Algérie : l’après-Bouteflika a commencé

Hospitalisé depuis le 27 avril, Abdelaziz Bouteflika pourra-t-il reprendre les rênes du pouvoir ? Alors que l’incertitude règne sur son état de santé, difficile d’imaginer sa succession tant son destin personnel se confond avec celui de son pays.

Le président, lors d’une cérémonie à l’Académie militaire de Cherchell, en juin 2012. © Reuters

Le président, lors d’une cérémonie à l’Académie militaire de Cherchell, en juin 2012. © Reuters

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Publié le 31 mai 2013 Lecture : 7 minutes.

«Tout le monde sait que j’ai été malade et que j’ai dû suivre une convalescence très sérieuse. Mais maintenant, j’ai repris mes activités normales et je ne pense pas que mon état de santé doive encore susciter des commentaires et des supputations plus ou moins fantaisistes. » Ainsi parlait Abdelaziz Bouteflika, quelques mois seulement après son hospitalisation – fin 2005 et déjà au Val-de-Grâce – pour un ulcère hémorragique.

L’histoire se répète aujourd’hui. Impossible d’éluder les questions sur la santé du chef de l’État algérien, transféré le 27 avril dernier dans l’établissement militaire français, officiellement suite à un accident ischémique transitoire (AIT). Un type d’accident vasculaire cérébral (« mini-AVC ») relativement bénin s’il est pris en charge à ses débuts, mais qui peut faire craindre la survenue ultérieure d’un accident ischémique constitué (ou infarctus cérébral) qui, lui, provoque des lésions irréversibles, pouvant entraîner la paralysie d’une partie du corps ou des troubles du langage.

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Problème : entre des versions officielles angéliques, distillées à dose homéopathique, et les versions alarmistes que répandent certains médias français et algériens, il est difficile de se forger une opinion. « La maladie du président ne sera bientôt plus qu’un mauvais souvenir […], son état s’améliore de jour en jour […], il suit quotidiennement les activités du gouvernement », affirme Abdelmalek Sellal, le Premier ministre. Pendant ce temps, des organes de presse n’hésitent pas à affirmer, en l’absence de preuves tangibles ou de sources crédibles, que le chef de l’État serait dans le coma, ou aurait été rapatrié à Alger en catimini pour y finir la poignée de jours qui lui resteraient à vivre. La chape de plomb qui pèse sur la maladie du plus célèbre patient d’Algérie ne peut qu’alimenter les rumeurs les plus folles.

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Convalescence

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« Boutef », qui souffre par ailleurs depuis sa jeunesse de polykystose, une maladie héréditaire nécessitant un suivi médical rigoureux, est sorti du Val-de-Grâce le 21 mai. Il a été transféré aux Invalides, une autre institution médicale militaire, dans le 7e arrondissement de Paris, « pour y poursuivre sa convalescence » selon le ministère français de la Défense. D’après nos informations, son pronostic vital n’est pas engagé. Mais la longueur de son hospitalisation, ainsi que l’absence d’éléments de preuves relatifs à l’amélioration de son état, laissent tout de même penser que la situation est préoccupante. Ou du moins, pas aussi anodine que les autorités le serinent, aiguillonnées par Saïd Bouteflika, frère et conseiller spécial du chef de l’État, à son chevet depuis son transfert d’Aïn Naadja, fin avril. « Maintenant, c’est aux Algériens de gérer la fin de l’histoire », nous a confié, énigmatique, l’un des principaux membres du gouvernement de François Hollande.

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Question essentielle : le président sera-t-il en mesure de reprendre les rênes du pays jusqu’à la fin de son mandat, dans dix mois ? Cela paraît aujourd’hui bien difficile. Mais mieux vaut être prudent. Combien de fois n’a-t-on annoncé sa mort ? N’en déplaise aux Cassandre, près de huit ans après sa première hospitalisation, celui qui détient le record de longévité au pouvoir en Algérie occupait toujours le palais d’El-Mouradia.

Prunelle

Depuis son ulcère hémorragique qui faillit lui coûter la vie, comme il l’a lui-même reconnu, Bouteflika, 76 ans, s’est cependant progressivement effacé du devant de la scène. Si son cerveau fonctionnait toujours aussi bien, son corps était épuisé. Il a suspendu ses voyages de travail à l’étranger, fait de fréquents séjours réparateurs dans une clinique en Suisse, n’a présidé que deux conseils des ministres en un an, n’a plus prononcé de discours public depuis mai 2012 [quand il avait annoncé, à Sétif, que sa génération était arrivée au bout de son chemin], charge Mohamed Rougab, son secrétaire particulier, de transmettre ses directives à ses ministres ou à ses collaborateurs, et n’accorde que de très rares rendez-vous, toujours officiels. Le raïs a même fini par abandonner son appartement d’El Biar, auquel il tenait comme à la prunelle de ses yeux, pour vivre au palais présidentiel : il ne pouvait plus gravir chaque jour les escaliers de cet immeuble dépourvu d’ascenseur. Diminué physiquement, il demeurait cependant le zaïm (le chef tout-puissant, en arabe) et l’État, son fonctionnement et ses cadres s’étaient adaptés à cette gouvernance d’un genre nouveau.

Rares étaient ceux qui prenaient le risque de s’opposer à lui frontalement. Si, conscient de son état et malgré les pressions de son entourage, il n’a jamais envisagé de se présenter à la présidentielle d’avril 2014, nul n’osait afficher son ambition. Tous, opposants compris, attendaient qu’il se prononce officiellement avant de se déclarer. Aujourd’hui, le décor a changé. Jadis peu nombreuses ou murmurées du bout des lèvres, les attaques fusent. Contre lui, les siens ou son bilan. Y compris au sein d’anciennes formations alliées qui, enhardies par cette ambiance de fin de règne, se mettent à cracher dans une soupe dont elles se sont pourtant longtemps régalées. Certains exigent même l’application de l’article 88 de la Constitution (voir encadré ci-contre), qui détermine les modalités d’un empêchement du chef de l’État. Nul ne s’y était risqué, en 2005, alors que les circonstances étaient peu ou prou les mêmes.

Abdelaziz Bouteflika à Sétif, le 8 mai 2012.

© Farouk Batiche/AFP

Omerta contre rumeurs incessantes ou avis de pseudo-experts spécialistes du pays : ce cocktail ne peut que plonger les Algériens dans une profonde inquiétude. Car Bouteflika n’est pas n’importe qui. Quatorze ans de pouvoir, des prérogatives que seul Houari Boumédiène avant lui a pu concentrer entre ses mains, aucun adversaire de taille depuis son accession à la tête de l’État en 1999… « Boutef » est le dernier survivant, aux affaires, des tumultes de l’histoire algérienne. Intégré dès ses 19 ans au sein des premières unités de l’Armée de libération nationale (ALN), dans l’Oranais, en pleine guerre pour l’indépendance, où il côtoie un certain Mohamed Boukharouba, plus connu sous le nom de Boumédiène ; chef de la diplomatie à l’âge de 26 ans ; président un demi-siècle plus tard… Son destin se confond avec celui de son pays, et les plus jeunes – la majorité de la population – n’ont connu quasiment que lui. C’est donc à un véritable saut dans l’inconnu que se prépare l’Algérie.

Que l’échéance soit dans quelques semaines ou dans quelques mois, l’après-Bouteflika, théâtre d’ombres dans un pays où l’opacité confine à la religion d’État, a bel et bien commencé. Là encore, les questions sont plus nombreuses que les réponses. Avides de changement mais ayant fait preuve jusqu’à présent d’une infinie patience, les Algériens ne se laisseront plus imposer un candidat par les militaires, qui en ont conscience. Le Printemps arabe est passé par là…

Ribambelle

Il n’en demeure pas moins que le Département du renseignement et de la sécurité (DRS) de l’inamovible général Mohamed Mediène, alias Tewfik, veille au grain et tentera de trouver la personnalité qui incarnera, aux yeux de la population comme aux siens, le meilleur compromis. Son portrait-robot ? Plus jeune, donc n’appartenant pas à la génération de l’indépendance qui dirige le pays depuis 1962 ; suscitant l’espoir sans s’attaquer brutalement au fameux « système », comme l’appellent les Algériens, et aux multiples intérêts en jeu ; moderne et ouvert sans pour autant s’aliéner les islamistes modérés ou les conservateurs ; originaire d’une autre région que le Nord-Ouest frontalier du Maroc d’où sont issus nombre de caciques du régime ; expérimenté mais indépendant ; enfin, aucunement éclaboussé par la ribambelle de dossiers de corruption qui ont fleuri ces derniers mois et visaient – comme par hasard – l’entourage du chef de l’État. Last but not least, cet oiseau rare devra obtenir le parrainage des jumeaux nationalistes, décapités mais toujours influents, que sont le Front de libération nationale (FLN) et le Rassemblement national démocratique (RND). En dehors des habituels « lièvres » qui ne dépassent jamais 3 % des suffrages ou des personnalités du siècle dernier que l’on sort de la naphtaline à chaque scrutin présidentiel, un seul nom émerge, pour l’instant : Ali Benflis, ancien Premier ministre de Bouteflika (2000-2003) et ex-secrétaire général du FLN, qui a rejoint l’opposition en 2004. Originaire de Batna, en pays chaoui, réputé intègre et ouvert, cet avocat de 68 ans, qui ne suscite aucune animosité, ni chez les militaires ni chez les politiques, observe la plus grande discrétion. Et de tous les anciens Premiers ministres de « Boutef », il est celui qui a laissé la meilleure impression aux Algériens…

En cas de longue vacance

Que prévoit la Constitution dans l’hypothèse où Abdelaziz Bouteflika, 76 ans, ne serait plus en mesure d’exercer ses fonctions ? Son article 88 stipule que lorsque le chef de l’État, « pour cause de maladie grave et durable, se trouve dans l’impossibilité totale d’exercer ses fonctions, le Conseil constitutionnel […], après avoir vérifié la réalité de cet empêchement par tous moyens appropriés, propose à l’unanimité au Parlement de déclarer l’état d’empêchement ». Après s’être prononcés à la majorité des deux tiers, les parlementaires chargent le président du Conseil de la nation (Sénat) – en l’occurrence Abdelkader Bensalah, 72 ans – d’assurer l’intérim pour une durée qui ne peut excéder 45 jours. Si l’incapacité du chef de l’État à exercer ses fonctions se poursuit, une « vacance par démission de plein droit » est déclarée. « En cas de démission ou de décès » de l’intéressé, le Conseil constitutionnel – dirigé par Tayeb Belaïz, un proche de Bouteflika – « constate la vacance définitive » du pouvoir. Le président du Sénat assume alors un intérim de 60 jours, au cours duquel une élection présidentielle est organisée. Soit trois mois et quinze jours après le début de la procédure. F.A.

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