Agbobli, un an déjà

Le 15 août 2008, le corps de l’ancien ministre togolais de la Communication, Atsutsè Kokouvi Agbobli, était retrouvé sans vie sur une plage de Lomé.

Publié le 1 septembre 2009 Lecture : 3 minutes.

Il y a un an, mon père rentrait d’un périple européen, pour être retrouvé mort quinze jours plus tard sur une plage de Lomé, le 15 août 2008. Atsutsè Kokouvi Agbobli, ce nom sonne comme celui d’un guerrier. Et, effectivement, AKA en était un. Il combattait avec les mots, dénonçant ceux qui exploitaient l’Afrique, d’abord en tant que militant actif de la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (Feanf), puis en tant que politologue. À travers ses écrits et ses prises de position publiques, il interpellait les dirigeants africains sur leurs agissements. Plus tard, la sagesse aidant, il expliqua qu’il fallait laisser une échappatoire aux pires d’entre eux, au risque de voir éclater des guerres civiles. Mais chassez le naturel, il revient au galop. Et l’actualité politique de ces dernières années l’avait contraint à reprendre le combat, consterné qu’il était que les potentats aient donné naissance à de petits despotes.

Il dénonça les tripatouillages constitutionnels, les fraudes électorales et les malversations en tout genre. Mais il ne supportait pas que j’en fasse de même. Ainsi m’a-t-il reproché mon intervention en juillet 2008 sur RFI : « Moi, j’ai 67 ans, ils peuvent me tuer, je n’ai rien à perdre. Mes enfants sont grands. Toi, tu as un fils en bas âge. » AKA, avais-tu oublié que les chiens ne font pas des chats ? De la même manière que ceux que tu as combattus se sont dupliqués, tes idées ont essaimé au sein de la jeunesse africaine.

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Ce 31 juillet 2008, c’est ce petit-fils – fier de porter le béret comme son papi – qui t’a accueilli à l’aéroport de Lomé. Moi-même, trop malade pour t’accompagner, je te confiai aux bons soins du chauffeur. Comme treize jours plus tard, toujours aussi mal en point, je confiai au même chauffeur, à ton service depuis dix-huit ans, un panier-repas en promettant de venir te voir le lendemain matin. Mais il n’y aura pas de lendemain. AKA, je n’ai pas vu venir ta mort tout simplement parce que le moment n’était pas venu pour toi de mourir. Et Dieu n’est pas le seul à savoir ce qui s’est passé. Ils sont nombreux ceux qui t’ont kidnappé puis tué, et qui ont tenté de maquiller le crime. Ils ont fait circuler des choses si grotesques que, pour le coup, tu en mourrais de rire. Tes assassins parleront. Rien ne reste caché sous le soleil africain.

En attendant, la vie a repris le dessus. Quand j’ai du temps, je déambule dans ton Quartier latin jusqu’à Saint-Germain-des-Prés, entre la rue Soufflot et la rue Saint-Guillaume, entre la Sorbonne et Sciences-Po, deux lieux qui symbolisent ta jeunesse. J’aperçois sur le Boul’Mich ta banque, qui a été totalement rénovée, puis la statue de Danton à Odéon. À qui n’as-tu pas donné rendez-vous au Danton ? Ton ombre y plane légèrement courbée, vêtue d’un manteau bleu marine, coiffée d’un chapeau du même ton, chargée de livres. Parfois je me demande ce que tu m’aurais conseillé de lire cette année. Et l’actualité, qu’en aurais-tu pensé ? L’élection de ce président africain-américain, tu n’y croyais pas. Et pourtant, tu as manqué à tes amis ce jour-là ! Je suis retournée dans ce restaurant rue Saint-Jacques où nous avions nos habitudes. En chemin tu retrouvais des amis du monde entier. D’un trottoir à l’autre du boulevard Saint-Germain, tu passais de la langue de Molière à celle de Shakespeare. Et vous voilà partis dans d’interminables discussions. Tu refusais cette Afrique dominée de l’extérieur, abusée de l’intérieur. Notre déjeuner pouvait bien attendre…

Souvent je jette un coup d’œil discret sur cet hôtel où tu descendais sur le quai des Grands-Augustins. Tu n’y es pas. Ni rue Garancière, dans cet autre hôtel près de l’école dentaire où, étudiant, tu te faisais soigner. Tu n’es pas non plus chez tes bouquinistes. Mais il y a deux semaines enfin nous t’avons aperçu. C’était sur France 5. Tu participais à un sommet de l’OUA à Addis-Abeba en 1983. On s’est écrié : « Mais c’est papi ! » Tu vois, tu fais toujours partie de notre vie.

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