L’art et la science

Publié le 30 juin 2008 Lecture : 2 minutes.

J’ai rencontré deux bonShommes passionnants cette semaine, qui illustrent une intéressante différence entre les deux rives de la Méditerranée. Le premier, c’est le fameux Bert F., qui vit à Marrakech depuis cinquante ans. Il a légué sa maison et son impressionnante collection d’artisanat maghrébin à l’université de la ville. Mais, me confie-t-il en se grattant le menton, il se fait du souci pour son legs parce qu’il n’arrive pas à trouver quelqu’un de qualifié pour diriger la fondation qui porte son nom. Et là il m’apprend quelque chose que j’ignorais complètement : on n’enseigne pas l’histoire de l’art dans notre beau pays. Il faut dire que l’histoire de l’art, c’est du luxe, on a pour le moment besoin d’ingénieurs, de gestionnaires, de médecins et d’infirmiers, de techniciens, etc. Et c’est pourquoi Bert, qui a allègrement dépassé les 75 ans, n’arrive pas à trouver un expert de l’art de l’Afrique du Nord.
Coïncidence : deux jours après, je dîne avec un collègue qui s’appelle Robert D. et qui est l’un des grands physiciens des Pays-Bas. C’est un spécialiste de la « théorie des cordes », qui constitue aujourd’hui le summum de la complexité en physique. Il a fait sa thèse avec Gerard Van’t Hoff, qui est quand même Prix Nobel. Entre la poire et le fromage, Robert m’apprend qu’en fait il a commencé des études d’histoire de l’art, dans sa jeunesse. Ce n’est qu’après beaucoup de pression de ses anciens profs qu’il s’est mis à la physique, pour laquelle il avait des dons évidents. Il paraît qu’ils sont des milliers dans son cas en Europe : doués pour la science, mais qui se consacrent quand même à l’art.
Résumons-nous : en Europe, on fait trop d’histoire de l’art ; dans le Maghreb, on n’en fait pas du tout.
Évidemment vous me voyez venir, avec mes grosses babouches : et si on lançait un programme d’importation de main d’oeuvre européenne pour combler nos besoins en historiens de l’art ? Ils pourraient être autorisés à s’installer pendant deux ans à Marrakech, Oran ou Tunis ; et puis s’ils donnent des signes d’intégration, par exemple s’ils apprennent trois cents mots de darija, ce qui n’est pas difficile, ils pourraient obtenir un titre de séjour permanent et faire venir leur petite famille. À moins qu’ils n’aient entre-temps épousé leur bonne (ça arrive).
Quant au programme inverse, permettre à des scientifiques maghrébins de haut vol de s’installer en Europe, ne soyons pas naïfs : il existe déjà, même s’il n’est pas explicitement énoncé.
Dans quelques années, un intellectuel tout blanc dissertera dans son musée marrakchi sur l’influence de l’art nègre sur les tapis de l’Atlas, tandis qu’un fils de l’Atlas au joli bronzage expliquera la naissance des galaxies dans son labo du plateau d’Orsay ; tous les deux parfaitement heu-reux. La mondialisation a ses bons côtésÂ

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