les salles africaines. Première étape, Le Soudan à Bamako, qui sera équipé… en numérique. 

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Dans le même dossier

L’auteur gabonais Pahé n’a jamais quitté Bitam, sa ville natale. © DR

Retour au pays

La culture africaine s’attelle au passage au numérique. © Rafaël Ricoy pour J.A

La carte à jouer