Le bonheur est dans le blé

L’exceptionnelle récolte que vient de connaître la région démontre qu’il est possible d’améliorer les rendements. Et de réduire à moyen terme le déficit céréalier chronique.

Stock de blé dur, à Annaba, dans l’est de l’Algérie © DR

Stock de blé dur, à Annaba, dans l’est de l’Algérie © DR

Publié le 29 septembre 2009 Lecture : 5 minutes.

A priori, les pays d’Afrique du Nord, fortement dépendants des importations pour leur alimentation, ont de quoi pavoiser. Les récoltes de blé pour la saison 2008-2009 ont atteint un niveau sans précédent : un peu plus de 19 millions de tonnes dans l’ensemble de la région. Et, toutes céréales confondues (blé, orge, riz et céréales pour le bétail, dont le maïs), la production des quatre principaux pays à la fois producteurs et importateurs s’est élevée à 41,7 millions de tonnes. Au Maroc et en Algérie, qui affichent respectivement 10,2 millions et 6 millions de tonnes, c’est du jamais vu depuis les années 1960. Elle est exceptionnelle et bien au-dessus de la moyenne annuelle des deux dernières décennies en Égypte, avec 23 millions de tonnes, et en Tunisie, avec 2,5 millions de tonnes.

Si ces pays sont encore très loin de résorber leur déficit céréalier chronique, qui tourne autour de 50 % de leur consommation, ces performances se traduisent tout de même par une baisse des besoins en importations pour les prochains mois, surtout celles de blé. La combinaison de ces bonnes moissons avec la dégringolade des cours mondiaux des céréales, après le pic de la fin 2007 et du premier semestre 2008, devrait alléger considérablement l’addition céréalière en devises de ces quatre pays, et donc améliorer leur balance des paiements. Au Maroc, durant le premier semestre 2009, les factures des importations de blé et de maïs ont baissé respectivement de 42 % et de 22 %, et les experts annoncent que cette tendance devrait se poursuivre au cours des prochains mois.

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Seulement voilà, pour le consommateur, dont l’alimentation est à base de produits céréaliers, le prix de la baguette de pain, de la semoule de couscous ou des macaronis est resté insensible à cette embellie. À cela une raison bien simple : dans ces quatre pays, les prix sont subventionnés par les budgets des États. En 2007-2008, en pleine flambée des cours céréaliers sur les marchés internationaux, ceux-ci ont en effet remis la main à la poche pour éviter des émeutes sociales. En Tunisie, les subventions habituelles aux céréales et dérivés ont doublé. Dans les trois autres pays, elles ont considérablement augmenté, atteignant parfois 2 milliards de dollars. 

Electrochoc

Les gouvernements ont préféré garder inchangés les prix déjà subventionnés, compenser le surplus de prix pour ne pas le faire supporter par le consommateur (voir encadré) et agir pour garder sous contrôle le taux d’inflation, qui a connu une glissade toutefois moins grave qu’ailleurs dans le monde. Aussi l’État, qui a supporté les effets de la flambée des cours mondiaux (de l’ordre de 28 % en moyenne en 2007 et de 33 % en 2008), considère-t-il que c’est à lui que revient le bénéfice de leur baisse – accélérée par la crise financière internationale – afin de ramener le taux de compensation à son niveau d’avant la crise.

Mais les grands gagnants sont surtout les agriculteurs. Durant des décennies, les prix de cession de leurs récoltes étaient fixés par des gouvernements qui les ont maintenus anormalement bas, ce qui a limité la production et donc favorisé les importations. Lors de la crise, chacun de ces pays s’est rendu compte qu’il n’avait pas de véritable politique d’autosuffisance alimentaire, qui n’existait que dans les discours. Alors, pour faire face à la crise de 2007-2008, ils se sont tournés vers les agriculteurs et ont pris une série de mesures pour les inciter à augmenter leur production. L’une d’elles a consisté à augmenter les prix à la production. Si bien que, depuis la chute des cours mondiaux, on se trouve aujourd’hui dans une situation assez paradoxale : le prix de la tonne de blé produite localement tend à être supérieur à celui de la tonne de blé importée. Faut-il alors revenir en arrière ? C’est l’heure de vérité pour les quatre gouvernements. La crise alimentaire de 2008 a été un électrochoc qui a favorisé la réflexion sur les différentes options s’offrant à eux pour repenser leurs politiques agricoles. L’Algérie, l’Égypte et le Maroc, qui représentent moins de 2 % de la population de la planète, absorbent à eux seuls 15 % des importations mondiales de blé.

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La première option, qui a les faveurs de quelques experts de la Banque mondiale et des négociants, serait l’abandon de la filière céréalière sous prétexte de « non-rentabilité » et son remplacement par les fruits et légumes à l’export. « Cela augmenterait la dépendance à l’égard des importations de céréales, mais créerait aussi plus de rentrées en devises… », lit-on dans le rapport 2008 sur le développement publié par la Banque mondiale. La seconde option est une politique volontariste en faveur de la sécurité alimentaire, considérée comme un objectif stratégique nécessitant la mise en œuvre de programmes destinés à réduire les déficits céréaliers. C’est dans cette direction que les gouvernements nord-africains semblent se diriger. Malgré la baisse des cours mondiaux, chacun d’eux a décidé de maintenir inchangés les prix à la production décidés l’an dernier pour inciter les fermiers à produire davantage et s’est fixé des objectifs tendant à réduire la dépendance structurelle en matière de céréales. Le Maroc, dont la production est fortement volatile du fait des caprices climatiques, comme dans le reste des pays de la région, veut stabiliser la production moyenne à 7 millions de tonnes par an (au lieu de 6 millions actuellement) et réduire les importations de 15 % à 20 % d’ici à 2020. La Tunisie vise une production moyenne de 2,7 millions de tonnes par an, contre 1,7 million de tonnes actuellement. L’Algérie compte sur une récolte de 6 millions de tonnes par an en moyenne et non pas seulement dans les années exceptionnelles. Quant à l’Égypte, elle s’est fixé comme objectif de produire 80 % de ses besoins en blé, dont elle est le premier importateur mondial avec 6 % à 7 % de part de marché.

Ces pays réussiront-ils à atteindre ces objectifs ? Rien n’est moins sûr si l’on se fie aux conclusions d’un rapport conjoint de la Banque mondiale, de l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et de la Fondation internationale pour le développement agricole (Ifad) sur la sécurité alimentaire dans les pays arabes, daté d’avril 2009. Le document prévoit qu’à l’horizon 2030 les pays d’Afrique du Nord demeureront non seulement des importateurs nets de céréales, mais verront ces importations augmenter de 138 % pour l’Égypte, de 18 % pour l’Algérie, de 72 % pour la Libye et de 4 % pour la Tunisie. Elles ne baisseront – de 17 % – qu’au Maroc. Le pari est pourtant relevable, si l’on en juge par les moissons de 2009, qui démontrent qu’il est encore possible, abstraction faite des conditions climatiques, d’améliorer la productivité par des incitations aux producteurs, des semences plus rentables et une meilleure utilisation des techniques modernes à même de doper les rendements moyens à l’hectare.

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