Tunisie : Samir Dilou, d’Ennahdha à la justice transitionnelle

Samir Dilou, avocat et ancien ministre, suit trois des dossiers transmis par l’IVD à la justice, dont celui de Kamel Matmati, premier procès de la justice transitionnelle. Le droit est constitutif de l’engagement de ce militant islamiste.

Samir Dilou, ancien ministre des Droits de l’homme et de la Justice transitionnelle de 2011 à 2014. © Salvatore Di Nolfi/AP/SIPA

Samir Dilou, ancien ministre des Droits de l’homme et de la Justice transitionnelle de 2011 à 2014. © Salvatore Di Nolfi/AP/SIPA

CRETOIS Jules

Publié le 18 juin 2018 Lecture : 4 minutes.

Comme de nombreux autres présents, il a les yeux qui rougissent et s’embuent à l’écoute des témoignages, lors du procès portant sur la disparition de Kamel Matmati, militant islamiste décédé sous la torture en 1991. Ce 29 mai, au tribunal de première instance de Gabès, Samir Dilou, 42 ans, ancien ministre des Droits de l’homme et de la Justice transitionnelle de 2011 à 2014, est du côté des avocats de la famille. Le moment a une valeur quasi historique : il s’agit du premier procès de la justice transitionnelle. Parmi les 14 accusés, on retrouve l’ancien dictateur Zine el Abidine Ben Ali.

La présence de Dilou, elle, est logique, comme son parcours, qui épouse une tradition politique tunisienne : l’union entre le droit, la défense des droits humains et le militantisme islamiste.

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En stage chez Abdelfattah Mourou

Né en 1966, Samir Dilou rejoint les rangs de l’Union générale tunisienne des étudiants (UGTE), d’obédience islamiste, alors qu’il étudie le droit privé à Sousse. En 1991, il est arrêté dans le cadre de la répression menée par le pouvoir de Ben Ali contre Ennahdha et écope de dix ans de prison. Libéré en 2001, il se tourne vers ses frères pour se réinsérer. Les juristes ne manquent pas au sein du mouvement islamiste tunisien. Dilou entre comme stagiaire au service de Abdelfattah Mourou, cofondateur d’Ennahdha, appelé à devenir vice-président de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) après la révolution.

En plus de traiter différentes affaires, foncières notamment, Dilou s’engage auprès des détenus salafistes

Dans son livre Les avocats en Tunisie de la colonisation à la révolution (1883-2011), l’universitaire Eric Gobe note : « pour les avocats militants, le choix du maître de stage ne relève pas du hasard. » Saïda el-Akremi, célèbre avocate islamiste, a, elle aussi, effectué son stage auprès de Mourou, à l’instar de son époux, Noureddine Bhiri, avocat et ministre d’Ennahdha dans le gouvernement d’Ali Larayedh, tout comme Dilou.

En plus de traiter différentes affaires, foncières notamment, Dilou, membre de l’Association internationale de soutien aux prisonniers politiques (AISPP), s’engage auprès des détenus salafistes. Il défend Lotfi Ben Souï Lagha et Abdallah Haji, tous deux passés par Guantanamo. À la frontière entre vie professionnelle et militantisme, Dilou s’oppose à la fameuse loi adoptée en décembre 2003, « relative au soutien des efforts internationaux de lutte contre le terrorisme et à la répression du blanchiment d’argent ».

Le droit, une passerelle avec la gauche

Adhérent au puissant ordre des avocats, Dilou y fréquente des personnalités de gauche. L’institution est considérée par les politologues comme une zone de frottement entre différentes forces d’opposition au régime de Ben Ali. En 2005, il est au premier rang dans le comité de défense de Mohamed Abbou, « un ami » comme il le dit, avocat lui aussi. L’ex-secrétaire général du Congrès pour la République (CPR) et du Courant démocrate a été condamné à de la prison ferme en 2005, suite à la publication d’un article visant Ben Ali.

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« Durant cette période je côtoie des personnes avec des points de vue très différents du mien, comme Radhia Nasraoui », se souvient-il. L’avocate, défenseur des droits humains, est une militante communiste. Dans la foulée, Dilou participe à la grève de la faim avec sept autres militants, issus de la gauche, retranchés dans le cabinet d’avocat d’Ayachi Hammami, cadre du Front populaire, pour réclamer le respect des libertés politiques.

Il sera au centre des critiques pour sa gestion du dossier sur les personnes blessées durant la révolution

Ses rapports se tendent avec les militants de gauche après la révolution. Ministre des Droits de l’homme et de la Justice transitionnelle, il est au centre des critiques pour sa gestion du dossier des blessés de la révolution. Quand des victimes de violences se rassemblent devant son ministère pour crier leur colère, son image de révolutionnaire pur s’écorne forcément. Dilou reçoit l’avocat Chokri Belaïd pour discuter du dossier. Quelques mois plus tard, ce dernier est assassiné. Taïeb Laguili, militant du Watad, le parti de Belaïd, accuse le ministre de couvrir Abdelhakim Belhaj, ancien jihadiste et révolutionnaire islamiste libyen dont le nom est remonté dans l’affaire. Basma Khalfaoui, veuve de Belaïd, l’attaque aussi. Dilou balaie les accusations. Mais il restera toujours quelque chose de ce passage aux affaires. Le compagnonnage avec la gauche, permis par le corporatisme et la défense des droits humains, semble être une page tournée.

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Lorsque l’Instance Vérité et Dignité (IVD), présidée par Sihem Bensedrine, que Dilou connaît bien, remet ses premiers dossiers à la justice en mars 2018, Dilou répond présent. L’affaire Matmati, il la suit depuis des années. Dans la foulée, il s’empare des dossiers de Rachid Chammakhi, islamiste torturé à mort en prison et décédé en 1991 et de Fayçal Barakat, nahdaoui disparu la même année. Des dossiers traités bénévolement. Pour le reste, Dilou a monté avec quatre autres seniors, non-militants, un cabinet, Manar.

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