RDC : « Porter ses cheveux naturels c’est être une artiste, une dingue ou une droguée »

Alors qu’une étudiante s’est vue refuser l’entrée de son université parce qu’elle arborait une afro, un collectif de Congolaises tente de faire accepter les cheveux crépus dans le pays.

Une femme portant les cheveux naturels (Illustration). © Creative Commons / Pexels

Une femme portant les cheveux naturels (Illustration). © Creative Commons / Pexels

leo_pajon

Publié le 15 mai 2018 Lecture : 3 minutes.

Le 8 mai, sur Facebook, une étudiante en économie de 26 ans, Charlotte, postait un portrait d’elle-même, arborant une fière afro. Son message, moins joyeux, était massivement partagé sur les réseaux : « Notre chère université a encore frappé fort (…) on n’a plus le droit d’entrer à la fac avec cette coiffure parce que nos cheveux ne sont pas « peignés. »

Relayé par plusieurs médias africains et internationaux, ce coup de sang trouvait un large écho, bien au-delà de la très stricte Université catholique du Congo de Kinshasa où s’est déroulée l’affaire. Interrogé par l’AFP, un représentant de l’institution maintenait pour sa part que les cheveux devaient être peignés, estimant qu’il s’agissait là d’ « une exigence de propreté et de décence publique. »

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Chignon de secours

« A l’entrée du campus, des employés vérifient tous les jours notre style vestimentaire, que l’on ne porte pas de débardeur ou de jean déchiré, ce que je peux comprendre, nous précise Charlotte. Mais je ne vois pas en quoi des tresses longues ou des afros manquent de propreté ou de décence. » L’étudiante, exaspérée, reconnaît toujours emporter sur elle de quoi se faire un chignon pour pouvoir pénétrer dans l’établissement, et note qu’elle n’est pas la seule à devoir ainsi modifier sa coiffure.

Inspirée par le mouvement nappy né aux Etats-Unis dans les années 2000, mais aussi de Youtubeuses et d’influenceuses américaines, la jeune femme a commencé ce qu’elle appelle son « aventure capillaire » en septembre 2015. Elle n’imaginait pas alors qu’une simple coiffure puisse constituer un frein à ses études.

Résistance capillaire

Larissa Diakanua, elle, n’est pas étonnée. Cette Congolaise de 34 ans fait partie d’un collectif formé de manière spontané il y a trois ans à Kinshasa, autour du cheveu naturel. Elle anime aujourd’hui une page Facebook, Nappy du Congo, qui rassemble plus de 4150 personnes (du Congo et de la disapora), et un groupe Whatsapp d’une centaine d’assidus.

« Lorsque j’ai pris la décision d’arrêter de me défriser les cheveux, même ma famille m’a demandé s’il y avait un problème, sourit-elle aujourd’hui. A Kinshasa et dans les provinces avoisinantes, porter ses cheveux naturels c’est être une artiste, une dingue ou une droguée ! Dans certaines branches, comme la banque, par exemple, il est juste impensable de porter une afro ou des dreadlocks. Moi j’ai la chance de travailler dans un environnement international, à la délégation de l’Union européenne de Kinshasa, où cela est toléré. »

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La trentenaire rappelle les petits et les gros désagréments liés au défrisage. D’abord le procédé coûte cher. « Un lissage brésilien, c’est 250 dollars en moyenne [environ 210 euros, ndlr], précise Larissa Diakanua. Et l’on peut en faire deux par mois… ce qui fait que sur une année, on peut dépenser près de 3 000 dollars dans l’opération. »

Ensuite beaucoup de produits défrisants chimiques, à base d’acides, sont très nocifs pour la peau, et potentiellement cancérigènes. « Une de mes amies s’est vue diagnostiquer des tumeurs bénignes, qui ont heureusement pu être soignées. Ma grande sœur faisait quant à elle de l’alopécie, elle perdait des cheveux sur l’avant et l’arrière de la tête… ce qui l’a amenée à arrêter de défriser ses cheveux. »

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Cheveu et colonisation

Les groupes Facebook et Whatsapp de Larissa Diakanua permettent d’échanger des témoignages comme celui-ci mais aussi des conseils pour mieux s’accepter et se coiffer au naturel. « On dit que le lissage est « normal »… c’est faux, même si la pratique est séculaire, elle est liée à l’histoire de la colonisation, à l’esclavage, explique la trentenaire. Nous avons fini par détester nos cheveux crépus. Mais j’ai bon espoir que l’opinion change. Qu’on s’aperçoive que l’envie de revenir au cheveu naturel n’est pas un caprice, une mode, mais une manière de s’accepter, sans passer par des produits toxiques. Il faut continuer à en parler autour de nous. »

La jeune femme envisage notamment de rencontrer la direction de l’Université catholique du Congo, dans un esprit de dialogue. L’affaire résonne avec d’autres polémiques, qui se sont toujours résolues à l’avantage des nappys. En 2016, au Lycée pour filles de Pretoria, les étudiantes avaient dû manifester pour pouvoir porter leurs cheveux au naturel. En 2014, aux États-Unis cette fois, l’armée américaine avait finalement accepté certaines coupes de cheveux « ethniques » après le dépôt d’une pétition sur le site de la Maison-Blanche.

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