Vie et chute d’un chef de guerre afghan

La récente capture d’Abdul Ghani Baradar, numéro deux des talibans et ami proche du mollah Omar, marquera-t-elle un tournant dans le conflit en cours contre l’Amérique et ses alliés ?

Le mollah Abdul Ghani Baradar, quelque part au Pakistan © Sipa

Le mollah Abdul Ghani Baradar, quelque part au Pakistan © Sipa

Publié le 4 mars 2010 Lecture : 4 minutes.

Chez les austères dirigeants talibans, il détonait. Peut-être à cause du plaisir manifeste qu’il prenait à envelopper son pistolet Marakov dans une écharpe rouge dont, traditionnellement, les Afghans se servent pour apporter des bonbons lors d’un mariage… Ou en raison de son goût pour les histoires drôles, assez incongru dans un mouvement peu porté sur la plaisanterie… Mais s’il se distinguait, c’était surtout, bien sûr, par son habileté. La guérilla qu’il dirigeait n’a-t-elle pas transformé l’Afghanistan en brasier et mis à l’épreuve la puissance militaire américaine ?

La carrière du mollah Abdul Ghani Baradar, chef militaire et numéro deux des talibans afghans, a pris fin, il y a une quinzaine de jours, à Karachi (voir J.A. no 2563). À l’issue d’une opération conjointe, il a en effet été capturé par les hommes de la CIA et leurs collègues pakistanais de l’Inter-Services Intelligence (ISI). Terré quelque part dans Karachi, le mollah Mohammed Omar, le mythique fondateur et chef spirituel du mouvement, est sans doute le plus affecté par la perte de son vieil ami. Après les récentes arrestations, au Pakistan encore, d’une douzaine d’autres cadres talibans, il doit se demander s’il n’est pas le prochain sur la liste.

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L’ascension de Baradar illustre la manière dont la géopolitique peut façonner le destin des individus. Les liens de camaraderie noués entre les dirigeants talibans ont cimenté l’unité du mouvement. Les jeux troubles de l’espionnage l’ont brisée. L’arrestation du chef islamiste est un coup dur et pourrait peser sur l’avenir de l’Afghanistan. Alors que de nombreux détenus ont été transférés à Guantánamo, les Pakistanais ont, dans un premier temps, choisi de conserver Baradar, qu’ils considèrent comme un atout dans l’hypothèse où des négociations s’ouvriraient avec le gouvernement afghan. Le 24 février, un accord a été conclu avec ce dernier en vue du transfert du prisonnier à Kaboul.

« C’était quelqu’un de très gentil et de très intelligent, il parlait aux gens avec beaucoup de douceur », raconte le mollah Abdul Salam Zaeef, ancien ambassadeur des talibans au Pakistan.

Né en 1968 dans le village de Wetmak, dans la province septentrionale de l’Uruzgan, Baradar est un Pachtoune, membre du clan Popalzaï – comme le président Hamid Karzaï. Son amitié avec le mollah Omar est ancienne. « Ils se sont connus à l’adolescence, puis ont combattu ensemble les Soviétiques », explique Bette Dam, auteur d’un livre sur la région. À l’époque, Baradar était l’adjoint d’Omar dans un groupe de moudjahidine. C’est ce dernier qui a donné à son ami son nom de guerre : Baradar, qui signifie « frère ».

Après la prière, le catch

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Après le départ des Soviétiques, en 1989, une impitoyable lutte s’engage entre les seigneurs de la guerre. Baradar est, semble-t-il, présent lorsque Omar crée les talibans, après la libération par trente djihadistes de deux jeunes filles retenues en otages et violées par un commandant local. Ce dernier finira pendu au canon d’un tank. En 1996, après la prise de pouvoir par les talibans, grâce à l’appui du Pakistan, Baradar se voit confier d’importantes responsabilités militaires. Un ancien commandant taliban se souvient de lui comme d’un homme sociable, qui s’adonnait à la sieste après avoir dégusté un dogh, boisson typiquement afghane composée de yaourt, d’eau et de sel. « Après la prière, il assistait volontiers à un match de catch avec ses amis », raconte-t-il. Mais l’ancien taliban se souvient aussi de la part prise par Baradar dans l’atroce répression des Hazaras, une minorité ethnique de confession chiite. En 2001, quand les États-Unis bombardent les talibans, c’est lui qui, dit-on, aurait aidé le mollah Omar à s’échapper en moto vers les montagnes.

Baradar doit en partie son ascension à l’élimination par les Américains de plusieurs hauts commandants, qui lui a ouvert les portes du Conseil de commandement des talibans, à Quetta, au Pakistan. Face aux forces de l’Otan, il encourage ses hommes à planter des « fleurs » – autrement dit des bombes télécommandées – le long des routes.

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Pragmatisme

Les qualités respectives d’Omar et de Baradar se complètent à merveille. Autant le premier est impulsif, solitaire et guidé par une idéologie stricte, autant le second se montre accessible, consensuel et diplomate, mais aussi, à l’occasion, rusé et totalement dépourvu de pitié. « Les gens le respectaient beaucoup », raconte l’ancien commandant taliban.

Ce pragmatisme, s’ajoutant au rôle traditionnellement joué par le clan Popalzaï, pourrait faire de lui un intermédiaire idéal dans d’éventuelles négociations. Pourtant, dans un entretien accordé récemment aux médias talibans, il en rejette catégoriquement l’idée : « Ces Américains barbares et tyranniques sont les gens les plus malins et trompeurs qui soient sur terre. Ils n’évoquent l’ouverture de négociations que pour atteindre ultérieurement leurs objectifs. »

L’arrestation de Baradar peut-elle changer la donne ? « Ce ne serait pas la première fois que le chef d’un mouvement rebelle négocierait un accord depuis une cellule », estime Thomas Ruttig, un spécialiste de l’Afghanistan. « Cette arrestation détruit la confiance au lieu de contribuer à l’établir », analyse au contraire le mollah Zaeef, convaincu que la tenue de pourparlers n’en sera pas facilitée.

Deux scénarios sont envisageables. Si la capture du chef taliban est le signe qu’une coopération durable s’est enfin établie entre le Pakistan et les États-Unis, alors nombre de ses amis pourraient bientôt le rejoindre en prison. Mais si les Afghans finissent par renouer avec leur art ancestral du compromis, il n’est nullement exclu que Baradar réapparaisse un jour à Kaboul. À un poste de premier plan. 

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