Les femmes africaines peinent à percer le plafond de verre

Éducation, travail, indépendance… Malgré de timides avancées, le statut des femmes n’a que peu progressé en Afrique, selon les participantes du 5e forum social d’Essaouira, au Maroc, du 15 au 16 mai. En cause : l’inertie des lois et l’héritage d’un modèle patriarcal dont elles ont bien du mal à se défaire.

Des femmes marocaines manifestant pour la parité, en mars 2015, à Rabat. © Fadel Senna/AFP

Des femmes marocaines manifestant pour la parité, en mars 2015, à Rabat. © Fadel Senna/AFP

ProfilAuteur_LaurentDeSaintPerier

Publié le 21 mai 2015 Lecture : 5 minutes.

"Nous sommes tout, et nous n’avons rien !", s’exclame la Malienne Oumou Sangaré, paraphrasant – en parlant des femmes d’Afrique et du monde arabe – le mot qu’avait eu, à propos du peuple français, le révolutionnaire Sieyès en 1789. La sentence est tombée en marge du 5e forum social d’Essaouira, en coulisses du festival gnaoua, qui s’est penché sur la condition, en Afrique, de la moitié – bien souvent sous tutelle – de l’humanité. Les femmes.

Au cours de cette rencontre, il aura été question de parcours exemplaires. Celui de la styliste franco-sénégalaise Aissa Dione qui, revalorisant le tissage traditionnel, a su séduire les plus grands stylistes et décorateurs. Ou encore celui d’Oumou Sangaré qui, dès l’enfance, a fait fructifier ses talents de chanteuse pour aider sa mère célibataire et pauvre avant de se lancer avec succès dans l’importation de véhicules chinois au Mali, une fois devenue célèbre.

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D’expériences remarquables : celle de la Tunisienne Souheyr Belhassen, qui a vécu la révolution de 2011 à la tête de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH). Celle aussi d’Amal el-Amri, secrétaire générale adjointe de l’Union marocaine du travail (UMT), un puissant syndicat qui succède sur l’estrade à la patronne des patrons tunisienne, Wided Bouchamaoui. D’expertises enfin, comme celle de l’anthropologue mauritanienne Mariem Baba Ahmed, spécialisée sur l’étude de la condition servile dans son pays ; celle de l’historienne tunisienne Sophie Bessis, ancienne de Jeune Afrique. Ou encore celle de Fatima Sadiqi, universitaire de Fès qui délivre ses enseignements jusqu’à Harvard.

Les plus hautes responsabilités de facto interdites

Famille, arts, affaires et politiques : au cours des deux matinées des 15 et 16 mai, venues de sept pays d’Afrique du Nord et du Sud du Sahara une vingtaine d’intervenantes aux CV remarquables ont livré leurs points de vue sur la place des femmes – ne dites pas "de la femme" – dans ces domaines clés de la société et des civilisations.

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"En un demi-siècle, tout a changé en matière de condition féminine mais les forces réactionnaires se sont coalisées en Afrique pour que rien ne bouge", constate d’entrée Sophie Bessis, approuvée par l’ensemble des intervenantes. Première révolution, les femmes accèdent en nombre croissant au travail salarié. Mais, dans ces domaines, l’égalité hommes-femmes reste à réaliser quand l’inégalité de traitement, à travail égal, paraît encore naturelle et les plus hautes responsabilités restent de facto interdites.

Car, s’il a permis de valoriser la place des femmes dans les sociétés, l’accès au monde du travail n’a pas été une bienveillante concession masculine : à partir des années 1970, la hausse de la pauvreté sur le continent a poussé les femmes à prendre un travail afin de contribuer financièrement aux revenus du ménage. L’éclatement de la cellule familiale – autre phénomène moderne – a également placé des millions d’entre elles dans le rôle de chefs de famille. Pourtant, au regard de bien des lois et des sociétés, c’est l’homme qui conserve ce titre…

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Des codes de la famille arriérés

"Hélas, tout ceci n’a pas conféré de droits aux femmes d’Afrique",  souligne la Sénégalaise Adjaratou Fatou Ndiaye (ONU Femmes pour le Nigéria et Cedeao), rappelant que son pays a un des codes de la famille les plus arriérés : "Dernière rare avancée, l’obligation d’obtenir l’autorisation masculine pour travailler a été levée…" Enfin, regrette l’universitaire Fatima Sadiqi, "quand bien même certaines femmes ont du pouvoir, elles restent privées d’autorité car celle-ci vient de la société, du regard des autres, elle est la sanction sociale d’une avancée".

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Indispensable à l’exercice de nombreux métiers, l’accès des femmes à l’éducation est aussi très inégalitaire d’un pays à l’autre sur le continent. En Tunisie, dont le leader Bourguiba a tôt fait l’un des pays les plus avancés en matière de droit des femmes, leur taux de scolarisation atteint 90% quand celui des Nigériennes n’est que de 10%. En Mauritanie, 76% des femmes sont analphabètes.

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Si les plafonds de verre qui s’empilent entravent la progression sociale des femmes, un plafond de pierre bien visible la bloque sur le continent : le marbre dans lequel sont gravées les lois qui définissent leur statut. Promulgué par Bourguiba en 1956, le Code du statut personnel demeure un texte très progressiste dans la région et le vif rejet, en septembre 2014, de la volonté des islamistes d’Ennahda de placer les droits des femmes sous "le principe de complémentarité avec l’homme islamiste" a montré la fragilité de cet acquis, malgré sa longévité. Également citée en exemple, la réforme de la Moudawana marocaine de 2004 n’est pas exempte de failles, qu’ont illustré les très récents débats sur la polygamie et l’avortement. 

Les lois, instrument de soumission des femmes

Entre ces deux pays cités en exemple, l’Algérie – où les femmes s’étaient remarquablement mobilisées pour l’indépendance – reste inerte en la matière et fait la démonstration de son ingratitude. "Le seul pays du continent à avoir réalisé dans la loi l’égalité stricte est le petit Cap-Vert", rappelle Sophie Bessis. Et la Mauritanienne Baba Ahmed de souligner : "Seuls deux États d’Afrique n’ont pas ratifié la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes des Nations unies, mais aucun État partie ne l’a traduit dans ses lois". Le droit reste donc, dans la plupart des pays du continent, l’instrument inexorable de la soumission des femmes.

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C’est là qu’il faut agir d’urgence, estiment unanimement les intervenantes du forum. "Dans beaucoup de pays, les femmes veulent encore à tout prix se marier car c’est pour elle un rare moyen d’exister", conclut Adjaratou Fatou Ndiaye.

Les hommes sont-ils responsables de cette situation ? "Le patriarcat est une idéologie qui opprime aussi bien les hommes que les femmes, et qui pénètre tout : les lois, les coutumes, les religions et les mœurs", nuance Fatima Sadiqi. "Nombre de femmes font aujourd’hui des études. Mais elles se marient et stoppent alors net toute ambition de carrière, constate Oumou Sangaré. Il faut un sacré volontarisme pour devenir chanteuse, puis mère, puis femme d’affaire :  les barrières sont difficiles à franchir."

Un patriarcat à l’agonie ?

Les femmes sont aussi responsables que les hommes de la transmission de ces idées aux jeunes générations. Et parfois les défendent bec et ongles, comme l’islamiste tunisienne Farida Laabidi qui déclarait, en plein débat sur la complémentarité : "Il n’y a pas d’égalité absolue entre l’homme et la femme". "Certains disent que le patriarcat se meurt, mais qu’est-ce que son agonie est longue ! ironise Sophie Bessis. Les structures patriarcales des sociétés existent encore mais elles sont minées par les bouleversements sociaux. Nous sommes face à une révolution anthropologique et la conjugaison des archaïsmes n’empêchera pas la question féminine de devenir, selon moi, l’enjeu politique du XXIe siècle".

En attendant, toutes iront applaudir le soir les maâlem gnaouas, virils maîtres de musique traditionnelle qui occupent le devant de la scène. Et si des femmes figurent dans certains spectacles, elles restent, elles, à l’arrière-plan. Sagement assises…

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