Mohamed Ould Bouamatou

À 55 ans, il est à la tête d’un groupe industriel et financier qui fait de lui l’un des hommes d’affaires les plus importants de Mauritanie. Retour sur la carrière d’un autodidacte devenu entrepreneur aux multiples activités.

Publié le 18 février 2008 Lecture : 5 minutes.

Il n’est pas facile d’imaginer Mohamed Ould Bouamatou instituteur. De se dire que cet homme d’affaires – l’un des plus célèbres de Nouakchott -, tout à la fois banquier, assureur, industriel, dis tributeur, actionnaire de la nouvelle compagnie Mauritania Airways et de l’opérateur de téléphonie Mattel, mais aussi auteur de coups fameux où la ruse et le flair ont eu raison des pesanteurs du système, fut, un jour, simple fonctionnaire. Passer ses journées dans une salle de classe n’est pas le genre de ce patron hyperactif et insaisissable, omniprésent mais peu enclin à parler à la presse, fortuné au point de pouvoir faire la pluie et le beau temps sur une élection présidentielle.
« Bouamatou », comme on l’appelle dans son pays, n’impose aucune limite à ses activités. Dernière illustration : la construction, actuellement en cours, d’une usine de fabrication et d’emballage de ciment à quelques kilomètres de Nouakchott. L’investissement, évalué à 40 millions d’euros, doit lui permettre de poser le pied dans un secteur où, en l’absence de contrôle des prix, les marges sont importantes, et de mettre à mal l’équilibre d’un marché tenu par deux grands acteurs privés, la Mauritano-française de ciment (MAFCI) et Ciment de Mauritanie. Autre opération récente : en décembre 2006 naît Mauritania Airways, qui compte occuper le vide laissé par la déliquescente Air Mauritanie, aujourd’hui en liquidation judiciaire. Trois actionnaires se partagent le capital de 10 millions de dollars du transporteur dont le premier vol, à destination de Paris, a eu lieu le 7 novembre dernier : Tunisair, majoritaire avec 51 % des parts, l’État mauritanien, avec 10 %, et Bouamatou SA, qui en détient 39 %. « L’une de ses stratégies, c’est d’entrer dans des secteurs fermés, même si ceux qui les tiennent sont proches du pouvoir », résume un professionnel de la pêche et observateur de l’économie mauritanienne.
Cette stratégie, Bouamatou (qui est né en 1953, dans une famille Ouled Besbah, une tribu commerçante dont l’ancien chef de l’État Ely Ould Mohamed Vall est sans doute le membre le plus illustre)ne l’a pas appliquée à ses débuts. Diplômé de l’école normale d’instituteurs, « il enseigne un petit peu seulement », se souvient un ami de longue date. À 22 ans, il se lance dans le monde de l’entreprise en entrant chez Somipex, une société d’import-export dirigée par un oncle. Acheter à l’étranger et revendre en Mauritanie, moyennant une confortable marge : dans un pays qui ne compte quasiment pas d’industries de transformation et où la culture du commerce est répandue, cette activité est un sport national. « C’est là que l’on gagne le plus d’argent », estime un chef d’entreprise. En 1977, au bout de deux années passées chez Somipex, le « sac à dos », comme le surnomme un proche (c’est-à-dire un autodidacte), devient directeur général adjoint. Et suit, en parallèle, des cours du soir de comptabilité.

Premiers pas dans la confiserie
Rapidement, le futur président de la Confédération nationale du patronat de Mauritanie (CNPM, que Bouamatou a dirigée entre 2000 et 2006) se découvre une fibre d’entrepreneur. Il crée une fabrique de pains à la Médina G, un quartier de Nouakchott, et organise un réseau de distribution, système peu fréquent dans la Mauritanie de l’époque. Les affaires marchent, mais le jeune Mohamed n’est pas rassasié. En 1983, l’État met en place le Fonds national de développement, destiné au financement du secteur privé. Bouamatou obtient un crédit qui lui permettra de fonder Cogitrem, une confiserie dont les caramels et autres friandises sont vendus en Mauritanie, au Sénégal et au Mali. L’entreprise fonctionne encore aujourd’hui.
Mais c’est au milieu des années 1980 que les activités de Mohamed Bouamatou prennent vraiment de l’envergure. En Espagne, il rencontre un dirigeant de Gallina Blanca, une marque célèbre pour ses bouillons Jumbo consommés dans toute l’Afrique, sauf en Mauritanie. Bouamatou, qui parle l’espagnol, en devient le représentant dans son pays. Grâce à un réseau de vente serré et des campagnes d’affichage, il réussit à concurrencer l’inamovible Maggi, jusqu’alors en situation de monopole. Dans la foulée, il rafle le marché de la revente des cigarettes Philip Morris aux quelques distributeurs qui le contrôlent. « Il avait des contacts chez Philip Morris, raconte son ami Ahmed Ould Hamza, président de la Communauté urbaine de Nouakchott (CUN). Et comme il est tenace et bagarreur, il s’est accaparé le marché. » L’argument ne convainc pas les nombreux détracteurs du « diable Bouamatou ». Pour eux, c’est à coups de « liasses de billets » qu’il a obtenu l’exclusivité Quoi qu’il en soit, le superburaliste protège, depuis, son pré carré avec une redoutable opiniâtreté, poursuivant s’il le faut les contrebandiers devant la justice. « Quand il faut partir en guerre, il n’hésite pas », résume Ahmed Ould Hamza. Il continuera sur sa lancée de distributeur en devenant concessionnaire de la marque automobile Nissan, qui compte l’État parmi ses clients.

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« La politique ne l’intéresse pas »
« Ce n’est pas un homme de concept, analyse un businessman. Il n’a rien inventé, il s’est juste installé sur certains créneaux. Mais il est tellement rusé qu’il sait se rendre incontournable. » En 1995, l’ancien fonctionnaire devient banquier, en créant la Générale de banque de Mauritanie (GBM), première banque privée du pays. « Il s’est dit que c’était ce qui lui manquait pour décoller vraiment », commente le président de la CUN. Grâce à son entregent, il obtient le support d’un actionnaire de poids, la Belgolaise (filiale de Fortis, aujourd’hui disparue) qui lui apporte sa crédibilité et lui permet d’obtenir des crédits de la Société financière internationale (SFI), agence de la Banque mondiale. Rapidement, la GBM bénéficie des dépôts de l’État qu’elle prête au secteur privé actif dans les domaines de l’agriculture et de la pêche, notamment. La GBM se lance dans de nombreuses opérations de financement et devient la banque la plus active du pays. « C’est la banque qui a été la fusée du groupe Bouamatou », raconte un observateur.
Désormais à la tête d’un important capital, Bouamatou crée les Assurances générales de Mauritanie (AGM). Et prend des participations dans plusieurs affaires : en 2000, il participe à la création de Mattel, le premier opérateur GSM de Mauritanie, en partenariat avec Tunisie Télécom, majoritaire, et un autre actionnaire privé mauritanien. En 2006, il prend part au lancement de Mauritania Airways, toujours avec un partenaire tunisien, et l’État.
L’obtention de ces marchés publics a donné lieu à des accusations de népotisme. De fait, Bouamatou, issu d’une famille Ouled Besbah, s’est un temps attaqué aux positions commerciales des Smassides, la tribu de l’ex-chef de l’État Maaouiya Ould Taya. Mais pour certains, il s’est finalement rapproché de ce dernier lorsqu’il fut réélu en 2003. Bien sûr, ses proches défendent formellement l’intéressé. Ahmed Ould Hamza reconnaît toutefois que, « lors des campagnes présidentielles, Bouamatou est celui qui donne le plus et finance chaque candidat ». De quoi faciliter les relations avec le pouvoir, quel qu’il soit « Ici, certains disent que, avec tout l’argent qu’il a dépensé pendant les campagnes, il devrait déjà être président de la République, poursuit le président de la CUN. Mais la politique ne l’intéresse pas. »
En l’absence de chiffres publics et de communication, la nébuleuse Bouamatou, auréolée de secrets et de rumeurs, reste difficile à cerner. À la différence de la fondation Bouamatou, qui lutte contre la cécité et dispose d’un site Internet où apparaissent son historique, son bilan, ses partenaires

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