L’appel du Sud

Dans un contexte de crise internationale marqué par la chute de la demande européenne, Tunis se tourne vers l’Afrique subsaharienne, avec laquelle les potentialités d’échanges sont considérables.

La société Tunisie Câbles est très présente sur le continent. © D.R (capture d’écran du site de la société)

La société Tunisie Câbles est très présente sur le continent. © D.R (capture d’écran du site de la société)

Publié le 18 mars 2010 Lecture : 6 minutes.

Si les exportations tunisiennes de biens vers l’Europe ont chuté de 17,6 % en 2009, du fait de la baisse de la demande sur le marché de l’Union européenne (UE), avec laquelle la Tunisie réalise 80 % de ses échanges, celles à destination de l’Afrique subsaharienne ont, en revanche, connu une hausse de 15 %. Même si cela ne représente que moins de 2 % des ventes du pays à l’étranger, la performance n’est pas anodine. Rien d’étonnant alors que, pour sa première visite officielle à l’étranger, le nouveau ministre tunisien des Affaires étrangères, Kamel Morjane, ait choisi de se rendre, les 8 et 9 février, dans une capitale subsaharienne. Du reste, le chef de la diplomatie tunisienne connaît bien le sud du continent pour avoir été le représentant spécial du secrétaire général de l’ONU en RD Congo et, auparavant, responsable Afrique au sein du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR).

Tout un symbole

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La visite de Morjane à Ouagadougou, capitale du Burkina, est présentée à Tunis comme un geste symbolique traduisant la volonté de donner un nouvel élan aux relations avec l’ensemble du continent, auquel la Tunisie a donné son ancien nom d’Ifriqiya. Elle a été suivie par celle de Chokri Mamoghli, secrétaire d’État au Commerce, au Cameroun et au Gabon. C’est que, pour la Tunisie, l’année 2010 est bien partie pour être placée sous le signe de l’Afrique : une dizaine de missions commerciales en Afrique centrale et de l’Ouest, l’ouverture, déjà effective, à Abidjan d’une représentation du Centre de promotion des exportations (Cepex) et la tenue, les 15 et 16 avril à Tunis d’un Salon international des services axé sur l’Afrique et auquel sont conviés plusieurs dizaines d’opérateurs et d’experts du continent.

L’événement de l’année devrait néanmoins être la signature d’un accord commercial, d’investissement et de coopération technique entre la Tunisie et l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), un espace économique de 72 millions d’habitants regroupant huit pays (Bénin, Burkina, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo) et dont la monnaie commune est le franc CFA. La création de cette organisation (en 1994) ayant rendu caducs les accords commerciaux bilatéraux conclus auparavant, il a fallu plusieurs années de négociations pour que les deux parties finissent par en parapher le projet, avant sa signature officielle, attendue dans le courant du mois de mars. Cet accord devrait doper les échanges, car il prévoit des préférences tarifaires réciproques pour une série de produits, la levée des barrières non tarifaires, ainsi que le renforcement des investissements et de la coopération technique. « Cet accord, nous le souhaitons depuis longtemps, nous a confié Taoufik Mlayah, président de la Chambre syndicale des sociétés de commerce international et pionnier des opérateurs tunisiens sur les marchés subsahariens. Une fois cet accord signé, je suis convaincu que les produits ouest-africains et tunisiens deviendront plus compétitifs sur nos marchés respectifs. »

Pour renforcer ses liens avec l’ensemble des sous-régions africaines, Tunis se prépare aussi à négocier son adhésion au Marché commun d’Afrique orientale et australe (Comesa), dont les vingt États membres (notamment la Libye, l’Égypte et le Soudan) représentent un marché de 340 millions d’habitants. La Tunisie a aussi exprimé sa volonté de parvenir à un accord préférentiel avec la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac), qui comprend six pays (Cameroun, République démocratique du Congo, Gabon, Guinée équatoriale, République centrafricaine, Tchad).

Cette recherche d’accords de libre-échange et préférentiels constitue le cadre réglementaire que l’État se devait de mettre en place pour faciliter l’intensification de la coopération avec les pays d’Afrique subsaharienne. Pour leur part, les entreprises, publiques et privées, ont, au cours de la dernière décennie, défriché le terrain. En neuf ans, la valeur des exportations tunisiennes de biens vers la région a plus que triplé (+ 318 %), à 409 millions de DT (215 millions d’euros) en 2009, contre 129 millions en 2000. Le total des échanges de biens est, quant à lui, passé de 459 millions de DT en 2008 à 514 millions de DT (271 millions d’euros) en 2009.

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Normes européennes

Les principaux marchés qui ont importé de Tunisie, en 2009, pour une valeur oscillant entre 10 millions et 90 millions de DT sont l’Éthiopie, le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Gabon, le Mozambique, Djibouti, le Congo-Brazzaville, le Burkina, le Cameroun, le Nigeria, la Namibie, la Guinée-Bissau et le Togo.

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Les produits phares à l’exportation sont issus de l’industrie mécanique et électrique (fils et câbles conducteurs isolants pour l’électricité, interrupteurs, disjoncteurs, électroménager, pièces automobiles de rechange…), de l’agroalimentaire (margarine, pâtes alimentaires, couscous, huile d’olive, biscuits, farine boulangère, dattes, conserves…), des matériaux de construction (peinture à eau et à huile, sanitaires, céramiques, carreaux, plâtre, ciment blanc, fer, articles d’étanchéité, aluminium, serrures, tubes…), de l’industrie chimique (engrais, détergents…) et des industries diverses (fournitures scolaires, papier…).

« Nos produits sont bien visibles et appréciés dans ces pays, malgré la concurrence des produits asiatiques, souligne Mlayah. C’est que les industriels tunisiens se sont alignés sur les normes de qualité des produits européens à la faveur de l’accord d’association avec l’UE. Nous avons donc l’avantage en matière de rapport qualité-prix. » Et c’est bien là la nouveauté. Les grandes entreprises tunisiennes, jusque-là totalement dédiées à l’exportation vers les pays de l’UE, tiennent de plus en plus compte dans leurs stratégies du marché subsaharien. C’est par exemple le cas de groupes industriels multisectoriels comme Poulina Group Holding et le Groupe Slama, qui se sont imposés en Afrique sur le marché des produits agroalimentaires. Le groupe Alliance de Tarek Cherif, spécialiste de la peinture, plastique et résine, est le fournisseur attitré de plusieurs pays subsahariens. Tunisie Câbles, membre du groupe OneTech, est imbattable sur le créneau des câbles d’énergie et de distribution électrique. Omniacom International fournit les équipements pour raccorder les quartiers périphériques et les villages africains aux réseaux nationaux de télécommunications.

BTP, bureaux d’études, TIC…

Aux exportateurs de biens, il faut ajouter les fournisseurs de services, qui, bien que leurs recettes ne figurent pas dans les statistiques du commerce extérieur de la Tunisie mais plutôt dans celles de la balance des paiements, sont bien visibles sur le terrain en Afrique subsaharienne. Ce sont plus particulièrement des entreprises de travaux publics, des bureaux d’études, des sociétés de TIC et des experts. Le groupe tunisien Soroubat a ainsi décroché un contrat de 222 millions de dollars, sur financement de la Banque islamique de développement (BID), pour construire un tronçon de 76 km prolongeant l’autoroute Abidjan-Yamoussoukro. Au moins trente-sept contrats ont été attribués par la Banque mondiale, entre 2001 et 2009, à des entreprises tunisiennes, parmi lesquelles on retrouve la Scet à dix reprises, la Studi à dix-huit reprises, mais aussi la ST2I ou encore Tunisie Câbles. Le groupement d’entreprises tuniso-burkinabè SGTI-ATP a décroché, en septembre 2009, le plus gros de ces contrats – 20 millions de dollars – pour les travaux d’aménagement de la route Bandiagara-Bankass-Koro, au Mali. Le même groupe s’est vu attribuer un contrat d’une valeur de 12 milliards de F CFA pour le bitumage du tronçon Say-Tapoa, au Niger, dont les travaux ont été engagés en janvier.

Les Tunisiens qui ont réussi sur le continent sont unanimes : les opportunités d’échanges entre le nord et le sud du Sahara sont énormes, surtout lorsque les accords de libre-échange deviennent une réalité. Mais deux handicaps structurels demeurent. Le premier a trait au transport de passagers. Tunisair dessert l’Afrique de l’Ouest (Dakar, Abidjan et Bamako), mais pas l’Afrique centrale ou l’Afrique australe. De sorte que pour se rendre de Tunis à Kinshasa, par exemple, on est obligé de passer par Paris, ou bien par Casablanca, ce qui rallonge considérablement le trajet. Rejeb Elloumi, PDG d’un cabinet d’audit, qui se rend souvent en Afrique subsaharienne pour des actions humanitaires dans le cadre du Lions Club International, en sait quelque chose. « Pourquoi, se demande-t-il, faut-il mettre douze à vingt heures pour aller d’un pays africain à un autre, quand la distance peut être parcourue en seulement quatre heures par un vol direct ? » Selon lui, un tel handicap alourdit le coût d’un voyage de prospection pour un homme d’affaires (10 000 dollars en moyenne pour une semaine).

Le second handicap est l’absence d’une desserte maritime directe pour les échanges de marchandises entre la côte méditerranéenne et le littoral atlantique. « Je crois qu’on a pratiquement résolu le problème, estime néanmoins Mlayah. La plupart des compagnies maritimes internationales sont présentes en Tunisie, et il y a tous les jours des bateaux pour l’Afrique subsaharienne moyennant, il est vrai, un transbordement en conteneurs à travers l’Espagne, la France et l’Italie. Sauf qu’en palettes et dans le vrac, cela pose encore des problèmes… »

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