L’Afrique subsaharienne évitera-t-elle la récession ?

L’économie africaine est menacée par la crise. Réunis à Dar es-Salaam, les 10 et 11 mars, les ministres des Finances réfléchissent à un plan de relance avec le FMI, sous l’œil sceptique des chefs d’entreprise.

Publié le 10 mars 2009 Lecture : 6 minutes.

Au moins 25 milliards de dollars. C’est le soutien financier supplémentaire nécessaire en 2009 pour éviter que ne sombrent les économies des trente-six pays les plus pauvres de la planète, principalement d’Afrique subsaharienne, d’après l’estimation du Fonds monétaire international (FMI), publiée le 4 mars. Une enveloppe – dérisoire au regard des milliers de milliards de dollars mobilisés par les pays industrialisés et la Chine pour soutenir leur croissance – qui pourrait être plus élevée si la récession mondiale s’amplifiait. Le même jour, l’Unesco tirait à son tour la sonnette d’alarme. Selon l’institution, la baisse de croissance attendue en 2009 coûtera 18 milliards de dollars aux 390 millions d’habitants les plus pauvres d’Afrique subsaharienne. Soit une facture de 46 dollars par personne. Et la perte, pour chaque habitant, de 20 % de ses revenus.

« La crise financière mondiale touche aujourd’hui, dans une troisième vague, les pays les plus pauvres et les plus vulnérables du monde », a expliqué Dominique Strauss-Kahn, le directeur général du FMI. La croissance du PIB en Afrique sera de 3 % en 2009 après avoir été de 5,5 % en 2008. « Nous subissons les conséquences directes du ralentissement de l’activité économique. C’est un choc frontal. Nos activités de transport sont impactées par la baisse de la consommation de pétrole. Nous n’avons pas licencié pour l’instant, mais nous serons obligés de le faire, à court terme, si la situation persiste. L’Afrique n’est pas responsable de cette crise. Mais les conséquences seront aussi lourdes, sinon plus », déplore Mahamadi Savadogo, le président du Groupe Smaf International, le premier groupe privé burkinabè (transport, immobilier, réseau de stations d’essence Petrofa, BTP). Même la locomotive régionale accuse le coup. « Les entreprises souffrent de la baisse des matières premières – pétrole, oléagineux, caoutchouc –, la filière bois est très touchée et personne ne s’en inquiète au plus haut niveau de l’État », regrette Jean-Louis Billon, le président de la Chambre de commerce et d’industrie de Côte d’Ivoire.

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Constat identique en Afrique centrale. Au Kasaï occidental et dans l’Équateur (RD Congo), les recettes provenant de la production de diamant ont chuté de 83 %, passant de 60 millions à 10 millions de dollars. Une quarantaine de sociétés minières ont mis la clé sous la porte. Et la valeur de celles qui sont cotées a fondu de 80 %. En République centrafricaine, les sociétés forestières ont supprimé des emplois. « Au Cameroun, les exportations de bois brut et débité ont diminué respectivement de 9,9 % et 10,6 % au cours du second semestre 2008. Il faut ajouter les chutes des cours du pétrole brut, de l’aluminium, du caoutchouc et du coton pour comprendre que le pays paie un lourd tribut à la crise », note Martin Abega, secrétaire général de l’Union des patronats d’Afrique Centrale (Unipace). La croissance de la sous-région sera en moyenne de 3,9 % en 2009, avec une inflation d’environ 3,7 %. « C’est dire si la situation est préoccupante », s’inquiète-t-il.

Forte baisse de la dette

On est loin des commentaires rassurants de l’automne 2008, avec une crise qui devait ignorer le continent. « Les risques pour l’Afrique sont grands, reconnaît Dominique Strauss-Kahn. Les exportations seront moins faciles avec une demande mondiale plus faible, les prix à l’export vont diminuer, les canaux de financement s’assécher et l’aide internationale sera plus difficile à collecter. En plus, les difficultés de la crise alimentaire ne sont pas totalement terminées et les prix restent à des niveaux très élevés. » Pour tenter d’éviter le pire, près de 300 dirigeants africains, représentants d’institutions internationales, universitaires, membres d’ONG et du secteur privé ont rendez-vous à Dar es-Salaam, les 10 et 11 mars, pour participer à une conférence organisée par le patron du FMI et le président de la République de Tanzanie, Jakaya Kikwete. Le thème de la rencontre : « Changer : nouveaux défis et nouveaux partenariats pour la croissance en Afrique ». L’enjeu ? « Grâce aux ajustements structurels, beaucoup de pays ont atteint entre 4 % et 6 % de croissance par an, les déficits ont été considérablement réduits, l’endettement a fortement baissé, le secteur productif a été assaini, les réserves de change sont élevées. Et, malgré tout, il n’y a pas eu de vrai décollage économique africain. C’est ce que veut comprendre le FMI », explique Jean-Marc Gravellini, le directeur Afrique de l’Agence française de développement (AFD).

Mais tout s’écrit dans les coulisses depuis plus de trois mois. Une équipe de choc a rédigé un document intitulé « Pour un partenariat renforcé entre l’Afrique et le Fonds monétaire international », signé par les ministres des Finances et les gouverneurs de Banques centrales des pays africains. Un texte de 58 pages, que Jeune Afrique a pu consulter. Véritable plan de bataille, il sera défendu devant Dominique Strauss-Kahn à Dar es-Salaam. Il doit remettre le continent sur les rails d’une croissance de 6 % à 7 % par an avec l’appui financier du FMI et contribuer à définir de nouvelles règles de collaboration avec l’institution de Bretton Woods. « L’Afrique doit négocier un programme de relance avec le FMI à la dimension de nos problèmes. Il y a urgence. Le fonds s’est mis en quatre pour sauver l’Islande ou la Lituanie, il doit en faire autant avec l’Afrique dans le cadre d’un nouveau partenariat qui prend en compte la crise et s’attaquer aux questions de fond sur l’endettement, les infrastructures, l’agriculture, les taux d’intérêt, l’investissement privé… », ­explique Paulo Gomes. Cet ancien administrateur de la Banque mondiale, jusqu’en 2007, a piloté l’équipe qui a élaboré le rapport présenté au FMI.

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Rôle moteur de l’agriculture

Sans grande surprise, toutefois, ce document place le développement de l’agriculture, des infrastructures et l’intégration régionale comme les éléments clés d’une croissance soutenue. « À l’avenir, l’engagement du FMI aux côtés de l’Afrique devra reconnaître le rôle moteur de l’agriculture pour la croissance », note le rapport. « Il y a une vraie carte à jouer, insiste Jean-Marc Gravellini, de l’AFD. Seulement 10 % à 15 % du potentiel d’irrigation des grands fleuves sont mis en valeur. Et il faut conduire une révolution verte pour améliorer la compétitivité et la productivité de l’agriculture. » Ce ne serait pas la première fois que de tels objectifs sont fixés. Seront-ils tenus ? « Du fait de la baisse actuelle des prix des céréales, je ne voudrais pas que l’on oublie les bonnes intentions et la volonté affichée, l’année dernière, durant la crise de la vie chère. Car, depuis, la donne a changé et la crise financière a eu ses effets, y compris en Afrique, où les projets semblent plus compliqués à financer », tempère Alexandre Vilgrain, PDG de Somdiaa.

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Autres piliers d’une croissance future : le développement des infrastructures (routes, eau, électricité, aéroports…), préalable à la réduction des coûts des entreprises et facteur d’intégration régionale. Mais, comme pour l’agriculture, c’est un domaine où l’orthodoxie budgétaire du FMI – dont le but est d’assurer la stabilité financière des États – a souvent conduit ces mêmes États à freiner ce type d’investissements… Selon les estimations, 20 à 30 milliards de dollars par an seraient nécessaires pour combler le déficit d’infrastructures de l’Afrique. L’effort pourrait être payant. Relier par la route les villes d’Afrique subsahariennes de plus de 500 000 habitants et créer le réseau de corridors proposés par la BAD accroîtraient les échanges terrestres de 250 milliards de dollars sur quinze ans !

Les entrepreneurs doutent

Plus terre à terre, les chefs d’entreprise ne sont pas en reste avec, par exemple, une batterie d’une quinzaine de propositions de l’Unipace pour relancer la croissance africaine. Certaines sont conjoncturelles : diminuer les taux d’intérêt, créer des fonds de garantie pour les PME, alléger temporairement la fiscalité des entreprises dans les secteurs touchés par la crise, multiplier les investissements à travers des partenariats public-privé. Et d’autres, structurelles : fiscalité spécifique pour les importations des outils de production et des intrants agricoles, création de banques de développement pour l’agriculture, instauration de la transparence financière, libre circulation des biens et des personnes, finalisation rapide de l’intégration régionale, amélioration de l’environnement global des affaires… « La plupart des mesures préconisées par le secteur privé sont connues, regrette Martin Abega. C’est la volonté politique pour les traduire en actes qui fait, hélas, défaut. » Les temps changeront-ils après Dar es-Salaam ?

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