Une ardente obligation : créer la verticale Afrique-Méditerranée-Europe (AME)

Cette tribune est co-signée par Jean-Louis Guigou et Pierre Beckouche, professeur à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, ainsi que par 53 personnalités.

L’Europe et l’Afrique sur le même bateau ? Installation de la Triennale de Milan sur le thème de Gibraltar et des migrations, lors de l’exposition « La Terre inquiète », le 27 avril 2017. © Luca Bruno/AP/SIPA

L’Europe et l’Afrique sur le même bateau ? Installation de la Triennale de Milan sur le thème de Gibraltar et des migrations, lors de l’exposition « La Terre inquiète », le 27 avril 2017. © Luca Bruno/AP/SIPA

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  • Jean-Louis Guigou

    Économiste français et président du think tank euro-méditerranéen Ipemed (Institut de prospective économique du monde méditerranéen), qui lance la fondation La Verticale AME.

Publié le 19 juin 2018 Lecture : 6 minutes.

Dans un monde chaotique où il est difficile d’avoir confiance dans le long terme, nombreux sont les chefs d’État qui pilotent à vue. La Chine, pourtant, achèvera en 2049 les routes de la soie qui relieront l’Europe et l’Afrique aux intérêts asiatiques. En Afrique, certains États se donnent une perspective de long terme : le Maroc a réintégré l’Union africaine l’année dernière et développe des projets d’envergure tels que la rocade atlantique d’Agadir à Dakar et le gazoduc venant du Nigeria ; l’Algérie, avec le projet de dorsale trans-saharienne qui relierait Alger-Cherchell à Lagos au Nigeria soit 6 000 km d’autoroute et des transversales vers la Tunisie, le Niger, le Mali… L’Égypte, avec la modernisation du Canal de Suez, le hub gazier en devenir dans la Méditerranée orientale et la grande zone de libre- échange, la tripartite « du Cap au Caire »… le Ghana, avec son président qui affiche sa volonté de rupture avec le passé et trace le chemin d’une Afrique ambitieuse, autonome, liée à l’Europe, dans un rapport équilibré.

Le président Macron a donné une vision de l’ancrage de la France à l’Europe, à l’Afrique et au monde, le 29 août 2017, devant les ambassadeurs de France : « la stratégie que je veux mettre en œuvre consiste à créer un axe intégré entre l’Afrique, la Méditerranée et l’Europe… Nous devons arrimer ensemble, enfin, les continents européen et africain, à travers la Méditerranée, le Maghreb restera pour cela une priorité centrale pour la France… C’est en Afrique que se joue largement l’avenir du monde ». Il a réaffirmé ce besoin d’arrimage des deux continents à Ouagadougou et à Abidjan, le 27 novembre 2017.

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Nous adhérons avec une profonde conviction à cette vision d’un Axe AME commun car elle est à la fois ambitieuse et réaliste :

  • L’Europe est déjà le premier investisseur en Afrique et son premier client. Plus des trois-quarts du commerce international des pays de l’UE se réalise en Europe, avec la Russie, avec les pays sud-méditerranéens et l’Afrique – même si les positions commerciales de l’Europe en Afrique se dégradent face à l’offensive chinoise.
  • L’internationalisation des échanges conduit à une globalisation, mais aussi à une régionalisation de certaines activités qui bénéficient de l’avantage de la proximité géographique et de la complémentarité économique. C’est ainsi que l’Alena a rapproché les économies des États-Unis et du Mexique, et que l’ensemble des Amériques du Nord et du Sud font, désormais, 56% de leurs échanges commerciaux. C’est ainsi que l’intégration des pays de l’Asie orientale est passée en trente ans de 30% à presque 60% de leurs échanges commerciaux. Faute d’une intégration régionale Nord-Sud, l’Europe sera étouffée par le G2 sino-américain, et l’Afrique subira la domination de ce dernier.
  • Avec 500 millions d’habitants vieillissants, l’Europe doit faire le choix du développement accéléré de l’Afrique qui comptera 2,5 milliards d’habitants en 2050. Les marchés sont et seront de plus en plus au Sud. Il ne s’agit pas que de business : nouer un partenariat économique et industriel avec l’Afrique, grâce à la contribution active des diasporas, dans le but de transformer localement ses immenses ressources naturelles et humaines, est le meilleur moyen de contribuer à son développement.
  • Enfin, cette vision est réaliste au regard des défis communs tels que le terrorisme, l’immigration non contrôlée, le réchauffement climatique et la défense des valeurs morales communes qui imposent la mutualisation des objectifs et des moyens.
  • La stratégie à mettre en place doit puiser dans un certain nombre de mécanismes et d’institutions qui ont fait leurs preuves en Asie orientale et dans les Amériques (cf cartes ci-dessous).

On y trouve d’abord une fondation qui rassemble experts, intellectuels, représentants des sociétés civiles et chefs d’entreprise travaillant à l’accélération des interconnexions, des réseaux techniques (eau, transport, électricité), financiers et culturels (reconnaissance des diplômes universitaires, échanges d’étudiants…). À ce jour, il n’existe entre l’Europe et l’Afrique aucun organisme comparable à la CEPALC (700 chercheurs, 40 millions de dollars par an) pour les Amériques ou à l’ERIA (15 laboratoires et 30 millions de dollars par an) pour l’Asie orientale.

On y trouve ensuite une institution d’instruments financiers pour le développement, dont disposent déjà les Amériques (BID) et l’Asie orientale (ADB et BAII) pour assurer la mobilité des capitaux Nord- Sud dont la BAD et la BEI pourraient être la plateforme de base. Le troisième mécanisme serait un partenariat économique entre les pays du Nord (EU) et les pays du Sud (AU). Enfin, il faudrait un lieu de concertation politique comparable à l’Organisation des États Américains (OEA) et aux Sommets de l’Asie Orientale, avec une charte exprimant la ferme volonté de rompre et de se débarrasser des prédateurs et des scories du passé, exprimant la volonté d’une Afrique, forte, autonome, liée à l’Europe dans un rapport de co-production. L’ensemble de ces quatre outils devrait prendre la forme d’un nouveau traité entre l’Europe et l’Afrique qui prendrait la place des accords de Cotonou qui viennent à échéance fin 2020. Ce « New Deal » donnerait du sens à l’avenir de l’Europe ; il apporterait une vision à la jeunesse des deux continents et satisferait les sociétés civiles africaines et européennes qui attendent de l’Europe et de l’Afrique des réponses nouvelles et innovantes aux défis d’aujourd’hui et de demain.

Une version de ce texte a été publiée par le quotidien Les Échos, dans son édition du 8 juin 2018.

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Signataires :

Guigou Jean-Louis, Président de l’IPEMED

Beckouche Pierre, Professeur des universités, Paris 1 Panthéon Sorbonne

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Abi-Habib Khater, Président de Kafalat

Abu Ghazaleh Talal, Chairman of Talal Abu-Ghazaleh Organization (TAG-Org)

Acouetey Didier, Président du cabinet Africsearch

Abdelnour Mounir, ancien Ministre

Gharbi Iqbal, Directrice de la chaire d’anthropologie religieuse, Université Zitouna

Ayed Jalloul, ancien Ministre

Ben Ayed Abdelssalem, Président Directeur Général de PIRECO

Bitterlich Joachim, Ancien ambassadeur

Branquart Roland, Président d’Euro2C

Chaussade Jean-Louis, Directeur général du groupe SUEZ

Dajani Shermine, Présidente de PanMed Energy Ltd.

Dangote Aliko, Group President of Dangote Industries Limited

Daoud Khalil, Président de LIBAN POST

Delapalme Nathalie, Directrice exécutive de la Fondation Mo Ibrahim

Derviş Kemal, ancien Ministre Diamantis Eric, Avocat Partner du cabinet Clyde & Co

Doumet Elias, Président du groupe Matelec Elalamy

Moulay Hafid, Président Directeur Général du groupe Saham – Maroc

Fainé Isidro, Chairman de la « Caixa » Banking Foundation

Fassino Piero, ancien Ministre, Député de la République italienne

Guigou Elisabeth, ancienne Ministre, Présidente de la Fondation Anna Lindh pour le dialogue des cultures en Méditerranée

Hiller von Gaertringen Christian, Consultant sur le financement de projets d’investissements en Afrique

Hajji Noureddine, Président d’IPEMED Tunisie

Hoffmeister Marc, Président de Classe Export

Houas Mehdi, ancien Ministre

Dr Ibrahim Mo, Founder and Chair, Mo Ibrahim Foundation

Iozzo Alfonso, Président, Il Centro Studi sul Federalismo

Juppé Alain, ancien Premier Ministre

Kacou Diagou Jean, Président-Directeur général du groupe NSIA

Khadher Ridha, Artisan-boulanger

Kiwan Fadia, Directrice honoraire de l’Institut des sciences politiques de l’Université Saint- Joseph

Konan Venance, Ecrivain

Lamy Pascal, ancien Directeur général de l’Organisation mondiale du commerce

Landaburu Eneko, Ancien chef de la délégation de la Commission européenne en Espagne

MacShane Denis, ancien Ministre

Maymat Alexandre, Responsable de la Business Unit Région Afrique & Outre-mer, Société Générale

Meddeb Radhi, Président-directeur général du groupe Comète Ingénierie

Mestrallet Gérard, Président du conseil d’administration d’ENGIE

Moratinos Miguel Angel, ancien Ministre

Nkamgueu Elie, Président du Club Efficience

Oualalou Fathallah, ancien Ministre

Prodi Romano, ancien Président de la Commission européenne

Raffarin Jean-Pierre, ancien Premier Ministre

Reiffers Jean-Louis, Doyen honoraire de la Faculté des Sciences économiques de l’Université d’Aix-Marseille II

Richard Stéphane, Président-directeur général d’Orange

Romero Carmen, ancienne Députée européenne

Rousseau Arnaud – Président Directeur Général du Groupe Avril, Président Directeur Général du Groupe de la Fédération des producteurs d’oléagineux et de protéagineux

Severino Jean-Marie, Président d’Investisseurs & Partenaires (I&P)

Taleb Jemal, Ambassadeur itinérant de Mauritanie

Trad Fouad, Directeur général délégué de Byblos Bank Europe

Van der Slikke Jean-Jacques, Senior Vice-President for North Africa and the Middle East at SAFRAN Group

Védrine Hubert, ancien Ministre

Zaghouani Douraid, Chief Operating Officer, Investment Corporation of Dubai

Dr Zmokhol Fouad, President of Association of Lebanese Business People in the World (RDCL World)

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