Nigeria – Libération des écolières de Dapchi : « Boko Haram a perdu en puissance, mais n’est pas mort »

La libération d’une centaine de jeunes filles de Dapchi mercredi, près d’un mois après leur enlèvement par Boko Haram, interroge sur les intentions et l’état du groupe jihadiste. Cette récente libération ne témoigne pas pour autant d’un réel recul du groupe, analyse le politologue Marc-Antoine Pérouse de Montclos.

Des soldats nigérians en avril 2015 dans la ville de Gwoza, tout juste libérée de Boko Haram © Lekan Oyekanmi/AP/SIPA

Des soldats nigérians en avril 2015 dans la ville de Gwoza, tout juste libérée de Boko Haram © Lekan Oyekanmi/AP/SIPA

Publié le 22 mars 2018 Lecture : 4 minutes.

104 écolières de Dapchi ont été libérées ce mercredi 21 mars, près d’un mois après leur enlèvement à Dapchi, dans le nord-est du pays, par le groupe Boko Haram. Un événement qui rappelle celui de Chibok, où plus de 200 lycéennes avaient été enlevées en 2014, entraînant une vive émotion à l’international, notamment portée sur les réseaux sociaux par le #BringBackOurGirls.

Cette libération soudaine ne témoigne pas pour autant d’un réel recul de Boko Haram, selon le politologue Marc-Antoine Pérouse de Montclos, directeur de recherches à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), auteur de L’Afrique, nouvelle frontière du djihad ? (éd. La Découverte, à paraître le 3 mai 2018). Il revient pour Jeune Afrique sur le devenir du groupe et les implications politiques nigérianes qu’il soulève.

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Jeune Afrique : Quels éléments pourraient expliquer la libération des écolières de Dapchi ? Le rapport d’Amnesty International, publié la veille et dénonçant les manquements du Nigeria après leur enlèvement, a-t-il un lien ?

Marc-Antoine Pérouse de Montclos : Je ne pense pas qu’il y ait de lien direct entre les deux. En revanche, le rapport a un poids politique important puisqu’il met en lumière l’inaction de l’armée nigériane après l’enlèvement.

Dapchi a un retentissement à l’échelle nationale au moment où il se murmure que Buhari songe à se représenter

Or la capacité à lutter contre Boko Haram a été décisive dans la victoire électorale du président Muhammadu Buhari en 2015. L’affaire de Dapchi a donc un retentissement à l’échelle nationale au moment où il se murmure que Buhari songerait à se représenter en 2019.

Pourquoi la libération des écolières de Dapchi, près d’un mois après leur enlèvement, a-t-elle été aussi rapide ? Il a fallu plusieurs mois pour permettre celle de Chibok…

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La réponse est claire : Buhari, un musulman, a été élu sur la question de Boko Haram, il s’est donc vite saisi du dossier. Dans le cas de Chibok, son prédécesseur Goodluck Jonathan a mis beaucoup de temps à réagir, étant lui-même un chrétien originaire du sud du Nigeria. Il a commencé à agir une fois qu’il s’est rendu compte que l’engouement international autour de la disparition des filles de Chibok risquait de compromettre sa réélection.

D’importantes sommes d’argent ont alors été déboursées, sans résultats probants. Par rapport à Muhammadu Buhari, Goodluck Jonathan était beaucoup moins bien placé politiquement pour obtenir des résultats dans cette région à dominante musulmane.

Depuis l’affaire de Chibok, le groupe a reculé dans des zones difficilement accessibles

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Quel est l’état des forces de Boko Haram aujourd’hui ? La libération des filles de Dapchi signifie-t-elle son « recul » ?

Tout dépend de quel point de vue on se place. Si l’on regarde par rapport à l’enlèvement des filles de Chibok en 2014, Boko Haram a beaucoup reculé. Si l’on regarde sur les derniers mois, on a plutôt affaire à une stagnation.

>>> A LIRE – Terrorisme : Boko Haram est-il si proche de sa fin ?

Ce qui est sûr, c’est que depuis l’affaire de Chibok le groupe a reculé dans des zones difficilement accessibles à la frontière du Cameroun, du Niger et du Tchad, par exemple dans la forêt de Sambisa afin d’échapper aux drones. Ce n’est pas la fin de Boko Haram pour autant : il a perdu en puissance, mais il n’est pas mort. D’autant que le groupe continue de se jouer de frontières très poreuses.

L’enlèvement de Dapchi rappelle la manière dont procède la faction d’Abu Musab al-Barnawi, fils du fondateur historique de Boko Haram, Muhammad Yussuf. Pensez-vous qu’il l’ait commandité ?

Nous ne pouvons pas spéculer : Boko Haram est une nébuleuse, composée de multiples groupuscules qui prennent parfois seuls des initiatives d’attaques. L’enlèvement de Dapchi peut donc très bien ne pas avoir été commandité par Barnawi, et il peut simplement s’agir d’une initiative de combattants désireux de se faire de l’argent.

Certes, ce sont plutôt les hommes de Barnawi qui agissent dans cette zone-là. Mais l’enlèvement de Dapchi contredit le récit que l’on fait habituellement de sa faction, qui prétend ne pas viser les civils musulmans [les écolières enlevées à Dapchi sont principalement musulmanes, ndlr].

À l’inverse, l’enlèvement des lycéennes de Chibok porte la marque du chef de file du groupe jihadiste, Abubakar Shekau

L’enlèvement a eu lieu bien avant l’allégeance de Boko Haram à l’État islamique. Le retentissement international de l’affaire Chibok n’était pas programmé par Abubakar Shekau. Ses combattants se sont juste saisis du butin de guerre disponible dans la localité de Chibok, y compris, donc, les lycéennes.

Boko Haram a-t-il des velléités plus globales ? Comme au Niger ou au nord du Mali ?

Non, il s’agit d’un groupe qui fait référence à un jihad global mais qui est enraciné dans des dynamiques locales. Boko Haram n’a pas prêté allégeance à Al-Qaïda et n’est pas actif dans le nord du Mali. Il se finance par le vol de bétail ou des rançons mais n’a pas de « subventions » de Daesh ou d’Al-Qaïda.

Le gouvernement du Nigeria ne cesse de répéter qu’il remporte des victoires face à Boko Haram. Est-ce réellement le cas ?

Le problème est que l’armée nigériane est peu crédible. Elle a nié ses responsabilités dans des massacres avérés de civils et a plusieurs fois annoncé en vain la mort de Shekau. Il n’y a pas de vérification indépendante des déclarations de l’armée. Il s’agit d’abord de propagande militaire, possiblement pour faciliter la réélection de Buhari en 2019.

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