Meurtres au Sahel

Activisme islamiste, assassinat d’un officier des services secrets, massacre d’une famille de nomades près de Gao… Le nord du pays est l’objet de très vives tensions.

 © REUTERS

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Publié le 23 juin 2009 Lecture : 4 minutes.

L’assassinat de l’otage britannique Edwin Dyer par ses ravisseurs d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), le 31 mai, n’augurait rien de bon pour le Sahel. Mais les habitants de Tombouctou n’auraient jamais imaginé un tel enchaînement de violences. En moins de quinze jours, la ville des 333 saints a vécu un véritable cauchemar. Cela a commencé par une pathétique séquestration d’élus locaux touaregs par des membres de la communauté maure qui contestaient leur défaite lors des élections communales du 24 avril dernier. Plus de peur que de mal. Une médiation menée par des notables de la région a permis de désamorcer la crise entre Arabes et Touaregs qui menaçait de dégénérer.

Dans la soirée du 10 juin, un véhicule tout-terrain roule à tombeau ouvert dans les rues de Tombouctou. Selon plusieurs sources, il arrive de Goundam, à 150 kilomètres au sud-ouest de la ville. Il prend la direction d’Abdaradjou, l’un des quartiers résidentiels de Tombouctou. Le chauffeur s’arrête net devant le domicile des Ould Bou, l’une des plus grandes familles berabiches. Trois hommes enturbannés et armés de kalachnikovs entrent dans la concession où plusieurs personnes sont assises autour d’un thé. « C’est lui », crie l’un des intrus. Un deuxième ouvre le feu sur la cible indiquée. Trois balles criblent le corps du malheureux. Le lieutenant-colonel Lamana Ould Bou, 37 ans, est tué sur le coup. Ses assassins quittent aussitôt les lieux, évitent de passer à proximité du camp militaire, situé à quelques centaines de mètres, et repartent comme ils étaient venus : à très vive allure. La nouvelle fait le tour de la ville, qui est sous le choc. Tout le monde connaissait Lamana, et Lamana connaissait tout le monde. 

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Sur tous les fronts

Né à Tombouctou au début des années 1970, il a fait très jeune le choix des armes. Normal pour un adolescent ayant vécu dans une région sous administration militaire, où cohabitent plusieurs communautés ethniques et qui est régulièrement secouée par des insurrections et autres mouvements de sédition. Il est emballé par le discours des sergents recruteurs de la Légion verte, une milice créée par Kadhafi au milieu des années 1980. Il traverse l’Adrar des Ifoghas, transite par Tamanrasset et Djanet, en Algérie, puis finit dans la banlieue de Tripoli, où il suit une instruction militaire. Son premier combat, il le livre au Tchad, durant la campagne libyenne sur la bande d’Aouzou. Blessé, il quitte le front tchadien mais reste dans la Légion, où il prend du galon. Sa deuxième aventure militaire se déroule sous des latitudes plus lointaines : la plaine de la Bekaa, dans un Liban tourmenté. Le voyage est épique mais plein d’enseignements. Lamana Ould Bou tisse un réseau de relations et apprend, sur le tas, le métier du renseignement. Quand il revient chez lui, le Mali de Moussa Traoré n’est pas au mieux. Les Touaregs ont lancé leur seconde rébellion. Les Songhaïs, soutenus par l’ensemble des communautés sédentaires, ont créé le Ganda Koye (« seigneurs de la terre », en soninké), une milice armée traquant les Touaregs. Et les Berabiches ? Économiquement marginalisés, politiquement déconsidérés, ils traînent les problèmes d’une « minorité minoritaire ». Lamana Ould Bou veut apporter son savoir-faire au Front islamique arabe de l’Azawad (FIAA), une structure politico-militaire qui veut peser, au nom des Berabiches et des autres tribus maures, dans les négociations avec le pouvoir central de Bamako.

En mars 1996, le président Alpha Oumar Konaré allume, à Tombouctou, la flamme de la Paix, un bûcher qui consume près de trois mille armes déposées symboliquement par les mouvements rebelles maliens. De nombreux combattants sont reversés dans les rangs de l’armée. C’est ainsi que Lamana Ould Bou intègre la Sécurité d’État (SE) avec le grade de capitaine. Sa parfaite connaissance du Sahel et des gens qui y vivent ou qui y transitent le rend incontournable dans la gestion du dossier du Nord-Mali au sein de la SE. 

Déclaration de guerre

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Interlocuteur privilégié des salafistes, il joue un rôle déterminant lors des négociations avec les représentants d’AQMI pour la libération d’otages occidentaux. Quand le président Amadou Toumani Touré est las des sautes d’humeur du rebelle Bahanga et qu’il décide de passer à l’offensive, le plan d’attaque contre le fief rebelle est conçu et dirigé par le lieutenant-colonel Lamana. Un véritable « OSS du Sahel » à qui de mauvaises langues imputent des relations sonnantes et trébuchantes avec les barons des trafics de drogue et de cigarettes contrefaites. Deux jours avant l’assassinat de Lamana, ATT avait, à l’occasion d’une conférence de presse tenue au palais présidentiel de Koulouba, le 8 juin, annoncé que le meurtre d’Edwin Dyer ne resterait pas impuni. L’assassinat de Lamana, revendiqué dès le 11 juin par un appel téléphonique à sa famille, est la réponse d’AQMI à cette déclaration de guerre. Cinq jours plus tard, l’armée malienne prend d’assaut une base d’AQMI, à Timétrine, faisant vingt-six morts parmi les salafistes. Cette attaque est le premier acte de guerre entre Bamako et Al-Qaïda.

Autre source d’inquiétude pour ATT au Sahel : les tensions interethniques. Le 12 juin, une famille des Kel Essouk, sans doute l’un des groupes les plus paisibles de la communauté touarègue, qui campait aux abords du Niger, est mitraillée par un commando venu du fleuve. Selon des témoins, il s’agit d’individus appartenant au Ganda Izo, milice se revendiquant du lointain – et aujourd’hui dissous – Ganda Koye. Songhaïs contre Touaregs, salafistes contre barbouzes, Touaregs contre Arabes, milices contre rebelles résiduels… Tombouctou vit un véritable cauchemar.

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