La captive de Rangoon

Aung San Suu Kyi, la charismatique opposante à la dictature militaire – et Prix Nobel de la paix en 1991 -, a passé, au total, dix ans en détention.

Publié le 6 novembre 2005 Lecture : 5 minutes.

Triste anniversaire, le 24 octobre, pour Aung San Suu Kyi, la figure de proue de l’opposition birmane. Au total, depuis 1989, elle a passé dix ans tout juste en détention. Elle se trouve actuellement assignée à résidence dans sa villa d’un quartier résidentiel de Rangoon. Sans aucun autre contact avec le monde extérieur que les visites hebdomadaires de son médecin. Lauréate du prix Nobel de la paix en 1991, cette militante de la non-violence a fait, il y a dix-sept ans, le voeu de conduire son pays sur la voie de la démocratie. Et de tout sacrifier au combat pacifique qui l’oppose à l’un des régimes militaires les plus durs et les plus opaques de la planète.
Son destin ne doit pas grand-chose au hasard. Fille du général Aung San, le père de l’indépendance de la Birmanie – rebaptisée Myanmar par les généraux, en 1989 -, Suu Kyi voit le jour le 19 juin 1945, un mois après le départ des troupes japonaises de l’ex-colonie britannique. Elle a 2 ans quand son père, qui dirigeait le gouvernement de transition mis en place par Londres, est assassiné.
À l’aube de l’adolescence, Aung San Suu Kyi quitte son pays pour suivre sa mère, nommée ambassadrice à New Delhi. Ses études secondaires achevées, elle prend seule le chemin de l’ancienne métropole. Sur les bancs de l’université d’Oxford, où elle étudie de front la philosophie, l’économie et les sciences politiques, elle rencontre Michael Aris, un étudiant en civilisation tibétaine qui deviendra son mari.
Vingt-huit ans se sont écoulés depuis son départ, lorsque le destin rattrape la brillante universitaire, devenue mère de deux enfants. En 1988, accourant au chevet de sa mère mourante, elle retrouve son pays en proie à une sanglante répression déclenchée par les généraux qui se sont emparés du pouvoir en 1962. Elle ne le quittera plus. En digne fille de son père, elle épouse la cause des millions de Birmans qui descendent dans la rue pour réclamer la fin de la dictature. Lorsque l’armée ouvre le feu, tuant plusieurs milliers d’entre eux, elle se lance corps et âme dans une campagne de démocratisation. Oratrice de talent, la très charismatique « Dame de Rangoon » est élue secrétaire générale de la jeune Ligue nationale pour la démocratie (LND). Adulée par le peuple, Aung San Suu Kyi sillonne le pays pour y répandre la bonne parole de la désobéissance civique et de la non- violence. À l’instar d’un Gandhi ou d’un Martin Luther King, dont elle revendique l’héritage moral.
Le retour de l’enfant prodigue n’est pas du goût des généraux. Inquiets de sa popularité, ils l’assignent à résidence. Peine perdue. En 1990, à la suite des sanglantes émeutes de 1988, la junte est contrainte d’organiser des élections législatives. La LND remporte plus de 80 % des sièges à pourvoir, mais les militaires, résolus à se maintenir coûte que coûte au pouvoir, rejettent le verdict des urnes et emprisonnent les vainqueurs du scrutin. Le premier de l’histoire du pays !
La popularité de l’opposante emprisonnée déborde bientôt des frontières du pays. Devenue une figure emblématique de la résistance, elle voit sa cause mondialement reconnue quand, en 1991, le prix Nobel de la paix lui est décerné. Prisonnière dans sa propre maison, elle ne baisse pas les bras, écrit plusieurs livres et de nombreux discours qui sont lus en son nom dans diverses enceintes internationales. Très croyante, elle consacre beaucoup de temps à la méditation et à l’étude de l’enseignement du Bouddha, l’une des principales références de sa lutte. Et elle se détend en jouant du Bach au piano.
Face à la pression internationale, les militaires acceptent au bout de six ans de lui rendre sa liberté. Du moins partiellement, puisque ordre lui est donné de ne pas quitter Rangoon. Le « papillon de fer », comme la surnomment ses compatriotes, reprend aussitôt son combat. Diplomates et journalistes du monde entier se pressent – discrètement – à la porte de l’élégante quinquagénaire, qui cache derrière une apparente fragilité une détermination sans faille. Que rien ni personne ne parviennent à ébranler. Pas même la disparition de son mari, qui, atteint d’un cancer de la prostate, s’est vu refuser par la junte, en mars 1999, quelques mois avant sa mort, la permission de rendre une ultime visite à sa femme. Les militaires ont en revanche autorisé Aung San Suu Kyi à se rendre à son chevet, mais craignant de voir se refermer derrière elle les portes de son pays, elle a préféré décliner.
Ses activités lui valent bientôt une nouvelle assignation à résidence, puis un séjour de plusieurs mois en prison, dont elle ne sort, en septembre 2003, que pour subir une intervention chirurgicale dans une clinique de la capitale. Depuis, elle est à nouveau confinée chez elle.
Pourtant, la mobilisation internationale ne faiblit pas. À l’occasion de son soixantième anniversaire, au mois de juin, des personnalités du monde entier, de George W. Bush au dalaï-lama, ont une nouvelle fois exigé sa libération. En vain. Les luttes intestines qui font rage au sein de la junte risquent de ne pas jouer en sa faveur. Depuis l’éviction, en octobre 2004, du Premier ministre Khin Nyunt, la tendance est au durcissement. Engagé à l’instigation de l’Onu, le dialogue en vue de la réconciliation nationale et de la mise en place d’une transition vers la démocratie a été ajourné sine die par les généraux. Pour cause de mousson, paraît-il ! Le rapport onusien publié fin septembre est accablant : aux habituelles violations des libertés civiles s’ajoutent en effet des actes avérés de torture, la répression systématique des minorités ethniques (Karens, Shans, etc.), ainsi que de sérieuses présomptions de travail forcé.
Ni les sanctions économiques ni les rappels à l’ordre de l’ONU n’ont eu 0le moindre effet sur la junte, qui continue d’afficher le plus souverain mépris pour la communauté internationale. Il est vrai qu’elle bénéficie du soutien affirmé de la Chine et de celui, plus discret, de la Thaïlande. Elle a toutefois dû renoncer à présider cette année l’Association des nations d’Asie du Sud-Est (Asean), qu’elle a rejointe en 1997.
Les appels de plus en plus insistants de l’opposition, relayés par des sympathisants dans le monde entier, convaincront-ils enfin le Conseil de sécurité des Nations unies de se saisir du problème ? Difficilement envisageable tant que la Chine – qui dispose d’un droit de veto – s’y opposera. Pourtant, la Dame de Rangoon reste optimiste. « Le changement viendra inéluctablement, dit-elle, parce que les militaires n’ont pour eux que les armes ; et rien d’autre. »

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