Jean-Léonard Touadi

Catholique pratiquant, ce député italien d’origine congolaise prend la défense des immigrés face aux actes racistes et aux dérives xénophobes de son pays d’accueil.

Jean-Léonard Touadi © AFP

Jean-Léonard Touadi © AFP

Publié le 4 février 2010 Lecture : 5 minutes.

Sur le mur face à son bureau, au Parlement italien, à Rome, Barack Obama en couverture de Time. À côté, un exemplaire d’Il manifesto, le quotidien de gauche, fustigeant la politique migratoire de Berlusconi, assimilée à de la « sélection par la race ». Jean-Léonard Touadi, député romain d’origine congolaise, a ses modèles et se sent investi d’une mission. Il s’est engagé dans la politique pour défendre les valeurs universelles des droits de l’homme et dénoncer l’intolérance dont peut parfois faire preuve son pays d’accueil. Pour faire avancer ce combat, il n’a pas hésité à poser nu sur des affiches aux slogans provocateurs : « Tu me traites de sale nègre ou de lesbienne dégoûtante… mais toi, tu serais offensé si je t’appelais l’Italien mafieux. » Début janvier 2010, il est encore monté au créneau pour dénoncer la xénophobie des Italiens du Sud, après les attaques commanditées par la mafia contre les immigrés africains de Rosarno. « Après ces événements, le gouvernement aurait dû prendre des mesures concrètes mais la droite de Berlusconi ignore les risques de sa politique migratoire. Elle ignore également les propositions des ONG et associations qui demandent la régularisation des ouvriers agricoles immigrés. »

Touadi a connu une ascension tardive, et son combat peut paraître perdu d’avance. La gauche est en pleine déconfiture, et les hommes de Berlusconi sont omniprésents dans les médias. Mais ce catholique pratiquant n’est pas du genre à se décourager et il ne ménage pas ses efforts pour sensibiliser les Italiens sur les questions sociales, promouvoir la solidarité à l’égard de l’Afrique ou dénoncer les drames liés à l’immigration. Le parlementaire se rend régulièrement sur l’île de Lampedusa, où échouent si souvent des clandestins. « Tous les Italiens ne sont pas racistes, heureusement, tient-il à préciser. Mais les partis de droite sont en train de changer d’identité et d’entraîner mes compatriotes sur une pente xénophobe, notamment en votant des lois discriminatoires à l’encontre des étrangers. La diaspora est regardée avec méfiance. Nous sommes considérés comme une menace pour la société, alors que nous représentons un atout. »

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Touadi dénonce tour à tour les ecclésiastiques et les politiques, à l’instar de ces partisans de la Ligue du Nord qui affirment préférer des immigrés chrétiens venus d’Europe de l’Est à des ressortissants musulmans venus de pays arabes ou subsahariens. Touadi tente aussi de ramener ses compatriotes à la raison quand ils veulent partir à la chasse aux Roumains à chaque fois qu’un vol est commis par l’un d’entre eux. Pour lui, Berlusconi et ses partenaires sont en train de réveiller les démons des années 1930 qui ont débouché sur les lois raciales de 1938. Adoptées sous Mussolini, elles ont ouvert la voie à la déportation des Juifs et à la ghettoïsation.

Né le 25 janvier 1959 à Brazzaville, le jeune Touadi grandit au sein d’une fratrie de dix enfants, dans la capitale où son père est fonctionnaire de mairie. À l’époque, il traverse régulièrement le fleuve Congo pour rendre visite à la famille de sa mère, kinoise. Il entre à l’école sous la présidence d’Alphonse Massamba-Débat (1963-1968), qui a introduit la réforme scolaire. L’enseignement de la religion est remplacé par des cours de civisme, et le marxisme est inculqué à tous, petits et grands. L’endoctrinement des masses se poursuit quand Marien Ngouabi accède au pouvoir, en 1968. « Nous avions des séances de récitation au cours desquelles on déclamait « À bas l’impérialisme ! » C’était une période très dure en matière de libertés publiques, mais il y avait une très grande effervescence culturelle. Je pense à l’école de peinture de Poto Poto et à l’émergence d’écrivains comme Sony Labou Tansi », raconte le député.

En février 1979, le président Denis Sassou Nguesso accède au pouvoir. Cinq mois plus tard, le jeune étudiant rencontre des missionnaires jésuites français qui l’incitent à rejoindre leur communauté. Il quitte le Congo pour entrer au noviciat de Yaoundé, où il se forgera « une identité d’homme mûr ». Il y côtoie le père Engelbert Mveng, ce prêtre que l’on retrouvera assassiné le 23 avril 1995 à son domicile de Yaoundé. Celui-ci lui transmet sa passion de l’histoire africaine. Le philosophe camerounais Fabien Eboussi Boulaga lui donnera celle de l’anthropologie, et feu Jean-Marc Ela, celle de la sociologie et des lettres.

Le livre de ce dernier Le Cri de l’homme africain influencera profondément le jeune séminariste. À la fin de son noviciat, en 1981, Touadi intègre la faculté de philosophie Saint-Pierre-Canisius de Kinshasa. Avant de faire ses valises pour Rome, en 1983, et de poursuivre ses études à l’Université pontificale grégorienne. Mais, un an plus tard, il renonce à son engagement religieux. Comme les jésuites d’Amérique du Sud, il prône désormais un engagement politique visant à promouvoir la justice sociale et la lutte contre la pauvreté. Cette décision lui permet de s’ouvrir aux sentiments… Mais l’oblige à s’installer en banlieue et à cumuler les petits boulots – vendanges, gardiennage – pour vivre. Étudiant en sciences politiques, puis en journalisme à l’université Luiss-Guido-Carli de Rome, il obtient un stage de trois mois au service international de la chaîne Rai Tre. Le groupe public l’adopte et lui confie, sur Radio Uno, une émission consacrée à l’immigration : Permesso di Soggiorno (« Permis de séjour »). Il l’anime jusqu’en 1998. Puis revient vers le petit écran où il lance, sur Rai Due, Un Mondo a Colori (« Un monde de couleurs »), magazine qui va à la rencontre des immigrés disséminés dans toute l’Italie.

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En 2004, Touadi quitte la télévision et obtient, sur concours, une chaire en sciences politiques à l’université de Milan. « La dimension fondamentale de la recherche me manquait, explique il professore. Je voulais retrouver un cadre de réflexion. » Il en profite pour écrire Africa, la pentola che bolle (« Afrique, une marmite en ébullition ») et Africa in pista (« L’Afrique en piste »). Des ouvrages qui traitent de la place du continent dans la mondialisation.

Repéré par Walter Veltroni, l’ex-président du Parti démocrate italien, Touadi adhère à une formation politique proche, L’Italie des valeurs. Veltroni gagne les élections municipales à Rome, en juin 2006, et le propulse adjoint au maire chargé de la jeunesse, de la sécurité et des universités. En avril 2008, il est élu député. Il devient ainsi le deuxième parlementaire italien de couleur, après la députée européenne Dacia Valent, d’origine italo-somalienne, et l’un des deux seuls parlementaires d’origine non européenne de cette législature, avec Souad Sbai, élue d’origine marocaine du camp Berlusconi.

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Touadi possède de nombreux amis à Radio Vatican et chez les jésuites. Il fréquente les personnalités africaines de la diaspora et de l’Organisation des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO). Il a de surcroît ouvert, avec des amis, une librairie africaine, Grio, dans le Trastevere (Rome). Il y organise des conférences sur ses thèmes de prédilection. Cherchant à étoffer son réseau, il s’est même rendu, en septembre, à Washington au Congrès annuel du Black Caucus, une association de parlementaires africains-américains très active aux États-Unis.

En mai 2008, il a discuté, pour la première fois, avec le président Sassou Nguesso, de passage à Rome. Une rencontre qu’il espère renouveler bientôt, pour une discussion plus longue… Ne serait-ce que pour évoquer l’histoire de son pays d’origine. La guerre congolaise reste, pour lui, une blessure qui a du mal à cicatriser.

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