Lala Moulaye: « De la culture cash à la culture carte »

Émergence d’acteurs régionaux, réforme du marché, pistes de croissance… La patronne des banquiers francophones et directrice générale de Bank of Africa-Côte d’Ivoire  revient sur les principaux enjeux du secteur bancaire en Afrique de l’Ouest.

Publié le 4 octobre 2010 Lecture : 6 minutes.

Jeune Afrique : La crise qui a frappé la finance mondiale à la fin de 2008 a-t-elle eu des conséquences durables en Afrique ?

Lala Moulaye : Bien entendu, mais de façon sans doute moins forte qu’en Europe ou aux États-Unis. Nous avons tout de même observé une diminution ou un report des investissements, un tassement des transferts des diasporas et, au final, un ralentissement de la croissance dans la plupart des pays. Dans ces conditions difficiles, les banques ont continué à fonctionner, sans doute en analysant de façon plus stricte les demandes de crédit, mais sans durcir les conditions financières. Les banques centrales les ont aidées par une politique souple et pragmatique des taux de refinancement des banques.

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Comment des groupes comme BOA ou Ecobank ont-ils pu devenir des acteurs majeurs ?

L’émergence d’acteurs régionaux, puis continentaux, est à mon sens le fruit de la volonté croissante des acteurs du continent d’occuper la place qui leur revient naturellement, mais c’est aussi le résultat du repli quasi général des banques occidentales, les deux mouvements s’étant simultanément influencés. Le développement économique, les évolutions démographiques, l’urbanisation continue ont bien sûr favorisé une demande de bancarisation sans cesse croissante, à laquelle les banques qui ne sont pas issues du continent africain pouvaient difficilement répondre. Enfin, la densité du réseau s’est avérée être un outil indispensable pour se développer au plus près de la clientèle.

En zone CFA, il y aurait trop de banques, trop petites. Êtes-vous favorable à un scénario nigérian, avec la diminution drastique du nombre d’établissements consécutive au relèvement du capital exigé ?

C’est vrai qu’il y a beaucoup de banques, au regard de la taille de nos marchés, et c’est bien ce qui justifie les réformes en cours, qui visent principalement à assainir le secteur. La garantie ? C’est l’exercice du métier dans le respect des règles. Mais il faut également rappeler que les seules règles ne suffisent pas : une vraie sécurité judiciaire est tout autant indispensable, notamment pour assurer correctement le recouvrement des créances bancaires compromises.

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Souhaitez-vous une intervention plus forte de la BCEAO pour assainir le secteur, ou êtes-vous profondément libérale ?

Si « profondément libérale » signifie « libéralisme sauvage », ma réponse est non. Dans un système, même libéral, il faut des règles claires qui s’appliquent à tous les acteurs, lesquels doivent être surveillés et sanctionnés en cas de manquement. La réglementation et la supervision sont les moyens indispensables par lesquels l’autorité de tutelle intervient dans le jeu.

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L’exemple nigérian prouve que la restructuration du marché n’a pas encore permis d’éradiquer les pratiques douteuses…

Vouloir les éradiquer à court terme ou totalement serait présomptueux. Vous avez cependant bien observé qu’il y a des réformes importantes en cours au Nigeria, qui ont notamment porté le nombre de banques en activité de 90 à 26 en quelques années. Dans l’UEMOA [Union économique et monétaire ouest-africaine, NDLR], le paysage bancaire se recompose aussi, notamment avec l’arrivée de nouveaux opérateurs, et les réformes se poursuivent, avec une importante refonte institutionnelle qui a accru l’indépendance de la BCEAO [Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest, NDLR]. Les choses vont donc dans le bon sens.

La remise en cause de la croissance du secteur bancaire nigérian va-t-elle avoir des conséquences néfastes pour l’Afrique de l’Ouest ?

Tout dépend comment on voit les choses : en termes d’activité bancaire, vous savez bien que les parties francophone et anglophone de l’Afrique de l’Ouest sont très cloisonnées. Par contre, les banques nigérianes qui sont en train de s’implanter en Afrique de l’Ouest francophone continueront-elles à en avoir les moyens ? Leur image va-t-elle en souffrir ? L’avenir le dira.

Le développement rapide des banques marocaines ou nigérianes en Afrique francophone ne révèle-t-il pas une certaine faiblesse des établissements bancaires locaux ?

Les établissements marocains et nigérians ont trouvé dans notre zone un territoire d’expansion naturel pour leurs activités – parfois soutenues et encouragées par leurs pouvoirs publics -, et des banques très attrayantes. Mais il est vrai qu’il y a des banques de dimension plus modeste, qui sont contraintes de suivre les mises à niveau réglementaires sous peine de disparaître, comme au Nigeria voisin. Ce sont les nouvelles règles, indispensables au développement et à la bonne santé du secteur. Il faut s’y plier.

Quels bénéfices les banques africaines peuvent-elles tirer des nouvelles technologies, notamment dans le domaine de la monétique ?

D’une façon très générale, les nouvelles technologies font gagner en productivité, améliorent le service rendu au client et permettent de diversifier l’offre avec des produits innovants. Dans le domaine particulier de la monétique, l’Afrique est en retard par rapport au reste du monde, mais je pense qu’il est en train de se produire le même phénomène avec les cartes bancaires qu’avec le téléphone mobile il y a quelques années. Nous allons passer directement de la culture cash à la culture carte, sans passer par la case chèque.

Pour enrichir leur offre, nombre d’établissements misent sur la diversification des produits et services. Comment jugez-vous ces nouvelles pistes de croissance ?

Il en existe plusieurs : ce sont par exemple les produits de bancassurance ou les services de mobile banking. Mais je pense que nous faisons fondamentalement tous le même métier et proposons globalement la même offre. Le choix du client pour tel ou tel établissement s’opérera donc selon deux critères principaux : la qualité du service qu’on lui rend et la bonne adéquation des produits à ses besoins. Autrement dit, les métiers touchant à l’animation commerciale et au marketing vont rapidement se placer au centre de la stratégie des banques.

Les banques sont souvent accusées de ne pas prendre de risques et d’être surliquides…

Ce n’est pas parce que la liquidité d’une banque est bonne qu’elle doit financer tous les projets qui lui sont soumis. Quand un dossier n’est pas bon, il ne doit pas être financé. Or l’appréciation de la qualité d’un projet est du strict ressort du banquier. Quand les banquiers rejettent des mauvais dossiers, on dit qu’ils sont frileux. Mais quand la banque a des difficultés nées de la dégradation de son portefeuille, on dit que l’établissement a été mal géré. Quoi qu’il en soit, je ne pense pas que la surliquidité des banques soit en cause, mais plutôt le nombre trop faible de projets bien construits.

Vous êtes la première femme à diriger une filiale de BOA. Dans le milieu très masculin de la banque, a-t-il été difficile de vous imposer ?

Au sein de ma propre entreprise, je n’ai pas rencontré de difficultés, car seuls le travail, l’engagement et les résultats comptent. Être une femme n’a joué ni en ma défaveur ni en ma faveur. Certes, le milieu de la banque et de la finance reste très masculin, mais je ne suis qu’une des premières. Le mouvement est irréversible. Dans tous les secteurs professionnels, et je dirais même dans la vie en général, une femme doit faire davantage ses preuves qu’un homme, toujours et tout le temps. C’est ainsi, et les femmes font avec.

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