Apolline Traoré : « Le racket aux frontières est systématique en Afrique de l’Ouest »

Corruption, violences, trafics… « Frontières », le dernier film de la réalisatrice burkinabè Apolline Traoré dresse un constat sans appel sur les ratés de l’intégration ouest-africaine.

Une scène de « Frontières », de la réalisatrice burkinabè Apolline Traoré. © Les Films Selmon / Araucania Films / Orange Studio

Une scène de « Frontières », de la réalisatrice burkinabè Apolline Traoré. © Les Films Selmon / Araucania Films / Orange Studio

leo_pajon

Publié le 23 mai 2018 Lecture : 3 minutes.

Dakar-Lagos : à vol d’oiseau, la distance représente à peine 2 500 kilomètres, que certains avions couvrent en moins de 6 heures. En bus, le trajet est plus long et surtout plus mouvementé comme l’illustre Frontières, le dernier long métrage de la Burkinabé Apolline Traoré. Le film, trois fois récompensé au Fespaco 2017 (prix Cedeao du meilleur film ouest-africain sur l’intégration, prix Félix Houphouët-Boigny, prix Paul Robeson), déjà présenté dans plusieurs salles d’Afrique de l’Ouest, sort mercredi 23 mai sur les écrans français.

Il montre à quel point le principe de libre circulation des biens et des personnes, pourtant établi depuis près de 40 ans dans l’espace Cedeao, est toujours un horizon lointain.

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Ce que j’ai vu dépassais ce que j’imaginais…

Sur la forme, Frontières se présente comme un road-movie au féminin pluriel. De bus en bus, le spectateur accompagne trois passagères – Adjara, Emma et Sali – qui partent de Dakar pour se rendre à Lagos en passant par le Mali, le Burkina, et le Bénin. Mais la route réserve bien des cahots : pannes, vols, exactions de bandes de coupeurs de route. Sans compter qu’à chaque passage au frontière, il faut donner aux douaniers quelques billets, ou offrir un peu plus en ce qui concerne les voyageuses…

Des collectes pour les douaniers

« L’idée du film a germé il y a plus de trois ans, nous explique Apolline Traoré. A l’époque, on parlait énormément des difficultés des migrants africains qui voulaient se rendre en Europe, mais très peu des personnes qui cherchent à se déplacer sur le continent. Pourtant, elles rencontrent aussi énormément de problèmes. »

Pour se faire une idée précise de la situation, la réalisatrice prend elle-même la route, en bus, pendant trois semaines. « Ce que j’ai vu dépassais ce que j’imaginais… Le racket aux frontières, par exemple, est systématique. A tel point que dans certains véhicules, la personne qui assiste le conducteur fait une collecte d’argent avant d’arriver à la douane pour pouvoir payer plus rapidement les fonctionnaires en poste. »

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Faire aboutir le projet n’a pas été aisé. La cinéaste s’est d’abord tournée vers la Cedeao pour financer son film. Et la Communauté s’est laissée convaincre… au bout de deux longues années. Entre temps, d’autres partenaires ont finalement misé sur le projet : Orange Studio, l’Organisation internationale de la Francophonie, TV5 Monde, les gouvernements burkinabè et ivoirien, pour un budget total de 536 000 euros.

Il a ensuite fallu tourner le film le long du véritable parcours du road-movie. « Nous avons dû obtenir des autorisations partout, planifier le passage aux frontières avec les administrations de chaque pays, précise la réalisatrice. Et comme certaines zones étaient victimes d’attaques terroristes, nous étions accompagnés par l’armée. Les soldats savaient se faire discrets pendant le tournage, on les oubliait, puis on les voyait réapparaître pour nous escorter chaque fois que notre convoi repartait. »

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Connaître ses droits

Le travail en amont proche du reportage et les conditions de tournage ont naturellement eu un impact sur l’authenticité du film, qui se rapproche parfois du documentaire. Comme dans ses précédentes productions (le long métrage Moi, Zaphira en 2013, ou le moyen métrage Kounandi en 2004, par exemple) Apolline Traoré pointe son objectif sur des femmes malmenées par le destin, mais qui ont décidé de se battre.

Et elle délivre en prime un message au public africain : « Je n’ai pas la prétention de changer quoi que ce soit au niveau des autorités, elles sont déjà bien informées des problèmes qui existent aux frontières, estime la cinéaste. En revanche, ce que je peux faire grâce à ce film, c’est éduquer une population qui ne connaît souvent pas ses droits, et ne sais pas qu’il est anormal que les douaniers demandent sans cesse de l’argent. »

Frontières, d’Apolline Traoré, 1h30, sortie française le 23 mai 2018

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