Municipales en Tunisie : des médias inquiets face aux nouvelles règles instaurées pour couvrir les élections

Alors que la campagne pour les élections municipales vient tout juste de débuter, des difficultés de couverture médiatique commencent à se faire sentir. Certains médias soumis à de nouvelles règles d’équité et de neutralité, jugées strictes, ont du mal à s’adapter.

Tour de vis sur les médias tunisiens, qui doivent suivre de nouvelles règles pendant les municipales. © Christophe Ena/AP/SIPA

Tour de vis sur les médias tunisiens, qui doivent suivre de nouvelles règles pendant les municipales. © Christophe Ena/AP/SIPA

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Publié le 20 avril 2018 Lecture : 4 minutes.

Nessma, première chaîne privée du pays, a annoncé mercredi 18 avril qu’elle allait boycotter la couverture des élections municipales, dont la campagne a débuté le 14 avril. En cause : les règles, jugées trop strictes, instaurées le 14 février dernier par la Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle (Haica) et par l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie).

Et Nessma n’est pas la seule à s’y opposer. Plusieurs voix se sont en effet élevées contre cette décision conjointe des deux autorités. Néji Zaïri, le rédacteur en chef de Mosaïque FM, première radio du pays, a affirmé le 18 avril sur la chaîne télévisée que les médias privés « vivent désormais dans la peur et la terreur ». Il a notamment reproché à la Haica d’avoir mis des conditions « impossibles à remplir et techniquement inapplicables ».

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Une décision « tardive », sans consultation au préalable

« Cette décision nous est tout simplement tombée dessus », déplore Ikhlas Latif, rédactrice en chef adjointe du journal Business News, interrogée par Jeune Afrique. « Les médias n’ont pas été conviés à participer à son élaboration et aucune formation n’a été proposée aux journalistes pour s’adapter à de telles conditions. Il faut comprendre que les médias vivent eux aussi leur transition démocratique et nous avons encore besoin d’apprentissage », continue-t-elle.

Les pénalités, attribuées aux médias qui ne respecteraient pas ces règles, ont elles aussi été jugées trop lourdes : les médias s’exposent à des sanctions allant de 3 à 50 milles dinars (de 1 000 à près de 17 000 euros).

Le 13 avril, la Haica a ainsi décidé d’infliger une amende de 10 000 dinars (3 330 euros) à la chaîne Nessma, pour avoir publié le spot de campagne de Nidaa Tounes sur son site électronique et sur sa page Facebook.

Une équité « difficile à réaliser », selon certains médias

La décision commune des deux autorités, annoncée le 14 février, se présente sous la forme d’un texte de 34 articles, répartis sur quatre chapitres. Selon les mots du texte, celui-ci veut « assurer la neutralité et l’équité du traitement médiatique des élections municipales ». Pour assurer cette neutralité, le texte interdit la diffusion de tout discours de propagande électorale, de quelque forme que ce soit. Il interdit également toute présence sur un plateau télévisé ou dans une émission de radio, d’un journaliste, animateur ou commentateur qui soit en même temps candidat aux prochaines municipales.

Nous assumerons les sanctions. Malheureusement, avec nos moyens, une couverture médiatique à 100 % est tout simplement impossible », souligne Ikhalas Latif

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Avec plus de 2 700 listes électorales pour 350 circonscriptions, l’équité est toutefois plus complexe à faire respecter. Pour répondre à cette condition, la Haica et l’Isie ont instauré un système de catégorisation. Les listes électorales présentes dans 75 % à 100 % des circonscriptions auront le droit à une couverture médiatique plus importante. Les autres listes auront également des temps de couverture selon leur taux de participation. Concrètement, les radios et les télévisions fonctionnement aujourd’hui avec un chronomètre à la main : chaque jour, par média, cinq minutes sont accordées à Ennahdha, trois minutes au Front populaire, etc.

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Dans un édito publié à la veille du lancement de la campagne, Ikhlas Latif a fait savoir que « cette décision quoique bénéfique pour le développement du secteur », ne prend pas en compte les inégalités de ressources entre les médias. Ne disposant pas des moyens logistiques requis pour relayer le processus électoral dans toutes les régions, le site d’information analysera plutôt « les faits les plus marquants et les débats les plus pertinents indépendamment de l’orientation de la liste ou de l’identité du candidat ». Un choix éditorial, qui vaudra tout de même à ce journal électronique des sanctions. « Nous les assumerons. Malheureusement, avec nos moyens, une couverture à 100 % est tout simplement impossible », souligne Ikhalas Latif à Jeune Afrique.

Cette catégorisation a également été critiquée par l’Association tunisienne pour l’intégrité et la démocratie des élections (Atide), qui a estimé le 6 avril qu’elle « ne répond même pas au principe d’égalité ». Selon elle, ces conditions favorisent davantage les grands partis.

Un texte utile, selon le syndicat des journalistes

Zied Dabbar, membre du comité exécutif du Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT), estime de son côté que ce texte était nécessaire : « Il est vrai que le texte n’est pas parfait mais les deux autorités ont tout fait pour éviter que les dérapages médiatiques survenus lors des élections de 2014 ne se répètent. À l’époque, certains médias n’avaient pas hésité à afficher clairement leur couleur politique et à se transformer en outils de propagande. »

C’est irresponsable et c’est ignorer la raison d’être de notre métier ! », s’indigne un membre du syndicat des journalistes

Le syndicat affirme que les positions des patrons de chaînes de télévision privées, tels que Nabil Karoui propriétaire de Nessma, ne reflètent pas l’avis général des journalistes. « Pendant que la majorité se démène pour respecter au mieux ces conditions, d’autres parlent de boycott dès les premiers jours de la campagne, c’est irresponsable et c’est ignorer la raison d’être de notre métier ! » s’indigne Zied Dabbar.

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