Financement de l’agriculture : « Des solutions innovantes se développent partout à travers le continent »

Yana Kakar est associée « monde » du cabinet Dalberg Advisors, l’un des leaders du continent en matière de stratégie de conseil avec 8 bureaux en Afrique. Experte dans le financement de l’agriculture, elle a accepté de partager avec nous quelques pistes d’innovations qui pourraient libérer la compétitivité du secteur sur le continent.

Yana Kakar, associée « monde » du cabinet Dalberg Advisors. © DR

Yana Kakar, associée « monde » du cabinet Dalberg Advisors. © DR

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Publié le 23 mars 2018 Lecture : 3 minutes.

Plus de 800 personnalités africaines et internationales sont attendues au prochain Africa CEO Forum. © Eric Larrayadieu/JA
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Africa CEO Forum 2018 : l’heure de la transformation

Les 26 et 27 mars prochains, se tiendra à Abidjan la 6e édition du Africa CEO Forum, coorganisé par Jeune Afrique Media Group et Rainbow Unlimited. 1 200 personnalités, venues de l’industrie, de la finance et de la politique, y débattront des Champions africains à l’heure de la transformation, thème retenu cette année.

Sommaire

Jeune Afrique : Il existe de nombreux goulets d’étranglement dans l’agriculture africaine. L’un d’entre-eux est le morcellement des petites exploitations familiales qui augmente les coûts d’infrastructure et restreint la mécanisation. C’est évidemment un défi de long terme, mais que peut-on y faire dès à présent ?

Yana Kakar : Notre cabinet a estimé à 50 millions le nombre de petits exploitants en Afrique. Atteindre ces fermiers est à la fois difficile et coûteux. Des solutions innovantes sont aujourd’hui mises en place à travers le continent : des modèles d’intégration verticale, des regroupements de fermiers pour permettre la mécanisation, des incitations à investir vers des fermiers ciblés ou le développement d’accès aux marchés par la technologie.

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Pouvez-vous donner un exemple précis d’une de ces innovations ?

Depuis quelque temps, nous codéveloppons au Kenya un projet appelé Digifarm. C’est une plateforme mobile intégrée détenue par Safaricom et soutenue par l’ONG américaine MercyCorps. Digifarm fournit à des agriculteurs kényans des intrants (engrais, phytosanitaires, semences…) à prix abordables et/ou des prêts pour en acquérir, accompagnés de contenus pédagogiques qui optimisent leur utilisation. Après seulement six mois d’existence, Digifarm est déjà utilisée par 166 000 petits exploitants. Notre objectif est d’en toucher 4 millions d’ici 2022.

Pourtant, Digifarm n’était pas vraiment le résultat auquel vous vous attendiez au début…

C’est vrai. Au départ, notre cabinet a été recruté pour créer un produit à-même de fournir des financements aux agriculteurs kényans. Mais nous nous sommes aperçus que ce que voulaient les fermiers, c’était plutôt un accès facilité aux intrants et à leurs extensions. Prendre en compte leurs doléances a été la clé.

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Vous insistez beaucoup sur la nécessité du regroupement des compétences…

Safaricom est une compagnie digitale, pas un fournisseur d’intrants. Travailler en collaboration a été essentiel dans cette réussite.

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Dans son approche de l’agriculture africaine, votre cabinet parle très souvent de « théorie des systèmes ». Pouvez-vous nous dire en quoi cela consiste ?

Prenons l’exemple des oléagineux en Tanzanie, un pays qui a importé en 2016 pour 360 millions d’euros d’huile de palme, alors que le pays est producteur de tournesol. Pour alléger cette facture, les investisseurs locaux doivent mettre de l’argent dans des raffineries aux standards internationaux capables de raffiner l’huile de tournesol puis de la vendre au même prix que l’huile de palme importée.

Mais dans ce système, les intermédiaires échouent la plupart du temps à instaurer des relations constructives entre les différents acteurs. Ils n’ont pas la capacité à identifier les intérêts communs, ni à les maximiser. En conséquence, les incitations fiscales mises en place par les États sont inefficaces et ne parviennent pas à s’attaquer aux causes qui empêchent réellement les investissements sur le terrain. C’est ainsi que de nombreuses opportunités sont manquées.

En regroupant les acteurs tout au long de la chaîne et en partant du secteur privé pour aller vers une planification d’investissements au niveau national, Dalberg a permis un investissement de 25 milliards de shillings tanzaniens (9 millions d’euros) dans le tournesol. Cette façon de faire est tout à fait réplicable ailleurs.

Vous avez également identifié un phénomène de féminisation du secteur. Quel est son ampleur et quelles en sont les conséquences ?

Incontestablement, le segment des petits exploitants agricoles connaît actuellement un processus de féminisation important. En d’autres termes, nous assistons à une expansion du rôle des femmes dans le secteur, alors que les hommes en sortent. Dans certains pays d’Afrique subsahariennes, les femmes représentent déjà plus de 60 % des emplois agricoles.

Or, il existe aujourd’hui une différence de productivité entre fermiers et fermières de l’ordre de 20 à 30 %, notamment du fait d’un déficit de formation. Dalberg aide le secteur privé à comprendre comment mieux soutenir les femmes et les jeunes en tant que producteurs, employées ou clients, en créant des produits financiers destinés aux agricultrices afin de développer des business model inclusifs.

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