Présidentielle : une affaire française

Après avoir juré ne soutenir personne, Paris a choisi son camp : celui d’Ali Bongo Ondimba. Une semaine avant le scrutin, Alain Joyandet était en discrète mission à Malabo pour le faire savoir.

Un soldat français devant le portail calciné du consulat de France à Port-Gentil © AFP

Un soldat français devant le portail calciné du consulat de France à Port-Gentil © AFP

Christophe Boisbouvier

Publié le 14 septembre 2009 Lecture : 5 minutes.

La scène se passe le 3 septembre. La victoire d’Ali Bongo Ondimba (ABO) vient d’être annoncée, et une foule d’opposants se masse devant la concession Total de Port-Gentil, là où vivent plusieurs dizaines de familles d’expatriés français. Comme les protestataires sont arrivés en même temps de trois endroits différents, les Français soupçonnent l’Union du peuple gabonais (UPG) d’être à la manœuvre. L’ambassadeur de France au Gabon, Jean-Didier Roisin, appelle aussitôt Pierre Mamboundou. Celui-ci vient d’être blessé par les forces de l’ordre à Libreville, mais il prend le diplomate au téléphone. « Monsieur Mamboundou, pouvez-vous faire passer des consignes auprès de vos amis de Port-Gentil pour qu’on évite le pire ? – Écoutez, je vais voir ce que je peux faire, mais je dois vous dire que j’ai du mal à joindre Port-Gentil. » À ce moment-là, les liaisons téléphoniques entre Libreville et Port-Gentil sont pourtant très faciles… 

Tentative de neutralité

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Cet échange – où l’opposant se paie la tête du diplomate – en dit long sur le ressentiment antifrançais qui anime une bonne partie de l’opinion gabonaise. « Les Français dehors ! », crient alors tous les émeutiers de Libreville et de Port-Gentil (où les violences postélectorales ont fait au moins trois morts, selon un bilan officiel). Pendant la soirée du 3 septembre, il ne fait pas bon être blanc et circuler dans les quartiers de l’est de la capitale. Le caillassage du véhicule est garanti. « La France a choisi de couvrir, en le niant, le coup de force électoral au Gabon », lance sur son site Internet Bruno Ben Moubamba, le franc-tireur de la société civile. Deux mois et demi plus tôt, lors des obsèques d’Omar Bongo Ondimba à Libreville, Nicolas Sarkozy déclarait : « la France n’a pas de candidat », et beaucoup de Gabonais étaient prêts à le croire. Mais le 3 septembre, le message du président français est devenu inaudible. En dix semaines, la France a réussi à tout gâcher…

Au début, quand les principaux candidats sollicitent un entretien à Paris, la présidence française fait pourtant un sans-faute. Elle prend soin de leur réserver un accueil strictement identique – une audience chez Bruno Joubert, le chef de la cellule Afrique, dans son grand bureau du 2, rue de l’Élysée. Paul Mba Abessole est reçu le 26 juin, le général Idriss Ngari (ex-frère ennemi rallié à Ali Bongo) le 30, Casimir Oyé Mba le 1er juillet, Louis-Gaston Mayila (porte-parole de Pierre Mamboundou) le 10 et André Mba Obame le 13. À chacun et à la presse, Paris tient le même discours : « Les liens franco-gabonais sont prioritaires. Quel que soit l’élu, ils le resteront. Donc, la France n’a pas de préférence. » Et un décideur français d’ajouter : « Au demeurant, il faut arrêter de fantasmer sur nos immenses intérêts dans ce pays. La production d’hydrocarbures y est en baisse. Le Gabon n’est que notre 63e partenaire commercial et ne représente que 0,5 % de nos importations pétrolières, loin derrière l’Angola, le Nigeria et même le Brésil ! »

Au ministère français des Affaires étrangères, certains se prennent même à rêver de l’élection d’un adversaire d’Ali Bongo. Pierre Mamboundou ? « Non. Trop imprévisible et incontrôlable », lâche un diplomate. Mais André Mba Obame ? « Pourquoi pas ? C’est quelqu’un de compétent qui a la volonté de marquer une discontinuité avec le régime précédent et qui équilibre mieux les choses sur le plan ethnique », confie un de ses collègues – en référence aux attaches du candidat avec la communauté fang, la première du pays. « En plus, Mba Obame président, ce serait mieux en termes de communication. La succession dynastique, ce n’est jamais bon pour l’image. » Le Quai d’Orsay refait le monde… Mais vite, l’Élysée va siffler la fin de la récréation.

Une semaine avant le scrutin du 30 août, le secrétaire d’État français à la Coopération et à la Francophonie, Alain Joyandet, se rend discrètement en Guinée équatoriale pour y rencontrer le président Teodoro Obiang Nguema. Au centre des entretiens, le Gabon. Depuis qu’Ali Bongo Ondimba a débarqué avec des gendarmes gabonais sur l’îlot Mbanié en février 2003, le torchon brûle entre le chef de l’État équato-guinéen et le ministre gabonais de la Défense. À quelques jours du vote, l’émissaire de Nicolas Sarkozy vient donc à Malabo pour plaider la cause d’ABO… et faire savoir que, si Obiang Nguema cessait de soutenir exclusivement la campagne de son « cousin » fang André Mba Obame, ce serait un signe d’apaisement. Bref, à l’Élysée, on anticipe… 

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Sarkozy vote Ali

Le 29 août, Paris fait son coming out. C’est Me Robert Bourgi, l’ami et le conseiller de Nicolas Sarkozy, qui dévoile les vraies intentions élyséennes. À la veille du scrutin, il confie au journal Le Monde : « Au Gabon, la France n’a pas de candidat, mais le candidat de Robert Bourgi, c’est Ali Bongo. Or je suis un ami très écouté de Nicolas Sarkozy. De façon subliminale, l’électeur le comprendra. » Huit jours plus tard, il tente de se dédire sur la radio RTL, mais le mal est fait. Tout le monde a compris que l’émissaire du chef de l’État français a vendu la mèche : Sarkozy vote Ali. Au nom de la sacro-sainte « stabilité » des alliés de la France.

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Alain Joyandet, Robert Bourgi… En réalité, plus que ces deux hommes, c’est Claude Guéant, l’homme le plus puissant de France après Nicolas Sarkozy, qui tient le rôle central dans cette affaire de succession. Et cela dès 2008, quand Omar Bongo Ondimba présente les premiers signes d’une grave maladie. En juin 2008, à l’occasion du Salon aéronautique du Bourget, le secrétaire général de l’Élysée introduit le ministre de la Défense Ali Bongo dans le bureau du président français. Au début de cette année, il intervient auprès d’Ali Bongo pour faire libérer cinq figures de l’affaire des « biens mal acquis » qui ont été arrêtées sur ordre… du ministre de l’Intérieur André Mba Obame. En mai dernier, Claude Guéant – toujours lui – se rend au chevet de son ami Ali, hospitalisé à Neuilly-sur-Seine, près de Paris. Le 4 septembre, trois jours avant le message écrit de Nicolas Sarkozy, il est encore le premier responsable politique français à appeler le nouveau président gabonais pour le féliciter. En clair, pendant quelques semaines, deux lignes ont cohabité à l’Élysée. Mais Joubert « le rénovateur » n’a pas fait le poids face à Guéant « le conservateur ». La preuve, Bruno Joubert s’apprête à quitter l’Élysée pour l’ambassade de France à Rabat. 

Une victoire « plausible »

Qu’elle semble loin, cette année 2005 où Nicolas Sarkozy qualifiait de « mascarade » l’élection au Togo du fils du défunt Gnassingbé Eyadema. « Aujourd’hui, Sarkozy fait du Chirac. Il adoube un fils de président », commente un diplomate sur un ton désabusé. À Paris, les avocats de la « rupture sarkozyste » plaident la bonne foi : « Après tout, qu’est-ce qui prouve qu’Ali a gagné par la fraude ? Quels sont les chiffres de l’opposition ? » Pour eux, la victoire du candidat du parti au pouvoir est « plausible », et la France n’est que « le bouc émissaire d’une opposition qui n’a pas su se rassembler ». Mais à Libreville, beaucoup ne croient pas à la sincérité du scrutin et s’exclament : « Pourquoi Sarkozy proteste-t-il contre les fraudes en Iran et ne dit-il rien sur le voleur de chez nous ? »

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