Les dessous d’une élection

Faure Gnassingbé a été réélu sans grand péril face à des opposants qui n’ont pas su jouer en équipe. Le chef de l’État voulait tourner la page de l’élection « lamentable » de 2005 et de ses nombreux morts. C’est en partie réussi, avec ce scrutin sans violence et malgré les carences dans l’organisation. À lui, désormais, de transformer l’essai.

Le président togolais a été reconduit dans ses fonctions. © AFP

Le président togolais a été reconduit dans ses fonctions. © AFP

GEORGES-DOUGUELI_2024

Publié le 23 mars 2010 Lecture : 8 minutes.

1 Faure a-t-il été bien ou mal élu ?

C’est connu, les Togolais ne croient pas aux élections sans fraudes. On peut les comprendre, en trente-huit ans de règne absolu et brutal du général Eyadéma, ils n’en ont jamais vu. Celle de 2005, remportée par son fils, a épuisé leurs illusions.

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Réélu le 4 mars avec 60,92 % des suffrages contre 33,94 pour Jean-Pierre Fabre, son rival de l’Union des forces du changement (UFC), Faure Gnassingbé n’échappe donc pas à cette antienne. D’autant que, cette fois encore, les mauvaises habitudes ont semblé se perpétuer : la Cour constitutionnelle a invalidé la candidature de Kofi Yamgnane, qui aurait pu rogner des voix au sein des Bassaris, une des communautés du Nord traditionnellement acquises au Rassemblement du peuple togolais (RPT), au pouvoir. Des irrégularités ont été relevées le jour du scrutin, telles que l’utilisation de nouvelles listes d’émargement dans les bureaux où les militaires avaient voté par anticipation le 1er mars. Le point de contestation le plus crucial est la panne du V-Sat, un équipement de télécommunications par satellite unanimement considéré par les différents concurrents comme un moyen de transmission sécurisé et susceptible de garantir l’intégrité des résultats envoyés par les commissions locales pour être centralisés à la Commission électorale nationale indépendante (Ceni). La panne est pointée du doigt par l’opposition, qui y voit la preuve d’une fraude, sans pour autant parvenir à prouver que la défaillance du matériel de transmission soit un sabotage, ni que des manipulations aient été opérées lors du transfert des résultats. En revanche, les uns après les autres, les observateurs internationaux, qui ont suivi le processus d’un bout à l’autre, jugent l’élection crédible.

2 Comment l’UFC s’est-elle sabordée ?

Lors des législatives d’octobre 2007, le taux de participation était de 85 % ; pour ce scrutin, 64,68 % des électeurs sont allés aux urnes. La mission d’observation de l’Union européenne impute cette baisse à la faible mobilisation des électeurs du sud du pays – majoritairement acquis à l’UFC –, tandis que celle des populations du Nord, fief du RPT, n’a pas baissé. Sous le regard des électeurs perplexes, les luttes de clans qui minent le premier parti de l’opposition togolaise sont apparues au grand jour. La machine de l’UFC n’a jamais été en ordre de bataille derrière Jean-Pierre Fabre, le candidat désigné par défaut et contre la volonté de Gilchrist Olympio. Les inconditionnels de l’opposant « historique » n’ont jamais accepté que Fabre et son principal soutien, Patrick Lawson, vice-président du parti, n’aient pas ferraillé plus longtemps pour obtenir une prorogation du délai de dépôt des candidatures. Au contraire, ils ont accéléré la désignation d’un autre candidat. Du coup, tout au long de la campagne, Fabre a donné l’impression de « s’excuser » d’avoir pris la place du candidat « naturel » Olympio. Ce dernier ne lui a rendu la politesse que du bout des lèvres. Accueilli à son retour d’Accra, au Ghana, par les militants, il ne se montre guère enthousiaste. Pis, il glisse, perfide, qu’« Agboyibo [candidat du Comité d’action pour le renouveau] est un homme politique de qualité, proche du peuple et qu’il a un fort potentiel ». Olympio, arrivé l’avant-veille du scrutin à Lomé et reparti le surlendemain, a-t-il jamais eu l’intention de se présenter ? Beaucoup en doutent eu égard à la désinvolture avec laquelle il a composé son dossier de candidature. Mis devant le fait accompli, a-t-il seulement envisagé une seconde que Fabre puisse l’emporter ? Pas sûr. Privé des soutiens financiers de l’UFC, ce dernier n’a pu acquitter le cautionnement légal de 20 millions de F CFA (30 500 euros) que grâce au soutien financier d’une mystérieuse « Nana Benz », une de ces riches commerçantes proches de la direction du parti. Imprimées à la dernière minute au Burkina, ses affiches de campagne ne lui sont parvenues qu’après le début de la campagne électorale.

3 Quel a été l’apport des facilitateurs ?

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« Vos propos vont à l’encontre du climat de paix qui prévalait jusqu’ici au cours de cette élection », a tonné l’ancien président nigérian Olusegun Obasanjo, devant les candidats invités le 6 mars à l’hôtel Sarakawa. Le chef de la mission de l’Union africaine visait un Fabre qui regardait ses chaussures. L’objet de la colère d’Obasanjo était l’autoproclamation du candidat de l’UFC, criant victoire avant la publication officielle des résultats par la Ceni. « Si jamais des débordements violents venaient à se produire, vous en porteriez la responsabilité devant l’Histoire », a sermonné le Nigérian. Mais tous les médiateurs n’ont pas eu le bénéfice de la considération et de l’autorité. Lancée par des cadres de l’UFC, une rumeur a attribué au député européen Louis Michel, qui l’a vivement démentie, la réalisation du marché de l’informatisation de la Ceni. Si l’ancien commissaire européen a dénoncé une calomnie, il n’est pour autant pas parvenu à empêcher sa propagation. Plus discret mais multipliant apartés et réunions à huis clos, Mansa Ountana, représentant spécial du chef de l’État burkinabè, Blaise Compaoré, facilitateur du dialogue intertogolais sous l’égide duquel les accords de Ouagadougou ont été signés le 18 août 2006 entre les parties. Que le premier message de félicitations, devançant de peu ceux du Libyen Kadhafi et du Béninois Boni Yayi, soit signé Compaoré ne doit rien au hasard.

4 Comment réagiront les bailleurs de fonds ?

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Organiser une élection transparente et sans violence était une des conditions exigées pour une reprise totale de la coopération avec les partenaires aussi bien bilatéraux que multilatéraux du pays. Le Togo, qui est l’un des pays les plus pauvres de la planète, avec un revenu national brut par habitant de 360 dollars en 2007, en a bien besoin pour enrayer le déclin économique. Toujours convalescente après le retour progressif des bailleurs amorcé en 2008, au terme de quinze ans d’isolement, l’économie togolaise souffre en dépit des réformes des secteurs du phosphate et du coton et du renflouement du secteur bancaire. Les efforts pour la bonne gestion des dépenses publiques n’ont pas suffi. En 2008, les institutions financières internationales lui ont accordé un allègement de la dette au titre de l’Initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE) renforcée. Le pays n’a pas encore rempli tous les critères pour prétendre à l’annulation de près de la moitié de sa dette publique extérieure, soit environ 1,8 milliard de dollars en valeur actuelle nette. Cette issue heureuse dépend essentiellement de la stabilisation de la vie politique.

5 Faure a-t-il enfin gagné le pari de la légitimité ?

Déclaré élu par la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), Faure Gnassingbé n’a fait aucune déclaration. Il a ses raisons : tout triomphalisme maladroit pourrait faire sauter la Cocotte-Minute togolaise, chauffée à blanc comme d’habitude en période électorale. S’il s’apprête à rempiler pour cinq ans, le chef de l’État sortant sait qu’une partie du pays n’a pas voté pour lui et lui reste viscéralement hostile. Aussi ne veut-il rien faire qui puisse entacher la crédibilité de sa réélection. Il essaie également de faire oublier ces morts tombés lors de la répression de 2005, qui ont plombé son image et hanté son premier quinquennat. Il n’est pas loin de réussir son pari. Le 14 octobre 2007 déjà, il était parvenu à organiser des législatives sans violences. La présidentielle s’est déroulée sans incidents majeurs, tout au moins pour l’instant, et les forces de l’ordre, qui ont su faire preuve de retenue, n’ont plus grand-chose à voir avec la soldatesque d’il y a cinq ans.

Son profil de techno quadragénaire formé à l’université parisienne de Dauphine plaît aux jeunes, son « métissage » – du Nord par son père et du Sud par sa mère – a élargi son électorat au-delà de la fracture entre les deux pôles antagonistes. Reste que, pour être le président de tous les Togolais, il va devoir débarrasser le pays de toutes les scories du régime de son père : « désethniciser » l’armée, résorber la fracture Nord-Sud en rétablissant un accès égalitaire aux concours et aux emplois publics, notamment. Cela représente un risque considérable pour celui que l’aile la plus dure du RPT appelle « l’opposant », critiquant ainsi sa propension à prendre ses distances avec les méthodes d’antan, perpétuées par le tout-puissant parti au pouvoir. Choisi comme candidat du parti, Faure a refusé de se rendre à la cérémonie d’investiture. Ses affiches de campagne ne portaient nulle mention du RPT, dont il était pourtant le représentant. Si son patronyme justifie à lui seul les jugements sévères à son égard, il a désormais les cartes en main pour redresser l’économie et réduire la pauvreté. La légitimation de sa fonction en dépend.

6 Quel avenir pour les opposants ?

« Depuis le décès du général Eyadéma, ceux qui s’opposaient à lui n’ont plus d’adversaire », analysait le colonel François Boko, ancien ministre de l’Intérieur exilé à Paris, après l’échec du conclave parisien du 9 mars, destiné à désigner un candidat unique de l’opposition. « Des opposants plus jeunes, capables d’affronter Faure, doivent prendre la relève », s’impatientait-il alors. Après ce nouvel échec, qui a lézardé la vitrine unitaire de l’UFC, un inévitable règlement de comptes pourrait opposer Olympio à Fabre. L’un ou l’autre serait alors poussé vers la sortie, à moins que la dispute n’entraîne une scission de l’appareil. Les partisans du volcanique secrétaire général de 57 ans ne décolèrent pas du double jeu de « l’héritier » et dénoncent un « malsain rapport patrimonial au parti ».

Un autre opposant sur le gril, Yawovi Agboyibo, 67 ans, qui avait claqué la porte de la réunion parisienne de l’opposition après avoir compris que Fabre serait désigné candidat unique, n’a recueilli que 60 388 voix, soit 2,96 % des suffrages. Sous la conduite de l’ancien bâtonnier de l’ordre des avocats du Togo, le Comité d’action pour le renouveau (CAR) est passé de 36 sièges, obtenus aux législatives de 1994, à 4 sièges dans la législature en cours depuis 2007. En 2008, le rusé Agboyibo a cédé la présidence du parti à son poulain Dodji Apévon, mais il est revenu de sa retraite pour se porter candidat. Pour lui, c’était assurément la présidentielle de trop.

Quant à Agbéyomé Kodjo, il rêvait de rebondir. Raté. L’imprévisible Kodjo, cet ancien Premier ministre d’Eyadéma, avait accepté de se retirer au profil de Fabre avant de se raviser et d’y aller lui-même. Populiste en campagne électorale, il promet de faire de Kpatcha Gnassingbé son ministre d’État, alors que le frère du président sortant, arrêté en 2009 pour « tentative d’atteinte à la sûreté de l’État », se trouve toujours en détention à Lomé. Les électeurs n’ont pas suivi : 17 397 voix seulement pour l’ancien Premier ministre, qui pourrait voir sa traversée du désert se prolonger. Idem pour Kofi Yamgnane. Un tour de passe-passe administratif lui a interdit de se présenter cette fois. Il n’a donc pas vraiment idée de sa représentativité et, sans parti ni base solide, il lui sera difficile d’exister dans le paysage politique d’ici à la prochaine échéance, la présidentielle de 2015.

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