Casse-tête forestier

L’interdiction, décidée le 5 novembre 2009, d’exporter les grumes pour favoriser la transformation locale est entrée en vigueur dès janvier. La filière, mal préparée, est paralysée. Les autorités lâchent un peu de lest.

Au port d’Owendo, depuis le 1er janvier, les billes de bois s’entassent © AGE Fotostock

Au port d’Owendo, depuis le 1er janvier, les billes de bois s’entassent © AGE Fotostock

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Publié le 12 mars 2010 Lecture : 4 minutes.

Gabon : changement d’ère
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Gabon : changement d’ère

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Pour certains, il s’agit d’une reculade. Le 11 février dernier, le gouvernement a décidé d’octroyer un délai de trois mois aux exploitants forestiers pour évacuer le bois en grumes stocké depuis le 31 décembre dans les parcs à bois disséminés à travers le pays et en particulier au port d’Owendo, au sud-ouest de Libreville. Ali Bongo Ondimba a même proposé d’indemniser les exploitants forestiers qui ont subi un préjudice depuis l’application, au 1er janvier, de l’interdiction d’exporter le bois en grumes. Toutefois, la mesure reste en vigueur.

L’objectif de cette interdiction est de faire passer le Gabon du stade de la « simple » exploitation forestière à celui de la transformation. Plus une seule grume n’est censée sortir du port d’Owendo. Tout le bois coupé doit être désormais transformé sur place avant d’être vendu sur les marchés extérieurs.

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S’ils sont tous convaincus par le bien-fondé de cette décision, les gros exploitants forestiers – qui, en dehors de la Société nationale des bois du Gabon (SNBG), sont européens – critiquent sa mise en œuvre « précipitée », qui pourrait avoir des conséquences économiques et sociales graves. L’interdiction d’exporter le bois en grumes, annoncée en Conseil des ministres le 5 novembre, est en effet entrée en application moins de deux mois plus tard sans que le secteur ait eu le temps de s’y préparer et sans que les mesures d’accompagnement pour développer les activités de transformation locales aient été organisées.

L’Union des forestiers industriels du Gabon et aménagistes (Ufiga) fait la grimace et n’exclut pas des licenciements. « Il est vraisemblable qu’à court terme il y ait une baisse de l’activité de production forestière. Dans ce cas, les entreprises devront s’adapter et réduire leurs effectifs », prédit un cadre du groupe français Rougier.

Pas de retour en arrière

Au gouvernement, la menace a été prise au sérieux. Comment ignorer la colère d’une filière dont dépendent 28 % de la population active et qui est le plus gros employeur privé du pays ? Toutes les entreprises du secteur ne disposent pas encore d’unité de transformation locale, les investissements nécessaires étant lourds. Mais, brutalement coupés du commerce du bois en grumes, leur principale source de revenus, comment les exploitants pourront-ils financer la construction des usines ?

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Le gel des Accords de partenariat économique (APE) est un autre problème. Jusqu’à présent, le Gabon n’a toujours pas paraphé les APE et cela n’avait qu’un impact limité sur la filière bois tant que les grumes, exonérées de droits de douane, étaient le principal produit d’exportation vers l’Europe. Il en va tout autrement des produits transformés, tels que les contreplaqués, qui, eux, sont taxés en arrivant aux portes l’UE.

Par ailleurs, les répercussions consécutives aux quelques semaines d’arrêt des exportations du bois gabonais ont atteint des pays étrangers, dont la France. Privé du bois en grumes que lui exportait sa filiale gabonaise, Plysorol – le champion français du contreplaqué, établi à Lisieux (Calvados) et repris en avril dernier par une société chinoise – pourrait mettre la clé sous la porte.

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Dans l’intérêt de tous les acteurs, il était donc urgent de limiter les dégâts en mettant en place une transition plus en douceur, portée par des mesures d’accompagnement. Néanmoins, le chef de l’État n’a manifestement pas l’intention de revenir sur sa décision, arguant qu’« il est inacceptable que certains fassent aujourd’hui semblant d’être surpris » par l’interdiction. En effet, on en parlait depuis longtemps, et le code forestier prévoyait déjà que, à partir de 2012, au moins 75 % des grumes devraient être transformés par des unités locales pour être exportées sous la forme de produits semi-finis ou finis. Pourtant, « les analyses montrent que, à deux ans de l’échéance, seuls 25 % à 35 % sont transformés », explique le Premier ministre, Paul Biyoghé Mba. D’autant plus conscient, donc, qu’il est nécessaire d’apporter une dérogation à l’interdiction totale d’exporter le bois brut imposée depuis le 1er janvier, le chef du gouvernement a proposé un échéancier, le 17 février, afin d’échelonner la part de transformation locale à 60 % en 2010, 75 % en 2011 et 80 % en 2012.

Prévoyants, trois exploitants forestiers, dont le groupe Rougier, ont obtenu la certification FSC (Forest Stewardship Council, ONG indépendante à but non lucratif) et se proposent de commercialiser les grumes auprès d’industriels implantés localement afin que ceux-ci répondent à l’exigence croissante des marchés finaux pour des produits certifiés issus de forêts gérées durablement. Néanmoins, pour ne pas être en reste, le français, qui dispose déjà de trois unités de production au Gabon, dont la plus importante est l’usine de contreplaqué d’Owendo, prévoit d’accélérer les investissements et, notamment, de doubler les capacités de sa scierie de Mevang, entrée en fonctions fin 2007 et où il a déjà investi 3 millions d’euros.

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