Bolloré, sans concession en Afrique

Mis en examen, le 25 avril, dans une enquête portant sur des concessions portuaires à Conakry et Lomé, Vincent Bolloré a su se tailler un costume d’acteur-clé dans le secteur maritime africain. Entre ses activités portuaires, logistiques, ferroviaires et agricoles, le groupe Bolloré se rend de plus en plus indispensable et a enchaîné les victoires pendant des années. Avant d’essuyer la concurrence et de fortes déconvenues…

Le groupe Bolloré est présent en Afrique depuis plus de trente ans. © Kamil Zihnioglu/AP/SIPA

Le groupe Bolloré est présent en Afrique depuis plus de trente ans. © Kamil Zihnioglu/AP/SIPA

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Publié le 2 mai 2018 Lecture : 7 minutes.

Vincent Bolloré, lors de l’assemblée générale des actionnaires de Vivendi, le 19 avril 2018. © ROMUALD MEIGNEUX/SIPA
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Affaire Bolloré : l’onde de choc à Lomé et Conakry

Le 25 avril, Vincent Bolloré et deux de ses collaborateurs ont été mis en examen par la justice française pour « corruption d’agents étrangers dépositaires de l’autorité publique », « abus de biens sociaux » et « faux et usage de faux » dans le cadre d’une enquête portant sur les concessions portuaires à Conakry et Lomé. Depuis, la polémique enfle dans ces deux pays d’Afrique de l’Ouest…

Sommaire

« Comment fait-il pour toujours l’emporter ? », s’interrogeait Jeune Afrique dans son édition du 29 avril 2013. La question concernait, à cette époque, la mise en concession du deuxième terminal portuaire d’Abidjan, remportée sans surprise par Bolloré Africa Logistics (BAL). Comme tant d’autre avant cela. Depuis 2004, et les premiers succès enregistrés à Douala et à Abidjan déjà, BAL, créé en 2008 pour regrouper toutes les activités africaines du groupe Bolloré, s’est taillé un véritable empire sur le continent, pour devenir, en dix ans, le leader incontesté de la manutention portuaire en Afrique francophone. Et sans la défaite enregistrée à Monrovia en 2011, après celle de Dakar trois ans plus tôt, pour des raisons aussi obscures que certaines de ses victoires, Vincent Bolloré et ses hommes auraient signé un sans-faute le long du Golfe de Guinée, jusqu’à Pointe-Noire.

Acteur-clé dans un secteur maritime qui transporte chaque année près de 95 % de tous les échanges commerciaux liés à l’Afrique, BAL traite, sur ses seize terminaux, entre 30 et 50 % des volumes de produits aussi stratégiques pour l’Afrique que le cacao, le bois et le coton. Entre ses activités portuaires, logistiques, ferroviaires et agricoles, le groupe Bolloré réalisait – avant l’intégration récente de Vivendi – un quart de son chiffre d’affaires sur le continent, soit 2,5 milliards d’euros en 2017. Il y enregistre surtout 80 % de ses bénéfices annuels, selon une étude publiée par BNP-Paribas il y a cinq ans.

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Le groupe Bolloré n’est pas arrivé là par hasard. Il a su profiter, comme personne, de la vague de privatisations qui, sous l’injonction des institutions de Bretton-Woods, a emporté les terminaux africains les uns après les autres, dans les années 2000. Pour développer les partenariats publics-privés (PPP) chers aux bailleurs, encore fallait-il trouver un opérateur intéressé. Bolloré fut celui-là. Débarqué dans la manutention africaine au mitant des années 1980, l’homme d’affaires fait partie des très rares opérateurs étrangers alors présents sur les quais. À cette époque, les ports fonctionnent toujours comme au temps des colonies, traitant annuellement 12 % des exportations mondiales mais seulement 2,5 % des importations. Ils sont mal équipés, sous-dimensionnés, et la faiblesse des volumes de marchandises qu’ils voient passer n’attire pas grand-monde à part quelques aventuriers qui ne disposent pas des centaines de millions de dollars nécessaires à leur modernisation.

Prises de contrôle et leadership

Vincent Bolloré si ! Grâce, notamment, au trésor de guerre amassé par le groupe Rivaud, vestige capitalistique de la colonisation française dont il s’empare en 1997. Conscient du rôle stratégique joué par les ports en Afrique, de leurs poids économique et politique – ils constituent, le plus souvent, l’unique porte d’accès au commerce mondial et représentent une source fiscale sans équivalent pour les caisse de l’État, en même temps qu’un réservoir d’emplois conséquent -, le patron français va saisir toutes les opportunités qui se présentent à lui.

En dix ans, BAL a investi entre 1,5 et 2 milliards de dollars dans ses concessions africaines

« Celui qui tient les ports tient le continent », affirment les économistes. Vincent Bolloré en est convaincu. Et il va s’appuyer sur ses bonnes relations et sur sa force de frappe financière pour rafler les concessions, d’abord ferroviaires – Sitarail en 1995, puis Camrail quatre ans plus tard – avant de remporter le terminal à conteneurs d’Abidjan, en 2004. Sans véritable rival capable de contester l’expertise reconnue de ses équipes, le groupe se rend de plus en plus indispensable à chaque nouveau contrat signé – le plus souvent de gré à gré – et enfile les victoires comme des perles, entre 2007 et 2012.

Littéralement sorti des flots, le terminal de Pointe-Noire s’impose vite comme l’escale de référence pour toute l’Afrique centrale

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En dix ans, BAL a investi entre 1,5 et 2 milliards de dollars dans ses concessions africaines. Si la somme est certes inférieure aux 4 milliards revendiqués par Vincent Bolloré dans sa tribune du 29 avril, dans le Journal du dimanche, le montant n’en reste pas moins une contribution essentielle au processus de modernisation en cours des ports africains. Enfin équipés de portiques, les ports de Cotonou, Freetown ou Conakry voient leur trafic conteneurisé battre des records d’année en année. Littéralement sorti des flots, le terminal de Pointe-Noire s’impose vite comme l’escale de référence pour toute l’Afrique centrale, pendant qu’Abidjan assoit son leadership sur la côte ouest-africaine.

Les prises de contrôle des terminaux – parfois brutales, souvent controversées – irritent sur les quais, mais les compétences techniques et le savoir-faire industriel des équipes mises en place, largement africanisées, n’ont jamais été remis en cause. Contrairement à des tarifs souvent jugés trop élevés – jusqu’à 18 % sur certains terminaux –, qui lui ont valu d’être évincé de Dakar, par exemple. Dans certains cas, BAL se fait également tirer l’oreille pour respecter le calendrier des investissements prévus par contrat, comme à Owendo. L’opérateur français n’est pas le seul à être ainsi rappelé à l’ordre par les autorités publiques. DP World vient d’être éjecté de Djibouti pour la même raison.

Terminal à conteneurs de Doraleh (Djibouti) en 2013. © Vincent Fournier/Jeune Afrique

Terminal à conteneurs de Doraleh (Djibouti) en 2013. © Vincent Fournier/Jeune Afrique

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Premier arrivé, premier servi

Présent avant tout le monde, Vincent Bolloré a largement contribué à équiper l’Afrique de l’Ouest des ports dont elle a besoin pour tenir sa place dans une économie globalisée. Si les armateurs envoient aujourd’hui leurs plus grand porte-conteneurs dans la région, c’est parce qu’ils disposent des terminaux pour y accoster et des entrepôts pour y stocker leurs marchandises. Difficile de mesurer l’impact financier pour un port d’un opérateur comme Bolloré, comparé à des concurrents qui offrent peu ou prou les mêmes services sur les quais, dans un contexte de forte croissance de l’économie, donc des échanges, dont tout le monde bénéficie.

Mais BAL fait encore la différence grâce à son réseau logistique. Premier arrivé, premier servi ! Le groupe a eu le temps de tisser sa toile dans tout l’hinterland pour gérer aujourd’hui le réseau de transport intégré le plus dense du continent. Le jeune patron avait déjà été précurseur, dès les années 1990, dans sa volonté de posséder l’ensemble des maillons qui constituent la chaîne maritime, ses grues chargeant son tabac et son huile de palme sur ses propres navires. La vente de l’armateur Delmas, en 2005 – dont la reprise, en 1992, avait failli causer la mort du groupe – signe un changement de stratégie, du maritime vers le portuaire et, au-delà, la logistique terrestre. En plus de ses terminaux et de ses lignes ferroviaires, BAL gère également une mosaïque de ports secs et autres zones multimodales de stockage, qui recouvre le Sahel comme le bassin du Congo.

Débarquement au terminal Bolloré du port de Conakry d'éléments nécessaires à la construction d'une cimenterie en Guinée. Le 13 juin 2013. © Vincent Fournier/Jeune Afrique

Débarquement au terminal Bolloré du port de Conakry d'éléments nécessaires à la construction d'une cimenterie en Guinée. Le 13 juin 2013. © Vincent Fournier/Jeune Afrique

Le groupe semble donc bien campé dans son pré carré francophone. Malgré de multiples tentatives, il n’a, par contre, jamais vraiment réussi à prendre pied ailleurs sur le continent. Le long de la côte orientale, les Comores font figure d’exception, alors que l’opérateur a essuyé plusieurs déconvenues en Tanzanie, au Kenya et dans l’océan Indien, où Bolloré n’était pas le « seul-disant » lors des appels d’offres de mise en concession. Dans la foulée du développement économique du continent, à l’heure de la massification des flux, le secteur des transports et de la logistique a considérablement changé en Afrique. Déjà, la défaite de Dakar ressemble rétrospectivement à un signal d’alarme pour BAL qui, selon certains de ses cadres, aurait fait preuve, à l’époque, de suffisance. L’arrivée surprise de DP World le long de la côte ouest-africaine en annonçait pourtant bien d’autres.

Vincent Bolloré aurait-il perdu la formule ?

Alléchées par les perspectives affichées par le continent, et obligées de diversifier leurs activités face à la crise des taux de fret, les toute-puissantes compagnies maritimes – Maersk, MSC et CMA-CGM – ont créé leurs propres services de manutention et de logistique, pendant que les intérêts géostratégiques de certains États, comme les Émirats arabes unis, Singapour et plus encore la Chine les poussent à investir massivement dans les terminaux existants, quand il ne s’agit pas, tout simplement, d’en créer de nouveaux, plus grands et plus modernes.

BAL ne dispose plus des mêmes ressources financières que certains de ses concurrents, au point de devoir peut-être désormais chasser en meute

Dans ce monde désormais XXL, BAL ne dispose pas des mêmes ressources financières que certains de ses concurrents. Au point de devoir peut-être désormais chasser en meute, comme semble le démontrer sa victoire à Kribi, obtenue après moult rebondissements, en 2015, avec le soutien de la CMA-CGM et de la China Harbour Engineering Company (CHEC).

Si la question posée par Jeune Afrique était encore pertinente début 2013, elle semble déjà l’être beaucoup moins quelques mois plus tard. Depuis cette date, les principales acquisitions du groupe sur le continent sont dues à la reprise, en 2017, de son ex-concurrent Necotrans et d’une partie de ses actifs. Refoulé en Mauritanie, BAL a vu le port de Berbera lui échapper, alors que les projets de terminaux s’embourbent dans les eaux de Mombasa et qu’il a été contraint, fin 2017, de partager les quais d’Owendo. Dans le ferroviaire, son projet de boucle, reliant Cotonou à Abidjan via l’hinterland, lui a été retiré par la présidence béninoise, pendant que certains de ses responsables font l’objet d’une enquête au Cameroun suite à la catastrophe d’Eseka, qui a fait 79 morts et plus de 600 blessés, fin 2016.

Même ses plantations lui valent aujourd’hui régulièrement les foudres des ONG et des institutions internationales. Vincent Bolloré aurait-il perdu la formule, alors que s’obscurcit son horizon judiciaire en France.

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