Jusqu’où peut aller Al-Qaïda ?

Depuis la fin de 2007, Nouakchott est la cible des djihadistes. Une menace insaisissable qui soulève bien des questions.

Aqmi a diffusé une photo du couple d’Italiens enlevés en décembre dernier © SITE

Aqmi a diffusé une photo du couple d’Italiens enlevés en décembre dernier © SITE

Publié le 18 février 2010 Lecture : 5 minutes.

Le 1er février, un ancien juge antiterroriste et quatre experts en sécurité ont quitté Nouakchott. L’Union européenne (UE) les avait mandatés pour élaborer une stratégie permettant de mieux lutter contre Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI).

La nébuleuse terroriste a commencé à prendre la Mauritanie pour cible en décembre 2007, avec l’assassinat de quatre touristes français. Depuis, c’est la série noire : carnage lors de l’attaque d’une patrouille militaire dans le désert en septembre 2008, meurtre d’un humanitaire américain en plein Nouakchott en juin 2009, attentat-suicide – le premier dans l’histoire du pays – contre l’ambassade de France en août, enlèvement de trois volontaires espagnols en novembre, puis d’un couple italo-burkinabè en décembre… AQMI varie ses méthodes et ses cibles, frappe dans le Nord comme dans le Sud et trouve des relais locaux. La menace devient insaisissable.

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Pour Mohamed Ould Abdelaziz, c’est un défi. Avec son uniforme de général et sa réputation d’homme fort, il s’est présenté comme un rempart contre le terrorisme lors du putsch d’août 2008. Élu à la présidence un an plus tard, il a renouvelé sa promesse, pour que « la société mauritanienne demeure ce qu’elle a toujours été par le passé […], paisible et tolérante ». Ses paroles n’ont visiblement pas porté leurs fruits. Coup de projecteur sur une menace insaisissable.

Pourquoi la Mauritanie ?

Avatar du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) algérien, AQMI « cherche à donner la preuve que son champ d’action n’est plus limité à l’Algérie », explique Mohammed Benhammou, président du Centre marocain d’études stratégiques. Selon lui, le pays a l’avantage d’être « un territoire mou ». En clair, un territoire que l’État contrôle mal parce qu’il est vaste (1 million de km2) et très peu peuplé (3 habitants au km2). Objet d’une surveillance approximative, les frontières avec l’Algérie et le Mali, bases arrières d’AQMI, sont faciles à franchir.

Autre atout pour AQMI : contrairement à leurs homologues algériennes, rompues à la lutte antiterroriste depuis le début des années 1990, la police et l’armée mauritaniennes n’ont pas été formées pour faire face à ce phénomène. Leur équipement est également insuffisant (satellites et hélicoptères notamment).

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En revanche, « les motivations idéologiques sont absentes », estime un ancien ministre. Il était possible, en 2007 et en 2008, de croire que la présence d’une ambassade d’Israël à Nouakchott nourrissait l’ire d’AQMI. Mais le gel des relations avec l’État hébreu, en janvier 2009, n’a pas mis fin aux attentats. « Cela réduit le problème à un défi de sécurité », poursuit la même source. AQMI ne présentant aucune revendication précise, la réponse aux attentats ne peut être politique.

Le développement fait cependant partie de la solution. Pauvreté, chômage, oisiveté, petits larcins : à voir le parcours de Sidi Ould Sidina, l’un des assassins présumés des touristes français, le jeune homme a choisi le djihad à défaut d’autres horizons.

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Y a-t-il des cellules d’AQMI ?

Le terme « cellule » est souvent mal employé. Il évoque dans les imaginaires un groupuscule organisé, doté de moyens importants, en liaison avec une « maison mère ». La réalité est plus triviale. Selon une source bien informée, trente à cinquante individus en Mauritanie seraient passés par les camps d’AQMI en Algérie et dans le nord du Mali. Pour éviter d’être repérés, ces « camps » sont en réalité des campements itinérants. Les vivres sont enterrés entre les déplacements. Le séjour – quinze jours, rapporte Sidi Ould Sidina dans le procès-verbal de son interrogatoire – consiste en général à regarder des cassettes vidéo sur le djihad et à apprendre les rudiments du maniement des armes. Les recrues sont réparties en petits groupes de deux ou trois. Elles pénètrent dans le pays avec une mission : « Braquer les touristes, les tuer après leur avoir pris leurs biens », dans le cas de Sidi Ould Sidina. Mais à elles de trouver leur cible et les moyens de passer à l’acte.

Un amateurisme se dégage des attentats perpétrés en Mauritanie. Tremblant en actionnant sa ceinture d’explosifs, le kamikaze du 8 août est le seul à avoir trouvé la mort ce jour-là.

Il arrive aussi que des sous-traitants s’improvisent collaborateurs d’AQMI. Une semaine sépare souvent les actes de leurs revendications. Le temps pour des bandits de grand chemin de négocier avec l’organisation pour qu’elle reprenne le crime à son compte ? Vu les enlèvements, plusieurs experts le pensent. « On rentre dans une dérive mafieuse à la colombienne », estime une source sécuritaire à Nouakchott, rappelant que les Forces armées révolutionnaires de Colombie disposent d’un « stock d’otages qu’elles n’ont pas enlevés ».

Comment les autorités gèrent-elles la menace ?

En 2007 et en 2008, sous la présidence de Sidi Ould Cheikh Abdallahi, le discours officiel niait la réalité de la menace. Son tombeur, Mohamed Ould Abdelaziz, en est bien conscient. Un « groupement d’intervention spécial », qui patrouille surtout dans le Nord, a été créé. « Pour l’équipement et le personnel, un effort a été fait, constate un colonel. Avant, les gens étaient dans les casernes. »

Mais, selon plusieurs experts, la démonstration de force n’est pas la bonne réponse. « On lutte contre le terrorisme par le renseignement », assure un ancien responsable. Le système est encore fragile. Sous le règne de Maaouiya Ould Taya (1984-2005), une tradition de renseignement s’est mise en place. Affaiblie sous Sidi Ould Cheikh Abdallahi, elle revit tant bien que mal aujourd’hui. « Sa faiblesse est qu’il n’y a pas de système, tout repose sur deux ou trois hommes forts », indique une source sécuritaire. Si les services de renseignements ont du mal à prévenir les attentats, leurs auteurs finissent néanmoins derrière les barreaux.

Sur le conseil des religieux, les autorités expérimentent depuis la mi-janvier une autre solution. Elles ont ouvert un dialogue avec les quelque quatre-vingts salafistes détenus à la prison centrale de Nouakchott. Tous sont en passe d’être jugés. Objectif : les conduire au repentir et les désolidariser ainsi d’AQMI­. Les intéressés se divisent en deux groupes : ceux qui n’ont pas de sang sur les mains mais qui ont collaboré – en hébergeant un terroriste, par exemple –, et les autres. Seront-ils amnistiés ? « C’est une négociation qui ne dit pas son nom », redoute une source. « La justice continue parallèlement à faire son travail, rassure-t-on au ministère des Affaires islamiques, avant de reconnaître : s’ils se repentent, la justice sera probablement plus clémente. » Bref, un pari risqué. Car le dialogue peut aussi dédramatiser la punition encourue par les terroristes.

Qui sont les partenaires de l’État ?

Visite de Jean-Louis Georgelin, chef d’état-major des armées, en octobre, réaffirmation de la confiance de Nicolas Sarkozy quelques jours plus tard : la Mauritanie peut compter sur la France. En janvier, Paris a envoyé du matériel militaire à Nouakchott. La France contribue aussi à la formation de la police et de la gendarmerie et partage des informations.

Mais c’est insuffisant. Les experts insistent : le problème est régional. L’échange de renseignements – sur les déplacements, la biographie des terroristes – entre la Mauritanie et ses voisins est donc nécessaire. Le Maroc a répondu présent. Déjà, en décembre 2007, il a fait analyser les douilles récupérées après l’assassinat des Français. Selon plusieurs sources, l’Algérie est coopérative. Les relations avec le Mali sont en revanche plus délicates. « On espère que Bamako va faire plus d’efforts », dit un diplomate.

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