Tunisie : ouverture d’une enquête sur le financement d’une campagne médiatique par la Grande-Bretagne

À quoi ont servi les fonds britanniques investis en Tunisie et dont l’octroi a été révélé par The Guardian au début de juillet dernier ? C’est la question que se posent aujourd’hui les parlementaires qui viennent de lancer une commission d’enquête sur le sujet.

L’Assemblée des représentants du peuple (ARP) en Tunisie, lors de l’inauguration du nouveau Parlement le 2 décembre 2014. © Hassene Dridi/AP/SIPA

L’Assemblée des représentants du peuple (ARP) en Tunisie, lors de l’inauguration du nouveau Parlement le 2 décembre 2014. © Hassene Dridi/AP/SIPA

Publié le 19 juillet 2018 Lecture : 3 minutes.

L’affaire des fonds britanniques investis dans une campagne de communication médiatique en faveur du gouvernement tunisien continue de faire réagir dans le pays. L’Assemblée des représentants du peuple (ARP) a mis en place, jeudi 19 juillet, une commission sur les fonds britanniques et 50 avocats ont également porté plainte au pôle financier pour faire ouvrir une enquête judiciaire.

Un article du Guardian en date du 2 juillet 2018, avait en effet révélé que la Grande-Bretagne avait consacré 8, 5 millions de livres britanniques, soit 27 millions de dinars, à une opération de communication pour la Tunisie. Seulement, voilà : aucune campagne n’a jamais été menée, du moins rien de tangible pour justifier le montant du budget : une page Facebook, quelques spots et affiches épars qui n’ont guère attiré l’attention. Iyed Dahmani, ministre chargé des Relations avec le Parlement et porte-parole du gouvernement, a confirmé à Jeune Afrique que « du matériel pédagogique sur les finances publiques, ou sur des sujets comme la caisse de compensation, a bien été financé par la Grande-Bretagne. »

Britanniques et Tunisiens ne donnent d’ailleurs pour le moment aucune précision sur la destination exacte de la somme

Pourtant, pour 27 millions de DT, l’État aurait été un bien plus gros annonceur qu’Orange Tunisie, leader en la matière qui, avec un budget annuel de plus de 17,5 millions de DT, a une visibilité soutenue sur l’ensemble du territoire et des médias. Britanniques et Tunisiens ne donnent d’ailleurs pour le moment aucune précision sur la destination exacte de la somme qui provenaient du Fonds secret pour les conflits, la sécurité et la stabilité (CSSF).

L’IVD également concernée
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C’est le hasard d’un débat à la Chambre des Communes qui avait permis de lever le voile sur ce soutien financier. En réponse à une question posée le 25 juin 2018 à la Chambre des Communes, Alistair Burt, secrétaire d’État au développement international en charge des Relations avec le Moyen Orient et l’Afrique du Nord, avait révélé que le don de 8, 5 millions de livres courait pour 2017-2018 et qu’il avait non seulement été reconduit pour 2018-2019 mais majoré à 11 millions de livres, soit plus de 38 millions de dinars tunisiens.

Selon le CSSF, ces fonds sont destinés à la bonne gouvernance et au développement économique ainsi qu’à la lutte contre l’extrémisme et le contrôle des frontières. Boris Johnson, ministre des Affaires étrangères démissionnaire, avait précisé pour sa part en avril 2018 aux députés britanniques que l’aide concernait également l’Instance Vérité et Dignité et était un appui à l’État de droit, à l’accès à la justice et aux institutions démocratiques et juridiques.

Une partie de la classe politique a crié à l’ingérence

« Il est vital de continuer à encourager les institutions démocratiques dont la mise en place de la Cour constitutionnelle », avait affirmé à son tour Alistair Burt, le 8 juin. Le secrétaire d’État a notamment insisté sur la prolongation du mandat de l’IVD, le 16 avril, et a annoncé sa visite prochaine à Tunis en compagnie de Lord Ahmad of Wimbledon, ministre en charge des Nations unies et du Commonwealth. Ce dernier était déjà à Tunis le 4 juillet dernier, donnant une accolade chaleureuse à Rached Ghannouchi, président d’Ennahdha (islamiste) qui a vécu 21 ans d’exil à Londres.

Une partie de la classe politique a crié à l’ingérence. « Si les aides servaient à la visibilité ou à l’attractivité du pays à l’international en matière d’investissement ou de tourisme, ce serait compréhensible. Mais que cela soit utile à renforcer des politiques que rejettent les Tunisiens est inadmissible », souligne Mohamed Abbou, fondateur et secrétaire général du parti Attayar, qui estime que les soutiens étrangers ne doivent pas entraver la souveraineté du pays.

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« Fonds concours »

Toujours est-il que les Britanniques ont tenté de prendre en compte la situation de la Tunisie, avant de se décider à l’aider. La Chambre des Communes a commandé un document de synthèse de la situation critique de la Tunisie, qui a produit une analyse en partie controversée, notamment quand elle désigne le parti Nidaa Tounes, qui a perdu sa position dominante en raison d’une crise intérieure, comme « le plus à même de lutter contre la corruption ». De quoi laisser perplexes de nombreux Tunisiens qui dénoncent l’influence des lobbies en politique et s’interrogent sur la destination réelle des fonds incriminés en Tunisie.

Les aides et les dons reçus par la Tunisie sont, selon un ancien Premier ministre, normalement imputés au budget de l’État sous la désignation de « fonds concours ». C’est dans cette rubrique budgétaire que le ministre des Finances puise pour répondre aux demandes exceptionnelles des autres départements ou pour octroyer des subventions et des rallonges budgétaires. La question pourra donc également être soulevée par les députés tunisiens lors de l’examen de la loi de finances 2019.

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